«Comme homme jeune, cette technique me parle clairement»
Le conseiller national Christian Wasserfallen, membre de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie (Ceate) du Conseil national et nouvellement appelé au comité du Forum nucléaire suisse, prend position sur les débats actuels relatifs à l'énergie nucléaire et s'exprime sur la perception d'un jeune ingénieur dans la société actuelle.

Forum nucléaire: L'expérience tirée de l'environnement international montre que le renouvellement du parc électronucléaire est difficile si le vent de la gouvernance politique ne souffle pas au portant. Etes-vous satisfait de notre gouvernement de ce point de vue?
Christian Wasserfallen: Le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a fièrement mentionné dans son discours d'adieu au Parlement qu'il n'aura pas été contraint d'inaugurer une nouvelle centrale nucléaire au cours de son mandat. Il ne faisait que confirmer que le département manquait de motivation pour reconnaître les chances de l'énergie nucléaire et aborder la question par une attitude résolue.
Qu'attendez-vous de Doris Leuthard, la nouvelle titulaire du Département de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication?
Je compte sur une détente idéologique dans le département. Une telle attitude est devenue très urgente du fait des demandes d'autorisation générale en suspens concernant le renouvellement du parc nucléaire et de la future construction des dépôts en couches géologiques profondes.
Qu'attendez-vous des partis bourgeois? Leur engagement en faveur de l'énergie nucléaire est-il suffisant?
L'engagement est présent, sans conteste. Mais il faut bien se dire que pour beaucoup d'élus des partis bourgeois l'énergie n'est pas un thème de discussion qui incite à se pencher à la fenêtre. Comme homme jeune, cette technique me parle clairement, ceci toujours dans le contexte de la stratégie des quatre piliers du Conseil fédéral: efficacité énergétique, énergies renouvelables, centrales nucléaires et politique extérieure de l'électricité.
En qualité de jeune politicien, vous sentez-vous porté par votre génération sur cette question?
Il est bien évident que les opinions sur le sujet sont loin de l'unanimité dans ma génération. Mais nous avons bien grandi avec les centrales nucléaires et ma génération n'en est pas à toujours citer Tchernobyl dès que nous parlons de nos centrales nucléaires suisses, car il s'agit bien de deux paires de chaussures distinctes. Comme représentant des jeunes générations, je suis heureux de constater que nous produisons notre électricité en Suisse pratiquement sans émissions de CO2. Nous pratiquons déjà cette politique des quatre piliers, et personne ne le conteste. Pourquoi devrions-nous agir autrement à l'avenir?
Quel est le rôle du secteur économique de l'électricité dans les débats sur le nucléaire?
Comme dans d'autres secteurs, le rôle primaire de l'économie est de produire des marchandises et des prestations de services et d'en assurer la distribution. Les conditions générales politiques sont en revanche définies par les politiciens. C'est pourquoi nous avons besoin d'une alliance politique large en faveur d'une politique électrique raisonnable, une politique qui s'appuie sur un mix de production aussi large que possible, centrales nucléaires comprises. Nous avons besoin de l'énergie nucléaire aujourd'hui comme demain si nous voulons assurer la sûreté de l'approvisionnement énergétique du pays, et ceci avec le moins d'émissions de CO2 possible.
Quelles exigences ou quels souhaits émettez-vous à l'adresse du secteur économique de l'électricité?
Nous constatons à l'exemple de la Suède que celui qui veut engranger des succès avec l'énergie nucléaire doit rechercher un dialogue ouvert avec la population. Il n'existe aucune échappatoire. Les peurs que nos adversaires se complaisent à faire naître dans l'esprit des gens peuvent et doivent être réfutées. Le secteur de l'électricité peut le faire au mieux en ouvrant aussi larges que possibles les portes des centrales nucléaires, de l'entrepôt de stockage intermédiaire et des laboratoires souterrains, comme c'est actuellement le cas. Mais on pourrait faire encore plus, comme rendre les centrales nucléaires attrayantes d'un point de vue touristique, comme en Suède. Car cette technique appartient à la Suisse depuis des décennies; elle constitue un sujet d'intérêt non seulement pour la population d'âge scolaire, mais également pour l'électeur qui désire s'informer.
Mais le camp hostile au nucléaire n'émet aucun signal de détente. Est-il envisageable de faire un pas en leur direction, par exemple sous la forme d'une taxe sur le combustible nucléaire pour le financement des énergies non renouvelables?
Non. Ce n'est aujourd'hui pas à nous de bouger, mais au camp adverse. Nous discutons au Parlement des quatre piliers tandis que la gauche verte fait de l'obstruction pour les grandes centrales. Nous nous engageons lorsqu'il s'agit de la rétribution de l'injection de courant. Nous nous engageons lorsqu'il s'agit d'énergie hydraulique et de protection des cours d'eau. Nous nous engageons lorsqu'il s'agit de négocier un accord sur le commerce de l'électricité avec l'UE. Mais lorsqu'il s'agit de centrales nucléaires, la gauche verte manipule tous les leviers pour ne pas prendre d'engagements dans ce domaine ou pour lever des barrières juridiques. Ce n'est que pure idéologie. Mais je dois bien constater que la gauche verte n'a pas la moindre intention de proposer quelque avancée constructive que ce soit.
Si notre parc nucléaire ne pouvait pas être renouvelé, le DETEC dispose-t-il d'un plan B?
Un tel plan ne pourrait nous être imposé que par les cercles de la gauche verte. Cela signifierait que la puissance électrique nucléaire non construite en Suisse devrait être approvisionnée à l'étranger, à savoir en France ou généralement dans l'UE. Cela pourrait aussi signifier que nous devions construire des centrales à gaz combinées, ce qui irait à l'encontre des objectifs des conditions politiques générales, puisque ces installations sont d'énormes productrices de CO2. Enfin, et nous y voyons bien là la tactique des adversaires du nucléaire, il ne restera plus qu'à dépendre de l'électricité éolienne étrangère. A lire entre les lignes, les adversaires confirment ainsi que si la Suisse devait renoncer à l'énergie nucléaire, elle ne pourrait s'en sortir qu'avec des importations d'électricité. Avec pour corolaire une dépendance encore plus grande de l'étranger et l'extension massive des réseaux de transport et de distribution. J'émets des doutes que la gauche verte accepte une telle extrémité, tout comme elle n'acceptera pas l'extension de nos capacités de production hydrauliques. Compte tenu de ce tissu de contradictions, je ne pense pas que les adversaires du nucléaire soient en mesure de proposer un plan B tangible; ce dernier, nous devrons aussi l'élaborer nous-mêmes.
Les résistances envers l'énergie nucléaire ont en partie leurs racines dans une attitude sceptique générale envers la technique. Comment ressentez-vous cela comme jeune ingénieur en mécanique?
Comme ingénieur, il est souvent difficile de rester calme dans des discussions aussi teintées d'idéologie que celles concernant l'énergie nucléaire. Lorsque l'on entend des propos aussi légers que «Nous sommes en mesure de créer en l'espace d'une nuit les conditions de production de plusieurs centaines de mégawatts», cela atteint vite pour l'ingénieur les limites du supportable. Il se peut que l'ingénieur soit perçu comme un technocrate, mais nous constatons bien aussi dans le domaine des techniques de l'information et de la communication la grande portée innovante des prestations de l'ingénieur ainsi que leur importance dans une société moderne.
Que signifie la construction d'une centrale nucléaire pour le site technologique Suisse?
Il s'agit d'une industrie de grande ampleur et je me fais du souci lorsque je me demande si nous disposerons à l'avenir en Suisse d'un nombre suffisant de spécialistes capables de construire et d'exploiter des centrales nucléaires. A cela viennent s'ajouter la réalisation et l'exploitation de dépôts en couches géologiques profondes, un tout nouveau secteur industriel en quelque sorte. Le déficit en ingénieurs et en spécialistes des sciences de la nature constitue néanmoins une difficulté d'ordre général dans notre société et ne touche pas seulement l'industrie nucléaire. Je suis très heureux de constater par exemple que l'Institut Paul-Scherrer et nos Ecoles polytechniques fédérales valorisent et développent le savoir-faire dans la technique nucléaire et la recherche sur la fusion. J'ai bon espoir que nous serons en mesure de former les spécialistes nécessaires.
L'entretien a été mené par Michael Schorer.
Sur la personne
Christian Wasserfallen, né en 1981, est conseiller national élu dans les rangs du PRD bernois et a été appelé au début de l'été à siéger au comité du Forum nucléaire suisse. Christian Wasserfallen a grandi à Berne et a obtenu un diplôme d'ingénieur en mécanique à la Haute école spécialisée bernoise pour la technique et l'informatique de Berthoud. Il est actuellement collaborateur scientifique à l'Institut des systèmes mécatroniques de la Haute école spécialisée bernoise de Berthoud.

Source
M.S./P.C.