Allocution présidentielle de M. Bruno Pellaud présentée à l’occasion de la 2e assemblée générale ordinaire du Forum nucléaire suisse du 28 juin 2006 à Berne

27 juin 2006
Bruno Pellaud
Bruno Pellaud
Source: Keystone

Mesdames, Messieurs,

L'intérêt porté ces derniers mois à l'énergie nucléaire en tant que pilier incontournable de l'approvisionnement électrique actuel et futur a considérablement progressé, l'augmentation des prix du gaz et du pétrole n'étant pas pour rien dans cette évolution.

La question d'un approvisionnement en électricité fiable, suffisant et économique est une chose. Mais il en est une autre qui me semble encore plus tout aussi essentielle, à savoir l'importance croissante de l'énergie nucléaire pour la protection de l'environnement et du climat. De larges milieux de la population, parmi lesquels les mouvements écologistes et de protection de l'environnement notamment, commencent à se rendre compte du fait que les centrales nucléaires produisent de l'électricité sans pratiquement aucune émission de CO2. J'espère que vous avez lu la contribution que Patrick Moore a bien voulu nous fournir pour notre rapport annuel 2005. Dans son article intitulé «L'énergie nucléaire, la solution alternative qui a fait ses preuves», le cofondateur de Greenpeace et ancien directeur de Greenpeace International explique qu'il se compte parmi les écologistes qui considèrent - citation - «que loin d'être un problème, l'énergie nucléaire constitue au contraire un atout indispensable pour maîtriser les défis les plus importants qui se posent à l'humanité. Combinée à d'autres sources d'énergie alternatives telles que le solaire, la géothermie, l'éolien et l'hydraulique, l'énergie nucléaire reste la seule voie praticable, sûre et respectueuse de l'environnement pour résoudre la crise énergétique mondiale qui menace». Fin de la citation.

Greg Bourne, directeur du World Wildlife Fund en Australie, s'associe également à ce point de vue, du moins en partie, dans la déclaration suivante qu'il a faite le 4 mai de cette année lors d'une interview: «Certes, nous ne croyons pas que l'énergie nucléaire soit la solution du problème climatique. Mais c'est un fait: plus de 440 centrales nucléaires sont exploitées dans le monde et d'autres sont projetées ou en construction. Certains semblent souhaiter que nous n'ayons jamais ouvert cette boîte de Pandore, mais nous sommes suffisamment honnêtes pour reconnaître l'ampleur des défis posés à l'heure actuelle. Le monde doit stopper le réchauffement global catastrophique auquel nous assistons actuellement, et nous devons à cette fin préserver toutes les possibilités disponibles.»

Le tournant est en partie amorcé dans le camp de l'environnement

J'espère que nous pourrons inviter bientôt à une prochaine assemblée générale une personnalité influente du mouvement écologiste pour nous présenter la conférence que nous écoutons traditionnellement à cette occasion. Cette ouverture a déjà eu lieu dans le sens contraire. Manfred Thumann, membre de notre Comité et membre de la direction d'AXPO, a exposé il y a quelques semaines, lors d'un congrès de la Fondation suisse de l'énergie, mouvement d'opposants, les avantages de l'énergie nucléaire. Sur invitation, j'ai fait quelque chose de similaire lors d'une assemblée des Verts du canton du Valais … et je suis toujours en vie! A Zurich et à Sion, les discussions ont été animées, mais correctes.

En Suisse, ce sont les fondateurs du mouvement écologiste qui ont été dès le début favorables à l'énergie nucléaire. En 1965, c'est un ministre socialiste et les écologistes de PRO NATURA qui voulurent des centrales nucléaires, malgré les grandes réticences des compagnies d'électricité. Les arguments d'alors retrouvent leur actualité en 2006. L'hydraulique (la «houille blanche») s'approchait déjà de son plafond. Il y avait une forte opposition envers les centrales au mazout dans toute la Suisse. Dans son rapport de gestion de 1964, le Conseil fédéral déclarait que «l'économie électrique suisse doit aujourd'hui - et pas seulement demain - choisir de manière définitive de baser sa production sur la force hydraulique et l'énergie atomique et de conjuguer ces deux agents énergétiques en un système rationnel.»

Dans un discours menaçant prononcé cette année-là devant l'Association des entreprises électriques suisses à Sion, le Conseiller fédéral Willy Spühler - socialiste de son état - admonestait l'économie électrique et lui demandait d'entreprendre «sans tarder la construction de centrales atomiques».

Les écologistes n'étaient pas en reste, en tous cas pas la plus grande organisation de l'époque, La Ligue suisse pour la protection de la nature (Schweizerischer Bund für Naturschutz), qui devint plus tard PRO NATURA. Selon sa revue «Protection de la Nature» («Naturschutz») de février 1966, le compte-rendu de la réunion du Comité directeur du 11 décembre 1965 tenait un langage sans ambiguïté:

  • La construction de nouveaux barrages n'est plus justifiée. Les avantages ne sont plus en rapport avec les dommages causés au paysage et aux eaux.
  • Un risque grave: la pollution atmosphérique par les centrales fossiles.
  • La Ligue soutient l'avis exprimé à maintes reprises par le Conseil fédéral de passer directement à l'énergie atomique.
  • Maintenir la qualité de l'air et des eaux, et aussi du paysage naturel: une mission et une responsabilité des pouvoirs publics.

Complémentarité des sources d'énergie

Il reste à espérer qu'en Suisse également, des organisations écologistes telles que Greenpeace, WWF et Pro Natura mettent un terme à la guerre d'usure idéologique et abordent la question de l'énergie avec davantage d'objectivité et de sérénité, et, comme Patrick Moore, insufflent la complémentarité des diverses sources d'énergie dans la discussion politique.

L'Association des entreprises électriques suisses AES met elle aussi cette complémentarité en exergue. Dans la foulée d'une longue série de travaux antérieurs, elle a présenté le 12 mai 2006 la «Prévision 2006 sur l'approvisionnement de la Suisse en électricité jusqu'en 2025/2050». Je voudrais extraire les deux citations suivantes des conclusions de ce travail approfondi:

  • «[La branche de l'électricité] devra intensifier les travaux de planification et de construction de centrales de manière décidée afin de pouvoir satisfaire les attentes des clients en matière de sécurité d'approvisionnement. L'introduction de demandes d'autorisation générale pour la construction d'installations nucléaires relève du même degré de priorité que la planification et la réalisation de premières centrales au gaz ou que les projets d'augmentation de puissance dans les centrales hydrauliques.»
  • «Ne pas décider, c'est décider quand même; en l'occurrence, cela revient à opter implicitement pour un futur approvisionnement national basé sur des installations au gaz et sur des importations de courant, ce qui représente une augmentation des émissions de CO2 et une dépendance accrue de l'étranger.»


En 2006 comme en 1965, la branche de l'électricité porte une grande responsabilité en matière de sécurité d'approvisionnement et de prospérité de la Suisse. Elle a besoin pour cela, aujourd'hui également, du soutien ferme des instances politiques.

Ce soutien pourrait se traduire par exemple par le fait que nos représentants politiques s'acquittent de leurs responsabilités et prennent sans tarder des décisions claires sur la garantie durable et à long terme de notre approvisionnement en électricité.

L'actualité politique

Un exemple d'une actualité politique toute particulière, c'est la démonstration de la faisabilité du stockage géologique, démonstration que le Conseil fédéral va probablement approuver ces heures prochaines. C'est une étape importante sur la voie de l'aménagement d'un dépôt géologique en profondeur. Elle marquera l'achèvement des travaux géologique exemplaires menés par la Nagra, et signifiera que cette question est enfin entrée dans une phase politique.

Le Plan sectoriel «Dépôts en couches géologiques profondes» constitue précisément une question d'une portée éminemment politique. Il s'agit ici pour nous de rester vigilant, de manière à ce que les décisions puissent être prises rapidement - par l'exécutif et le législatif et éventuellement par les citoyens - et que ce dossier brûlant ne soit pas simplement «refilé» à notre branche. Nous devons aussi veiller constamment à ce que cette question - c'est-à-dire un dépôt géologique sûr en couches profondes - soit au centre de la discussion, et nous devons opposer un «non» catégorique à toute tentative de temporisation et d'obstruction motivée par des considérations purement politiques. Il est possible, à l'heure actuelle, de résoudre la question de la gestion des déchets radioactifs pour le bien des générations futures. Il ne manque plus que la volonté politique de mise en œuvre de la solution. Nous attendons du Conseil fédéral qu'il assume la direction de cette affaire au niveau politique.

Troisième question d'actualité : la révision de la loi sur la responsabilité civile en matière nucléaire. Nous nous félicitons de la ratification par la Suisse des Conventions internationales sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire. Ces conventions ont pour effet que la prévoyance de couverture des exploitants de centrales nucléaires qui prévaut dans tous les pays contractants a été augmentée et atteint plus ou moins maintenant le niveau de la règlementation suisse actuellement en vigueur. Le désavantage économique qui pesait auparavant sur la production suisse d'électricité nucléaire «aurait» ainsi été supprimé. Je dis «aurait», car selon le projet mis en consultation, et alors que les armes étaient enfin devenues égales avec l'étranger, le Conseil fédéral veut revenir en arrière et appliquer une solution spéciale suisse qui entraînera un renchérissement de la production d'électricité nucléaire dans notre pays, et donc une distorsion de concurrence. Et ceci sans qu'il en résulte la moindre utilité supplémentaire pour la population, ou un gain quelconque de sécurité. Pour que nous puissions approuver la révision de la loi, le projet doit encore être remanié sur ce point.

Face à toutes ces décisions en suspens, nous invitons les milieux politiques à adopter l'esprit de Willy Spühler des années 60 et à faire preuve ouvertement de volonté d'entre-prendre. C'est avec satisfaction que le Forum nucléaire suisse fournit sa contribution à un débat objectif. Mais à notre époque où l'information est diffusée par bribes dans le style de «20 minutes», il est difficile de trouver des oreilles réceptives dans le public. Mais nous sommes têtus, et nous trouverons les moyens de faire passer notre message. Nous sommes persuadés en effet que la raison finira par s'imposer. Écoutons encore Willy Spühler dans une conférence qu'il avait présentée à l'assemblée générale de l'ASPEA le 9 juin 1964 à Berne (je cite): «(…) Il faudra choisir à chaque époque une politique énergétique conforme aux objectifs fondamentaux, selon les critères du moment et de ceux de l'avenir. On pourra éviter ainsi que soient prises des décisions motivées clairement par des considérations du moment (…).»

Nous exigeons des milieux politiques non seulement l'esprit d'entreprise, mais aussi une vue à long terme. Et dans le cas de notre approvisionnement en énergie, l'horizon n'est pas de 4 ans, mais de 40, 50, 60 ans. Nous avons bien conscience du fait qu'à une époque où deux fois 45 minutes présentent l'alpha et l'oméga de la mesure du temps, ceci constitue un grand défi.

Source

Forum nucléaire suisse

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