Assemblée annuelle 2011 du Forum nucléaire suisse: «L'énergie nucléaire, une question de foi?»

L'assemblée annuelle 2011 du Forum nucléaire suisse qui s'est déroulée le 5 mai 2011 à Berne a drainé quelque 150 participants des milieux politiques, économiques, scientifiques et administratifs et a été consacrée pour l'essentiel à l'opinion publique en matière d'énergie nucléaire. Sur fond des événements à Fukushima, les participants ont abordé le mode de communication de l'Allemagne, le traitement du sujet dans les médias suisses et les moyens d'exercer une influence politique en la matière. Des critiques ont, en l'espèce, été adressées aux médias et aux milieux politiques.

13 mai 2011
Corina Eichenberger: «Si nous entendons scier la branche sur laquelle nous sommes assis, nous devons au moins en laisser pousser une nouvelle qui soit solide.»
Corina Eichenberger: «Si nous entendons scier la branche sur laquelle nous sommes assis, nous devons au moins en laisser pousser une nouvelle qui soit solide.»
Source: Forum nucléaire suisse / Thai Christen

Dans son allocution de bienvenue à l'assemblée annuelle, la présidente Corina Eichenberger a souligné que l'accident de Fukushima n'avait en rien modifié les faits relatifs à l'énergie nucléaire en Suisse. Seul le débat politique concernant ces faits a changé. «Les centrales nucléaires suisses sont tout aussi sûres après le tsunami qu'auparavant» e-t-elle souligné. L'accident au Japon remet néanmoins tout l'acquis en question, notamment la politique énergétique du Conseil fédéral. La réflexion rationnelle a cédé le pas aux émotions et à l'opportunisme jusqu'aux échelons politiques les plus élevés. Ce qui fait naître des doutes chez beaucoup de Suisses et de Suissesses. D'où un appel à la pondération. Le Forum nucléaire dispose des données nécessaires pour répondre aux besoins d'information de la population. Cela ne requiert aucun nouveau message: «Nous disons oui au nucléaire et à la force hydraulique. Nous disons oui aux nouvelles énergies renouvelables dans la mesure où elles sont compatibles avec les impératifs économiques et écologiques. Nous sommes ouverts à toute solution réaliste de notre problème énergétique». La conseillère nationale Eichenberger a saisi l'occasion pour remercier le personnel des centrales nucléaires puisqu'en dépit des pressions médiatiques permanentes, il continue d'assurer jour et nuit notre approvisionnement en électricité. Mais une certitude ressort de la confusion actuelle: quel que soit l'avenir énergétique de notre pays, il ne sera pas une simple partie de plaisir.

Mathias Schuch: lorsque la tête essaie de parler avec les tripes

Dans le premier exposé présenté à l'assemblée de cette année, Mathias Schuch, chef de la communication à l'entreprise allemande Areva NP GmbH, a tiré de premiers enseignements des événements au Japon. Selon Schuch, les médias allemands ont si fortement dépassé les bornes après l'accident de Fukushima que même l'ambassadeur du Japon s'en est plaint publiquement. S'y ajoute que les campagnes des anti-nucléaires deviennent toujours plus efficaces et qu'elles mettent la peur à profit pour miner le travail d'information des partisans. «Nous devons admettre, qu'en Allemagne du moins, nous nous mouvons sur un sol toujours plus fragile au niveau des objectifs de la branche. Et non pas parce que nos arguments sont mauvais, mais parce que les campagnes des anti-nucléaires gagnent en efficacité», a résumé Schuch. Auparavant, les électriciens et l'industrie étaient parvenus à se faire entendre au fil des ans en avançant des arguments objectifs, ralliant ainsi les majorités politiques en faveur du nucléaire. Il y a une année encore, les représentants politiques de la coalition gouvernementale se montraient pour la plupart favorables au nucléaire; aujourd'hui, après Fukushima, nous constatons une surenchère entre tous les partis pour ce qui est de l'exigence d'une sortie aussi rapide que possible du nucléaire.

Le débat sur l'atome au fil du temps en Allemagne

En Allemagne, l'énergie nucléaire s'est transformée en pomme de discorde très peu de temps après son introduction. Venu des Etats-Unis, le mouvement écologiste fit son apparition en Europe dans les années 1960, donnant naissance aux premiers groupes de militants. La grande peur de l'avenir commença à remplacer la confiance dans le progrès technique, et dans les années 1970, le mouvement écologiste se fraya une place dans la politique allemande avec la création des Verts. L'accident de Tchernobyl donna un nouvel élan au mouvement anti-nucléaire ouest-européen, ce qui conduisit à une adaptation de la loi allemande sur l'énergie nucléaire. Les thèmes de la prolifération, du danger des faibles radiations, de l'évacuation des déchets, sans oublier la menace des chutes d'avions, allaient, eux aussi, revenir régulièrement sur le tapis. Tout cela entraîna, dans la politique allemande, la disparition du consensus sur la question nucléaire. Quant à connaître les raisons de cette disparition, Schuch s'est montré autocritique en se demandant après coup si les partisans du nucléaire avaient bien procédé aux bonnes évaluations et abordé les bonnes questions. Et la réponse de Schuch est partiellement négative. Pour commencer, le mouvement anti-nucléaire a été sous-estimé. Les messages n'ont, par ailleurs, pas toujours été très adéquats: «Nous répondons à tous les doutes concernant notre technologie et les accidents en usant de notre expertise d'ingénieur et pensons ainsi nous faire entendre de l'opinion publique». L'industrie n'a pas non plus réussi à rallier des milieux importants - les syndicats, par exemple - ni à mener en sa faveur la discussion éthique sur l'énergie nucléaire. Or seriner uniquement les faibles risques du nucléaire ne suffit pas. En résumé, la branche n'a pas préparé les bonnes réponses à la tactique agressive des opposants, ce qui s'est, au final, traduit par le large écho donné dans les médias à l'alarmisme.

Mathias Schuch: «Nous devrons communiquer autrement, car il est impossible de combattre les émotions avec des faits.»
Mathias Schuch: «Nous devrons communiquer autrement, car il est impossible de combattre les émotions avec des faits.»
Source: Forum nucléaire suisse / Thai Christen

Un défi pour la communication en matière nucléaire

Dans ce contexte d'une communication faite de doutes irrationnels et de peurs savamment orchestrées, la cote de confiance des partisans et des représentants de l'énergie nucléaire est tombée très bas dans le public. Selon des sondages actuels, près de 80% des Allemands souhaiteraient aujourd'hui l'arrêt aussi rapide que possible de tout le parc nucléaire. Et même si l'on découvre quelques considérations plus nuancées parmi toutes les voix critiques, la branche est placée devant de nouveaux défis en matière de communication avec le public. Il s'agira en l'espèce d'exprimer des avis clairs sur différentes questions: «Pourquoi l'énergie nucléaire reste-t-elle justifiée? Un accident tel que celui de Fukushima fait-il partie des risques résiduels auxquels notre société industrielle moderne doit se résigner? Quelle est l'importance du nucléaire dans notre futur approvisionnement en énergie? Quelles sont les solutions alternatives?» Schuch a précisé à ce propos que la solution de «ou l'un ou l'autre», c'est-à-dire le choix entre le nucléaire ou le renouvelable était insensé. Celui qui se porte garant du nucléaire doit pouvoir expliquer de manière crédible que des accidents du genre de Fukushima sont impossibles dans les installations allemandes. Il s'agit d'accorder aux questions et aux préoccupations de la population tout le sérieux qu'elles méritent et de proposer un dialogue actif. C'est du reste valable pour les autres agents énergétiques et les grands projets d'infrastructure. Fukushima a notamment démontré qu'il fallait aborder autrement la communication en matière nucléaire, car il est impossible de combattre les émotions avec des faits».

Roger Köppel: la grande chasse aux sorcières

Roger Köppel, éditeur et rédacteur en chef de la Weltwoche, a comparé dans son exposé les nouvelles des médias sur l'énergie nucléaire avec la chasse aux sorcières faite dans les années 1990 au génie génétique. Il a adressé de violentes critiques aux médias suisses pour la partialité de leurs comptes rendus, en particulier après les événements tragiques au Japon. Selon Köppel, les comptes rendus sur l'énergie nucléaire ont perdu toute mesure après le 11 mars 2011: ils ont semé le catastrophisme, allant jusqu'à évoquer l'apocalypse. La Weltwoche a taxé cette industrie du désastre de «fusion du cœur de la raison». L'hebdomadaire se fait fort d'enrayer cette tendance et se sent le devoir de reprendre le contrôle de ce courant de pensée majoritaire.

La Suisse n'est pas le Japon

Köppel a, dans son discours passionné, ouvertement tancé les médias suisses. Ses collègues suisses ont, d'après lui, trop peu relativisé les événements en se rendant coupables de désinformation. Les victimes du séisme et du tsunami sont très rapidement tombées dans l'oubli, et dans tout cet amalgame de comptes rendus, les médias ont créé des scénarios alarmistes en se servant de la terreur des radiations. C'était placer le «méchant et mensonger lobby nucléaire» face aux «experts atomiques» irréprochables de Greenpeace et d'autres organisations similaires. Que la situation de la Suisse ne soit en rien comparable à celle du Japon est un fait qui a le plus souvent été oblitéré. Pour Köppel, l'explication de cette évolution réside dans le fait que le mouvement anti-nucléaire est né du mouvement pour la paix et qu'il est donc largement accepté aujourd'hui. S'y ajoute le constat que les équipes de rédaction comptent pas mal d'écologistes et d'anciens activistes de la paix toujours engagés. Köppel en a donc appelé à la responsabilité des médias pour l'influence qu'ils exercent sur la formation de l'opinion publique et sur les milieux politiques. La surévaluation collective des dangers du nucléaire et la surestimation générale des énergies renouvelables vont de pair et recèlent ainsi une menace de poids pour le débat sur la politique énergétique.

Le lobby nucléaire, comme David contre Goliath?

Pour terminer, Köppel a abordé les critiques adressées au lobby nucléaire. Il a retourné une comparaison faite par l'orateur précédent: aux yeux de Köppel, ce sont les pro-nucléaires qui sont placés comme David face au Goliath tout-puissant du mouvement des opposants et de la plupart des médias et qui doivent de ce fait se défendre par la «ruse et l'habileté». Et Koppel de divulguer la parade: le dénommé lobby nucléaire est appelé à se présenter d'une manière plus décidée et avec plus de hardiesse, il doit se montrer plus ostensible et parfois même oser la provocation.

Roger Köppel: «Un lobby nucléaire? Je ne connais rien de tel. Il serait peut-être temps d'en créer un.»
Roger Köppel: «Un lobby nucléaire? Je ne connais rien de tel. Il serait peut-être temps d'en créer un.»
Source: Forum nucléaire suisse / Thai Christen

Chantal Balet: l'influence des campagnes politiques sur la formation de l'opinion publique

Chantal Balet, présidente de la Fédération romande pour l'énergie (FRE), a expliqué aux personnes présentes l'influence que peut exercer une campagne politique sur le processus de formation de l'opinion publique. Elle a souligné d'emblée que dans ledit processus, une campagne ne constituait qu'un élément parmi d'autres, qu'elle n'était pas déterminante de la décision et qu'elle n'était qu'un facteur d'influence. Balet a illustré ses propos par le comportement des votants romands lors de l'initiative du COSA («Bénéfices de la Banque nationale pour l'AVS») de 2006 et de l'initiative de 2003 pour l'abandon du nucléaire. D'importantes campagnes ont été menées avec succès contre ces deux initiatives. L'ancienne directrice de la section romande d'economiesuisse a enfin souligné que les campagnes politiques subissaient, elles aussi, l'œuvre du temps et que leurs mécanismes devaient être adaptés à un monde toujours plus rapide. «On vote aujourd'hui comme on consomme – par un simple «clic de souris» –, en faisant référence à Internet et en soulevant la question de l'avenir de la démocratie directe, de la culture et du civisme.

Chantal Balet: «Les discussions sensées sont rares en année électorale.»
Chantal Balet: «Les discussions sensées sont rares en année électorale.»
Source: Forum nucléaire suisse / Thai Christen

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M.Re./P.V.

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