Académies suisses des sciences: garder l'option nucléaire ouverte

Selon les Académies suisses des sciences, la Suisse ne doit pas exclure l'option nucléaire pour la production future d'électricité. Un remaniement important du secteur de l'électricité sera nécessaire quoi qu'il arrive, mais renoncer au nucléaire rendra ce remaniement plus difficile encore. Les Académies des sciences soutiennent une restructuration durable de l'approvisionnement énergétique. Les Académies ne sont pas parvenues à se mettre d'accord sur un soutien à la sortie du nucléaire voulue par le Conseil fédéral et le Parlement.

14 août 2012
Irene Aegerter, de l'ASST: «Les coupures d'électricité coûtent bien plus cher que l'extension du réseau.»
Irene Aegerter, de l'ASST: «Les coupures d'électricité coûtent bien plus cher que l'extension du réseau.»
Source: ASST

Le 9 août 2012, les Académies ont expliqué au cours d'une conférence de presse au Centre de presse du Palais fédéral, à Berne, leur point de vue sur le tournant énergétique prévu par le Conseil fédéral et le Parlement. Les Académies saluent le fait que «la Confédération souhaite créer un cadre clair pour la politique énergétique des années à venir» et soutiennent les efforts dans le sens d'une augmentation de l'efficience et du développement des énergies renouvelables. Les scientifiques ne sont pas parvenus à s'accorder sur une position commune vis à vis de l'énergie nucléaire. Renoncer aux centrales nucléaires est un sujet qui «prête à la controverse» dans les Académies, raison pour laquelle elles n'ont pas pu se ranger derrière cette idée.

Garder toutes les options ouvertes

Les Académies, indépendamment de la sortie du nucléaire, partent du principe que «l'approvisionnement suisse en électricité pour les années à venir est au bord du gouffre». Les besoins importants de modernisation et d'extension en matière de production et de transport constituent un défi immense pour la société. «Les décisions du Conseil fédéral et des Chambres fédérales de sortir progressivement du nucléaire et de mettre en application la nouvelle stratégie énergétique 2050 renforcent encore le problème», selon le rapport final des Académies. Non seulement la recherche doit continuer dans les domaines de la sûreté nucléaire et du traitement des déchets, mais il faut aussi «garder toutes les options ouvertes» pour ce qui est de l'utilisation de l'énergie nucléaire.

Eduard Kiener, ancien directeur de l'Office fédéral de l'énergie (OFEN) et directeur du projet d'étude «Quel avenir pour l'approvisionnement en électricité de la Suisse?», dit clairement qu'il est indispensable, pour le tournant énergétique, de stabiliser la consommation électrique en dépit des applications supplémentaires. «Si nous n'y parvenons pas, l'approvisionnement électrique de source entièrement renouvelable ne sera réalisable qu'à un coût économique excessif», dit M. Kiener devant les médias. Quoi qu'il en soit, «un dialogue social à large assise est nécessaire» pour que le peuple porte la transformation du système énergétique. C'est le peuple qui en assume les coûts, et il doit donc apporter sa contribution directe au tournant énergétique à travers des changements de comportements.

Eduard Kiener (à gauche), ancien directeur de l'OFEN: «Le tournant énergétique est un défi immense.»
Eduard Kiener (à gauche), ancien directeur de l'OFEN: «Le tournant énergétique est un défi immense.»
Source: ASST

Consommation électrique: le découplage de la croissance économique possible

Sur le point de la consommation électrique, les Académies partagent l'opinion de la Confédération, selon laquelle «la demande en électricité peut être stabilisée un peu en dessous de son niveau actuel par des mesures tout à fait acceptables». En l'absence de toute mesure fiscale, les Académies estiment que la demande en électricité augmentera de 14% d'ici à 2050, et elles sont en cela nettement plus optimistes que la Confédération. Marco Berg, de l'Académie suisse des sciences techniques (ASST), a distingué des influences économiques, techniques et sociales ou encore psychologiques sur la demande. En l'absence de taxes d'incitation ou subventions supplémentaires, les Académies s'attendent à un doublement du prix de l'électricité d'ici à 2050. Elles s'attendent à un développement similaire des revenus, ce qui limiterait dans une certaine mesure l'influence du prix sur la demande en électricité. Du point de vue technique, les améliorations en termes d'efficacité énergétique et les applications électriques supplémentaires se font face. Dans l'estimation la plus pessimiste des Académies, ces facteurs pourraient presque s'annuler. Selon Marco Berg, seuls les facteurs psychologiques et sociaux, «qui présentent eux aussi en partie des tendances opposées», sont difficiles à chiffrer. C'est l'environnement social qui doit pousser la population à faire des économies, car, selon M. Berg, dans le cadre d'un ordre libéral, la diffusion de normes ne peut clairement pas être imposée de l'extérieur, mais doit découler de processus sociaux. Les Académies attribuent une augmentation de 17% de la demande en électricité à la croissance de la population et aux modifications dans sa structure. A l'objection selon laquelle croissance économique et consommation d'électricité ont toujours été associées et ont toujours augmenté de concert, M. Berg réplique qu'un découplage n'a encore jamais vraiment été tenté. Il constitue certes un grand défi, mais un défi réalisable si tout le monde le relève ensemble.

Production électrique: la vérité des coûts est décisive

Christoph Ritz, de l'Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT), souligne que le mix de production électrique suisse actuel est presque exempt de CO2. Le Conseil fédéral souhaite réduire l'ensemble des émissions de CO2 de moitié d'ici à 2050. Selon M. Ritz, «il faudrait pour cela transformer près de 50% du système énergétique suisse». Les Académies estiment que toutes les méthodes de production d'électricité présentent des avantages et des inconvénients, ainsi que des conséquences sur l'ensemble du système électrique. Elles exigent la vérité et la transparence sur les coûts dans le choix de la production future. Cela vaut aussi bien pour la responsabilité nucléaire que pour les coûts du stockage de l'électricité dans le cas du développement des énergies éolienne et solaire. Ces deux modes de production posent le problème de fortes fluctuations en fonction des conditions météorologiques. Par ailleurs, le photovoltaïque est aujourd'hui la méthode de production la plus onéreuse. Les centrales à gaz reviennent elles certes moins cher, mais restent la variante entraînant les plus fortes émissions, même avec le captage du CO2. Dans le domaine de l'hydraulique, les Académies voient du potentiel dans l'extension de grandes installations existantes comme celle du Grimsel plutôt que dans la construction de petites centrales. La géothermie doit quant à elle encore faire ses preuves.

Réseau et accumulation: l'extension coûte moins cher que les coupures

La physicienne Irene Aegerter de l'ASST a demandé avec insistance l'extension des réseaux électriques suisses et le développement des centrales à accumulation et des centrales à pompage-turbinage: «Pas de tournant énergétique sans extension!» Ces deux types de centrales sont la condition préalable à la forte production d'origine renouvelable prévue. Les conduites de plus de 50 ans ont par ailleurs bien besoin d'être remplacées. On peut se demander, dans l'éventualité d'un développement conséquent du photovoltaïque, si les centrales suisses à pompage-turbinage pourraient encore être utilisées pour la vente à l'étranger, ou si elles serviraient exclusivement à garantir l'approvisionnement domestique. Le stockage d'énergie par air comprimé, le stockage d'hydrogène par électrolyse ou les accumulateurs, tels qu'ils sont par exemple utilisés dans les voitures électriques, représentent autant d'alternatives à l'accumulation. Techniquement réalisables, ces solutions seraient cependant toutes extrêmement coûteuses. Les Smart Grids, encensés de tous, se heurtent eux aussi au scepticisme de Mme Aegerter: les premières tentatives n'auraient finalement apporté que des économies bien moindres qu'attendues, et le réseau actuel comporte déjà en de nombreux endroits des «composantes intelligentes». De grands efforts de recherche sont encore nécessaires dans ce domaine. Il ne faut pas regarder à la dépense dans l'extension du réseau. En effet, selon Mme Aegerter: «Les coupures de courant coûtent plus encore.» Swissgrid chiffre à entre 8 et 30 millions par minute les coûts engendrés par un blackout.

Peu d'idées concrètes

Pour conclure, Paul Burger, philosophe et historien de l'Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH), pose la question de ce que signifie concrètement la durabilité. «Le découplage entre le développement de la société et la consommation des ressources et de l'énergie est un thème central de la durabilité», explique-t-il. Cela s'applique aussi à l'approvisionnement futur de la Suisse en électricité. Pour parvenir à un système électrique durable, les académies demandent à ce que sept objectifs soient visés: le bien-être humain, la sécurité de l'approvisionnement, l'éco-compatibilité, l'efficience économique, l'évitement de risques critiques mettant en danger le système, la flexibilité et la diversité.

Heinz Gutscher, président des Académies, a expliqué en conclusion de la manifestation que dans le domaine du tournant énergétique, il avait déjà vu «beaucoup de souhaits, mais peu d'idées concrètes pour leur réalisation». Il faut garder toutes les options ouvertes, aussi en ce qui concerne l'énergie nucléaire.

Les Académies suisses des sciences mettent les sciences en réseau sur le plan régional, national et international. Elles offrent leurs conseils aux politiciens et à la société dans toutes les questions scientifiques touchant de près la société. Les Académies suisses des sciences regroupent les quatre académies scientifiques suisses: les sciences naturelles (SCNAT), les sciences humaines et sociales (ASSH), les sciences médicales (ASSM) et les sciences techniques (ASST).

Source

Source: M.Re./T.M. d'après une conférence de presse des Académies suisses des sciences du 9 août 2012

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