Étiquetage en trompe-l’œil et greenwashing

Le saviez-vous? L’électricité qui sort de votre prise provient de centrales hydrauliques islandaises. Oui, vous avez bien lu: islandaises, pas indigènes. Si ce tour de passe-passe est possible, c’est grâce au système de marquage de l’électricité. Quésaco? Chaque kilowattheure qui sort d’une centrale électrique européenne se voit attribuer un certificat indiquant où, quand et comment il a été produit: c’est ce qu’on appelle la garantie d’origine. Et c’est ainsi que l’on peut acheter en Suisse des kilowattheures «made in Iceland»!

11 janv. 2023
Haifoss Wasserfall
Source: Michael Bussmann / pixabay.com

Largement répandus depuis des années, voire des décennies, les labels, marquages, indications de contenu et autres appellations d’origine ont pour but d’assurer la transparence et la protection tant des producteurs que des consommateurs. L’idée est que les décisions d’achat prises sur de telles bases sont meilleures et qu’elles responsabilisent la clientèle. La transparence fait barrage à la tromperie et à la ruse. On a ainsi la certitude qu’une longeole IGP vient bel et bien de Genève et une cuchaule AOP du canton de Fribourg, avec des ingrédients dont la provenance est définie de façon stricte.

Pour le consommateur disposant de telles informations, il est facile d’adopter un comportement exemplaire sur les plans sanitaire, écologique et social. Il lui suffit de s’en tenir aux labels en vigueur pour que son achat lui permette non seulement d’obtenir le produit désiré mais lui assure également bonne conscience et reconnaissance sociale. Il n’a qu’à tendre le bras pour attraper un produit dans un rayon, ou se fendre de quelques clics de souris sur un site marchand, et hop, le bien-être animal est assuré, l’huile de palme est éliminée et les émissions de CO2 découlant du transport en avion sont compensées.

Grâce à l’obligation de marquage de l’électricité, il en va de même pour le courant électrique. Selon un communiqué de presse du Conseil fédéral remontant à 2004, le marquage de l’électricité «a comme objectif premier de protéger et d’informer clairement les consommateurs et consommatrices», qui «disposeront ainsi d’un outil de décision leur facilitant le choix d’un produit énergétique en particulier.» Ce marquage est devenu obligatoire l’année suivante, en 2005.

Il y a toutefois un petit hic dans tout cet univers de labels, d’indications de contenu et autres appellations d’origine: qui nous garantit que ce qui est écrit sur l’emballage correspond effectivement à ce qu’il y a dedans? Qui nous garantit que les avantages promis seront véritablement au rendez-vous? En d’autres termes: qui effectue le contrôle requis? Pour faire court: tout ce qui brille n’est pas d’or. Quiconque achète un citron labellisé bio est en droit de se demander si ce label y a été apposé à juste titre. Mais il existe bien entendu des organisations et des services fédéraux parfaitement sérieux qui contrôlent strictement qu’il n’y a pas d’étiquetage frauduleux et qu’aucun emballage trompeur ne se retrouve dans les rayons. Nous pouvons (et devons pouvoir) nous y fier.

Si le commerce des garanties d’origine est possible, c’est qu’elles sont découplées des flux physiques d’électricité
Le communiqué de presse sur l’«origine» du courant publié cette année par l’Office fédéral de l’énergie n’en est que plus intéressant. L’OFEN titre fièrement: «L’électricité consommée en Suisse en 2021 provenait à 80% des énergies renouvelables»! Une formulation dépourvue d’ambiguïté. Tout comme la cuchaule AOP que je déguste en ce moment provient, mettons, de Bulle, le courant que je tire de ma prise est issu à 80% d’énergies renouvelables. En tant que consommateur, je dois (et dois pouvoir) partir du principe que si l’Office fédéral le dit, c’est que c’est vrai.

Or, l’OFEN adjoint à son communiqué de presse un document supplémentaire intitulé «FAQ – Mix des fournisseurs suisses d’électricité», qui nous dit tout d’abord que le mix des fournisseurs est tiré du marquage de l’électricité. C’est clair! On nous explique ensuite qu’une garantie d’origine est établie pour chaque kilowattheure d’électricité produit, mais que cette garantie d’origine est découplée du flux d’électricité physique. Tiens donc! Et un peu plus bas, on apprend que les garanties d’origine peuvent être commercialisées librement. Euh, qu’est-ce que cela veut dire?

Pour comprendre les conséquences de cette séparation entre le produit et la déclaration, il faut aller encore un peu plus loin dans le document pour découvrir que le marquage de l’électricité fonctionne sur une base annuelle et qu’il est donc, je cite, «possible d’utiliser pour la consommation hivernale des garanties d’origine émises au trimestre d’été». Ailleurs, il est indiqué que près de 20% des garanties d’origine pour les énergies renouvelables proviennent de l’étranger, et notamment d’Islande!

On apprend également qu’il est possible de comptabiliser la consommation nocturne d’électricité comme étant de source solaire. Par une froide journée neigeuse de février, vous voulez déguster dès potron-minet un expresso «équitable» préparé au photovoltaïque? Aucun problème avec les garanties d’origine!

Mais attention: l’emballage en provenance d’Islande étiqueté «1 kWh d’hydroélectricité produite en Islande» ne contient aucun kilowattheure islandais… il est vide! Le marquage inscrit sur l’emballage peut être utilisé pour n’importe quel kilowattheure consommé au cours de l’année considérée. Par conséquent, pour déguster dès potron-minet un expresso préparé au photovoltaïque par une froide journée neigeuse de février, il suffit de coller le label «courant d’origine photovoltaïque», ou «made in Iceland» si l’on préfère l’hydroélectricité, sur le kilowattheure nécessaire à cet effet!

Étiquetage en trompe-l’œil et greenwashing?
Le reproche de «greenwashing» (écoblanchiment) formulé à l’encontre du marquage de l’électricité n’est pas nouveau. D’un simple clic de souris, il est possible de commander auprès de divers fournisseurs d’électricité suisses un produit électrique contenant 100% de photovoltaïque – pour toute l’année, jour et nuit. S’il y avait assez de garanties d’origine sur le marché, on pourrait même s’approvisionner à 100% en énergie hydraulique islandaise. Rien d’étonnant à ce que le Parlement fédéral ait déjà proposé de rendre la Suisse 100% renouvelable… par le biais des garanties d’origine!

Toujours est-il qu’ici aussi, le verrou est en train de sauter. Il est prévu de «passer à un marquage de l’électricité basé sur le trimestre concerné» à partir du 1er juillet 2023, écrit le Conseil fédéral dans le projet de révision de l’ordonnance du DETEC sur la garantie d’origine et le marquage de l’électricité. Cela permettra «de mieux représenter la saisonnalité de la production et de la consommation d’électricité». Les consommateurs finaux auront ainsi «la certitude que l’origine indiquée correspond à leur consommation au cours de la saison». Mieux vaut tard que jamais pour cette modification d’une pratique vieille de 20 ans. La politique énergétique et les réalités physiques se rapprochent à nouveau, même s’il serait possible et souhaitable d’en faire davantage pour que la confiance dans le marquage de l’électricité (et dans la communication de l’Office fédéral de l’énergie) soit aussi élevée que dans le label AOP de la cuchaule fribourgeoise. La bonne nouvelle est qu’au vu du mix physique d’électricité de notre pays, il se pourrait que le kilowattheure consommé par un matin de février froid et neigeux soit en fait issu de l’énergie nucléaire suisse. C’est bien aussi (voire mieux)!

Peter Quadri

Auteur

Peter Quadri, Membre du Comité du Forum nucléaire suisse

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