Pas de tournant énergétique sans sacrifices douloureux
Dans sa Stratégie énergétique, la Confédération part du principe que la neutralité climatique peut être atteinte d’ici 2050 exclusivement à l’aide d’énergies renouvelables et à un coût modéré. L’analyse montre que l’objectif est certes en principe réalisable, mais au prix de concessions importantes en termes de protection du paysage.
Dans les rapports techniques des Perspectives énergétiques 2050+, la Confédération présente concrètement, à l’aide de différents scénarios, la manière dont elle entend mettre en œuvre la Stratégie énergétique. Selon le scénario de base, la consommation d’électricité n’augmentera que de 29% d’ici 2050, malgré une croissance de la population de 14% et une électrification presque complète du système énergétique. La Confédération part du principe que cette augmentation de la consommation, ainsi que les besoins supplémentaires découlant de la disparition de l’énergie nucléaire, pourront être couverts en grande partie par le photovoltaïque sur les bâtiments, ainsi que par un peu d’énergie éolienne et de géothermie. Avec un tel mix de production, il n’y aura pas assez d’électricité en hiver, et l’idée de la Confédération est de combler ce manque par de l’éolien européen, en misant en outre sur d’importantes importations de biogaz et d’hydrogène pour remédier à d’éventuelles difficultés d’approvisionnement.
Cette vision des choses est controversée. Elle fait notamment l’objet de critiques de la part des milieux scientifiques. Le principal reproche adressé aux autorités est que la transformation du système énergétique requise est présentée de manière trop optimiste et que ses coûts sont sous-estimés.
Et, de fait, les conclusions de la Stratégie énergétique ne sont pas reproductibles sur la base des rapports publiés à son sujet. Même le rapport technique de 461 pages sur les Perspectives énergétiques 2050+ contient une multitude d’hypothèses invérifiables à propos de l’évolution future des comportements d’utilisation, de la mise en œuvre des technologies, de l’efficacité énergétique, ainsi que des renvois à des modèles internes des auteurs du rapport, ce qui rend toute vérification quasiment impossible.
Comme je voulais malgré tout en savoir plus, j’ai tenté dans mon blog
(www.georgschwarz.ch/energiewende) de vérifier la plausibilité des scénarios des Perspectives énergétiques 2050+ à l’aide d’une approche simplifiée. Disons-le sans détour: l’objectif du zéro émission nette est réalisable sans énergie nucléaire. Mais pas de la manière décrite par la Confédération.
Le scénario de base des Perspectives énergétiques 2050+ est un scénario de beau temps qui repose sur des hypothèses excessivement optimistes. Le système énergétique proposé mise essentiellement sur le photovoltaïque sur bâtiment pour fournir de l’électricité. Malheureusement, d’un point de vue technique, le photovoltaïque sur bâtiment est de loin la pire des solutions. L’électricité est surtout produite lorsque nous n’en avons pas besoin. Durant le semestre d’hiver, lorsque les pompes à chaleur doivent fonctionner, les installations photovoltaïques sur bâtiment ne fournissent que 26% de leur production annuelle. Les 74% restants sont produits en été, lorsque la consommation d’électricité est moindre. De plus, avec un coût de production moyen de 120 CHF/MWh, le photovoltaïque sur bâtiment est la deuxième source d’électricité renouvelable la plus chère. Seule l’électricité produite par les petites centrales hydroélectriques a un coût encore un peu plus élevé: 125 CHF/MWh.
D’un autre côté, les installations photovoltaïques sur bâtiment ne portent pas atteinte au paysage, ce qui explique qu’elles soient largement incontestées par la population. Les oppositions sont rares. Contrairement à d’autres installations de production, les projets planifiés peuvent donc être mis en œuvre rapidement.
En donnant la priorité au photovoltaïque sur bâtiment, les Perspectives énergétiques 2050+ empruntent la voie de la moindre résistance. Une production principale réalisée au moyen du photovoltaïque sur bâtiment a toutefois pour effet de créer une pénurie d’approvisionnement en hiver. Par conséquent, la Suisse dépendra à l’avenir beaucoup plus des importations qu’aujourd’hui pour couvrir ses besoins durant la saison froide. Ainsi, le scénario ZÉRO base (CN 50 ans) des Perspectives énergétiques 2050+ prévoit des importations nettes de 15,6 TWh pour l’hiver 2034, ce qui correspond à un triplement par rapport à aujourd’hui.
De manière générale, la Stratégie énergétique n’accorde qu’une faible importance à la question de la sécurité d’approvisionnement. Or, comme le montre la crise actuelle, les importations nécessaires ne sont nullement garanties en cas de pénurie d’énergie en Europe.
Contrairement à ce que laissent entendre les Perspectives énergétiques 2050+, il existe bel et bien des solutions de rechange au photovoltaïque sur bâtiment qui permettent d’atteindre l’objectif du zéro émission nette sans énergie nucléaire: les installations solaires alpines et les éoliennes, qui fournissent respectivement 55% et 66% de leur production annuelle d’électricité pendant le semestre d’hiver, c’est-à-dire lorsqu’on en a besoin. Avec des coûts de103 CHF/MWh et 88 CHF/MWh respectivement, elles sont en outre nettement moins chères. Malheureusement, les installations solaires alpines et les éoliennes présentent aussi des inconvénients, et non des moindres, car pour assurer l’approvisionnement en électricité de la Suisse, il faudrait disposer de 5000 éoliennes et de 70 km2 d’installations solaires dans les Alpes. Cela représente une intervention massive dans le paysage suisse. Cette extension se heurtera donc à une forte résistance.
Mais sans ces installations de production controversées, le tournant énergétique n’est pas réalisable. Mes calculs montrent que la seule technologie de production incontestée, le photovoltaïque sur bâtiment, ne permet pas de garantir un approvisionnement sûr en électricité. En hiver, il faut impérativement pouvoir s’appuyer sur le photovoltaïque alpin et l’éolien.
La situation est encore compliquée par le fait que la construction de parcs solaires alpins et d’éoliennes se heurte à des obstacles juridiques importants. Les possibilités de recours existantes permettent de retarder fortement, voire de bloquer complètement les projets éoliens. Quant à la construction d’installations photovoltaïques sur des surfaces libres en dehors des zones à bâtir, elle est en principe interdite à l’heure actuelle.
Le Parlement a reconnu que les obstacles juridiques à la construction de grandes installations éoliennes et solaires devaient être levés afin que celles-ci puissent être réalisées à l’échelle requise. Le débat politique lié à cette suppression permettra enfin de traiter des questions que la Stratégie énergétique de la Confédération s’est bien gardée d’aborder jusqu’ici: à quels compromis sommes-nous prêts pour atteindre les objectifs climatiques? Sommes-nous disposés à sacrifier des paysages de montagne jusqu’ici intacts, de grande importance entre autres pour le tourisme, afin d’assurer notre sécurité d’approvisionnement? Ou préférons-nous en fin de compte vivre malgré tout avec l’énergie nucléaire? Car une chose devrait maintenant être bien claire: sans nucléaire, la transition énergétique passe obligatoirement par des sacrifices douloureux en termes de protection du paysage.
Auteur
Georg Schwarz, Conseiller indépendant