Le nucléaire, une énergie entourée de mythes et de préjugés

Crise énergétique et changements climatiques: l’énergie nucléaire a fait son grand retour dans les discussions. Pour autant, elle est encore entourée de nombreux mythes et préjugés. Nous souhaiterions rétablir ici certaines vérités.

10 févr. 2023
Fact
Il existe de nombreux mythes et préjugés autour de l’énergie nucléaire. Nous souhaiterions rétablir ici certaines vérités.
Source: KNFind/Pixabay

En raison des changements climatiques et de la crise énergétique déclenchée, avant tout, par l’agression russe en Ukraine, les centrales nucléaires sont à nouveau sur toutes les lèvres. Partout dans le monde, on construit de nouvelles centrales, on planifie des projets de construction, et certains pays prolongent la durée de fonctionnement de leurs réacteurs. En Suisse aussi, l’interdiction de construire de nouvelles centrales, décidée en 2017, est de plus en plus sujette à polémique.

Or les discussions sur les nouvelles constructions, la prolongation du fonctionnement des réacteurs existants et la sortie du nucléaire s’accompagnent de rumeurs, de mythes et de préjugés qui rendent plus difficiles les débats objectifs sur le sujet.

«Les centrales nucléaires ne sont pas assez sûres»
Voici un des arguments préférés des opposants au nucléaire: la sécurité des installations. Les centrales nucléaires seraient trop vieilles et ne répondraient pas aux standards de sécurité actuels. Sans oublier la peur de la radioactivité, attisée par les accidents de Tchernobyl et de Fukushima.

Reprenons donc depuis le début: la sécurité des centrales nucléaires: elle revêt la priorité absolue. En vertu de la loi suisse sur l’énergie nucléaire, la sécurité prévaut sur la rentabilité. Elle nécessite un engagement important et des investissements permanents, mais cela en vaut la peine car les centrales nucléaires suisses font partie des plus sûres d’Europe, comme l’ont démontré les tests de résistance de l’UE réalisés en 2012 dans le sillage de l’accident de Fukushima.

Qui contrôle la sécurité? Il s’agit de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). À l’issue de la révision annuelle, les installations nucléaires peuvent être reconnectées au réseau une fois seulement que l’IFSN a délivré le permis d’exploitation pour le cycle suivant.

Alors oui, bien sûr, les hommes peuvent faire des erreurs et la technique peut défaillir, mais là encore, la sécurité des centrales nucléaires est garantie grâce à des mesures structurelles, techniques et organisationnelles adaptées en permanence au dernier état de la technique.

Le site Internet «Our World in Data» a établi une liste des taux de mortalité résultant des accidents et de la pollution atmosphérique imputables à chaque forme d’énergie. Le nombre de décès pour chaque térawattheure de courant produit a été calculé. Il ressort que le charbon et le pétrole sont les sources d’énergie les moins sûres, tandis que le solaire, le nucléaire (en prenant en compte les accidents de Tchernobyl et de Fukushima) et l’éolien figurent parmi les formes d’énergie les plus sûres.

Safest form of Energy
L’énergie nucléaire fait partie des sources d’énergie les plus sûres et les plus propres.
Source: Our World in Data

«Les centrales nucléaires ne sont pas neutres en CO2»
C’est exact, les centrales nucléaires ne sont pas neutres en CO2, mais en réalité, aucune source d’énergie ne l’est. Le charbon, le pétrole et le gaz sont les sources les plus émettrices, tandis que le nucléaire est celle qui génère le moins de carbone, devant l’éolien et le solaire.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU) estiment, eux aussi, que le nucléaire et l’éolien sont les sources d’énergie les plus respectueuses du climat.

Par ailleurs, lors de son fonctionnement, une centrale nucléaire n’émet aucun gaz à effet de serre. Les émissions sont générées, pour moitié, lors de la construction, du démantèlement et de la gestion des déchets et, pour moitié, lors de l’extraction et du traitement de l’uranium.

Ainsi, pour pouvoir bénéficier d’un mix électrique propre, nous devons nous défaire du charbon, du pétrole et du gaz – lesquels fournissent encore 60% de l’éctricité produite sur notre planète – et nous doter d’un mix nucléaire – renouvelables.

«La durée de construction d’une centrale nucléaire est trop longue»
Cet argument est trop général, et les choses ne sont pas si simples. Il existe effectivement des exemples peu satisfaisants, comme c’est le cas de la tranche nucléaire finlandaise Olkiluoto 3, dont la construction a démarré en 2005 mais accuse des retards importants. Le nouveau calendrier prévoit une mise en service de l’installation en juillet 2023. Et les constructions à Flamanville (France) et Hinkley Point (Grande-Bretagne) ne sont guère plus réjouissantes.

Mais à l’inverse, la nouvelle tranche nucléaire Fangchenggang 3, en Chine, a été mise en service en décembre dernier à l’issue de seulement sept années de construction. Il en est de même pour la construction de la première centrale nucléaire des Émirats arabes unis, à Barakah.

Le graphique obtenu à partir d’informations issues de la banque de données PRIS de l’AIEA en date de 2016 montre que sur les 411 réacteurs de l’époque, 374 avaient été construits en dix ans, au maximum. Lorsque le calendrier est respecté, la construction d’une centrale nucléaire dure, en moyenne, sept années et demie.

Bauzeit der Kernkraftwerke
La durée moyenne de construction d’une centrale nucléaire est de 7,5 ans.
Source: Euan Mearns

La banque de données PRIS fournit des informations sur les 442 réacteurs  actuellement en service dans le monde, et indique la date de début de la construction et la date de connexion au réseau de chaque installation. Il en ressort que la durée moyenne de construction est de sept années et demie.

 «Il n’existe aucune solution pour les déchets nucléaires»
Autre argument souvent cité pour causer du tort à l’énergie nucléaire: la «problématique» de la gestion des déchets radioactifs. Certes, le fait de rester à proximité de déchets hautement radioactifs sur une longue période et sans protection peut avoir des conséquences sur la santé. Mais absolument personne n’est jamais en contact direct avec des déchets radioactifs. Dans un premier temps, les assemblages combustibles usés sont stockés et refroidis dans une piscine remplie d’eau, située à l’intérieur de la centrale, ce qui permet de faire décroitre fortement leur radioactivité ainsi que leur température en vue de leur transport ultérieur dans un dépôt intermédiaire. Ils sont alors placés dans des conteneurs de transport et de stockage adaptés, par exemple des conteneurs Castor. La totalité des déchets radioactifs produits lors des 60 années de fonctionnement des centrales nucléaires suisses représente un volume d’environ 80’000 m3, ce qui ne remplirait même pas l’ancien hall de la gare centrale de Zurich. Ou, pour le formuler autrement: la quantité de déchets radioactifs imputables à chaque individu représente environ une canette.

Bien sûr, les déchets radioactifs ne peuvent pas être stockés une éternité dans un dépôt intermédiaire. Par ailleurs, la loi suisse sur l’énergie nucléaire prévoit la construction d’un dépôt en couches géologiques profondes en Suisse pour stocker à long terme les déchets radioactifs de manière sûre et loin des hommes, jusqu’à ce que leur radioactivité ait suffisamment décru pour qu’ils ne soient plus nocifs. Il a été demandé à la Nagra de planifier et de construire un tel dépôt, et celle-ci a choisi Nord des Lägern comme site d’implantation.

Mais comment cela fonctionne-t-il exactement? Bien évidemment, il ne s’agit pas simplement d’un trou dans le sol, dans lequel on placerait des conteneurs Castor. Le dépôt en couches géologiques profondes est un système sophistiqué composé de plusieurs barrières de sécurité qui garantissent que les déchets sont bien confinés à plusieurs centaines de mètres en profondeur, dans une roche dense et stable. En Suisse, la barrière principale est constituée par l’argile à Opalinus. Il s’agit d’une roche très imperméable qui retient à la fois l’eau et les matières radioactives. L’argile à Opalinus est entourée d’autres couches de roches argileuses et imperméables.

D’autres pays recherchent actuellement un site adapté pour accueillir un dépôt profond. En 2025, la Finlande mettra en service le premier dépôt en couches géologiques profondes destiné aux assemblages combustibles usés au monde, à «Onkalo». Et son voisin, la Suède, a donné son feu à la construction du premier dépôt profond destiné au combustible usé à Forsmark, et d’une installation d’encapsulage à Oskarshamn.

Il existe donc bien une solution de gestion des déchets faiblement, moyennement, mais aussi hautement radioactifs: le dépôt en couches géologiques profondes, aussi appelé dépôt final. De nombreux pays, dont la Suisse, étudient cette solution. Les déchets faiblement et moyennement radioactifs sont d’ailleurs déjà entreposés depuis plusieurs décennies dans des dépôts finaux.

«La société paie le démantèlement des centrales nucléaires»
Les coûts de la désaffectation d’une centrale nucléaire et de la gestion des déchets radioactifs ne sont pas à la charge de la société mais des exploitants nucléaires, ou indirectement des clients finaux qui achètent l’électricité. Sur chaque kilowattheure de courant nucléaire acheté, environ un centime est utilisé pour financer la désaffectation et la gestion des déchets. Les exploitants sont tenus légalement de démanteler leurs installations une fois qu’elles sont définitivement arrêtées, et de stocker de manière sûre, dans un dépôt profond, l’ensemble des déchets radioactifs produits. Et c’est à eux de supporter l’ensemble des coûts associés à ces deux activités.Pour ce faire, ils alimentent le fonds de désaffectation et le fonds de gestion des déchets radioactifs durant toute la durée du fonctionnement des installations. Les coûts du démantèlement sont estimés sur la base de valeurs empiriques en provenance d’Allemagne. Ces estimations sont recalculées tous les cinq ans dans le cadre d’études de coûts, en prenant en compte le nouvel état de la technique, sous la surveillance de la Confédération.

«L’énergie nucléaire est trop chère»
Il existe plusieurs sources et calculs pour déterminer le prix de revient de l’électricité. L’Association des entreprises électriques suisses (AES) estime le coût de revient de l’électricité nucléaire entre 4 et 7 ct/kWh, ce qui fait de la technologie nucléaire l’une des technologies de production d’électricité les moins coûteuses.

Sur mandat de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), l’Institut Paul-Scherrer (PSI) a réalisé l’étude «Potentiels, coûts et impact environnemental des installations de production d’électricité», dans laquelle il présente les coûts de revient actuels et attendus de plusieurs sources d’énergie. Les nouvelles constructions nucléaires ont été prises en compte.

Stromgestehungskosten im Vergleich
Comparés aux coûts des autres formes d’énergie, les coûts de la production d’électricité d’origine nucléaire sont très bas.
Source: BFE

Les conclusions des organisations internationales sont identiques. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) arrive même à des valeurs légèrement inférieures à celles de l’AES et du PSI. Toutefois, elle ne fournit aucune indication explicite sur de nouvelles constructions en Suisse.

L’étude de l’entreprise américaine de conseil financier et de gestion d’actifs Lazard, actualisée chaque année, aboutit à un résultat bien différent: ses auteurs estiment les coûts de revient de l’électricité nucléaire entre 13 et 20 ct./kWh, ce qui est très élevé comparée à d’autres études. Toutefois, cette étude ne concerne que les États-Unis et des durées de fonctionnement comprises entre 40 et 60 ans. Cela représente une augmentation des coûts de l’ordre de 150%.

«Les centrales nucléaires sont à l’origine des bombes atomiques»
Un des mythes les plus répandus veut que les centrales nucléaires encouragent la construction de bombes atomiques. La terreur suscitée par ces bombes date des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, lors de la Seconde Guerre mondiale. Or jamais encore dans l’histoire de l’Humanité, des centrales nucléaires en service commercial n’ont été utilisées pour produire du plutonium militaire (Pu-239). D’ailleurs, certains pays dotés de l’arme nucléaire ne possèdent aucune centrale nucléaire en service commercial, comme c’est le cas d’Israël et de la Corée du Nord.

Par ailleurs, la production de Pu-239 est tout simplement impossible dans les réacteurs à eau légère que nous utilisons. Certes, ces réacteurs génèrent du PU-239, mais celui-ci est trop fortement contaminé par le Pu-240. Or pour atteindre une masse critique, le plutonium de qualité militaire doit être constitué d’au moins 92% de Pu-239. Il est impossible d’atteindre de telles valeurs dans nos centrales nucléaires conventionnelles.

Ces préjugés et mythes ne sont que des exemples parmi de nombreux autres qui mériteraient, eux aussi, d’être clarifiés. Et avant d’accorder trop d’importance aux bruits de couloir, mieux vaut s’informer sur des sites officiels ou se rendre directement au cœur de l’action, dans les centres pour visiteurs des centrales nucléaires.

Auteur

Aileen von den Driesch, Forum nucléaire suisse, cheffe de projet Communication (traduction: Claire Baechel)

Restez informé-e!

Abonnez-vous à notre newsletter

Vers l’abonnement à la newsletter

Profitez de nombreux avantages

Devenez membre du plus grand réseau nucléaire de Suisse!

Les avantages en tant que membre