Surveiller les réacteurs nucléaires grâce aux antineutrinos

En ce qui concerne la surveillance des réacteurs nucléaires, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est tributaire des indications des exploitations. Or des détecteurs d’antineutrinos pourraient proposer à l’avenir une alternative indépendante. Le fait est que jusqu’à récemment, le spectre antineutrino des produits de fission de l’U-238 n’était pas disponible. Les physiciens de l’Université Technique de Munich (TUM) viennent de combler cette lacune à l’aide de neutrons rapides produits par la source expérimentale de neutrons FRM II.

5 mai 2014
Nils Haag à côté du double détecteur qui lui a permis de déterminer le spectre antineutrino de l’U-238. Les deux détecteurs se trouvent dans la partie inférieure de l’ensemble.
Nils Haag à côté du double détecteur qui lui a permis de déterminer le spectre antineutrino de l’U-238. Les deux détecteurs se trouvent dans la partie inférieure de l’ensemble.
Source: Wenzel Schuermann / TUM

La fission de combustibles nucléaires tels que le plutonium et l’uranium entraine la libération de neutrons, mais aussi d’antineutrons. Ces derniers sont eux aussi électriquement neutres, mais peu réactifs, ce qui explique qu’on ne puisse les observer qu’à l’aide de détecteurs gigantesques. Des détecteurs d’un mètre cube seulement viennent d’être mis au point afin de permettre de mesurer les antineutrinos produits dans un cœur de réacteur. Des prototypes existent déjà et recueillent des données à une dizaine de mètres des réacteurs. L’analyse de l’énergie et du taux de formation des antineutrinos permet de déterminer les changements de constitution des combustibles nucléaires à l’intérieur du réacteur, par exemple en cas d’extraction du plutonium militaire Pu-239. Cela permettrait à l’AIEA de ne plus dépendre uniquement des indications des exploitants nucléaires.

Détermination précise du spectre antineutrino de l’U-238

Les spectres antineutrinos de trois des quatre principaux combustibles nucléaires, à savoir de l’U-235, du Pu-239 et du Pu-241, ont été déterminés dans les années 1980. Seul celui du combustible d’U-238, qui représente environ 10% du flux global d’antineutrinos, n’avait pas été défini de manière précise. Ce spectre avait été estimé uniquement dans le cadre de calculs théoriques imprécis et limitait de fait la précision des prévisions. Nils Haag, de la chaire de physique expérimentale des astroparticules de la TUM, a mis au point à l’aide de la source de neutrons Heinz-Maier-Leibnitz (FRM II) un système qui a permis de déterminer le spectre manquant. Le physicien a ainsi expliqué qu’un flux important de neutrons rapides avait été nécessaire pour générer la fission de l’U-238. Il a donc installé le nouveau système à proximité de la station de radiographie et de tomographie du FRM II, une installation de production de neutrons rapides.

Un second détecteur élimine les signaux de mesure indésirables

Les neutrons ont généré des réactions de fission sur un film composé d’U-238. Suite à cela, les produits de désintégration radioactifs ont émis des électrons et antineutrinos. Les électrons ont été analysés à l’aide d’un scintillateur, un bloc en plastique qui transforme l’énergie cinétique des électrons en lumière. Un photomultiplicateur convertit ensuite celle-ci en signaux électriques. Mais les désintégrations nucléaires génèrent également du rayonnement gamma à l’origine de signaux de mesure indésirables dans le scintillateur. Pour cette raison, M. Haag a eu l’idée de placer un second détecteur directement devant le scintillateur, une chambre proportionnelle multifilaire. Etant donné que seules les particules chargées, comme les électrons, génèrent un signal dans le détecteur de gaz, M. Haag a pu déterminer la part du rayonnement gamma. Il a ensuite déduit de cette mesure le spectre antineutrino.

Une meilleure surveillance des réacteurs nucléaires

La mesure du spectre antineutrino pourrait être utilisée pour surveiller l’état, la puissance et même la composition des cœurs de réacteur. «Nos résultats permettent désormais de calculer avec une précision élevée le spectre antineutrino que devrait posséder un réacteur avec la composition en combustible indiquée par l’exploitant », explique Nils Haag. «Cela permet d’identifier les écarts entre le signal attendu du réacteur et les mesures relevées par le détecteur d’antineutrinos.»

Le développement de cette méthode entre dans le cadre de la recherche fondamentale sur le phénomène des antineutrinos «stériles». En effet, la comparaison des mesures actuelles et des prévisions de spectres antineutrinos de réacteurs laisse penser que certains antineutrinos deviennent «stériles» juste après avoir été générés. Ceux-ci ne peuvent ainsi plus interagir avec la matière. La TUM estime qu’une meilleure compréhension de ce phénomène permettra d’élargir les connaissances des processus physiques élémentaires.

Source

D.S./C.B. d’après un communiqué du TUM du 24 avril 2014

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