D’abord la loi sur l’énergie nucléaire, la responsabilité civile ensuite

Par M. Christoph Stalder, président du Pool suisse d’assurance des risques nucléaires et membre de la direction de la Mobilière Suisse Holding SA. L’auteur est par ailleurs membre du comité de l’ASPEA. (Reproduction, avec l’autorisation de la rédaction, d’un article paru le 13 mai 2002 dans la Neue Zürcher Zeitung, NZZ. Traduction ASPEA.)

12 mai 2002

Multiples réglementations internationales en cours de révision

Une nouvelle loi sur l'énergie nucléaire est en cours d'élaboration aux Chambres fédérales. L'auteur plaide pour que ce travail législatif soit d'abord achevé, et pour que la loi sur la responsabilité civile en matière nucléaire ne soit révisée qu'ensuite, dans une phase ultérieure. Ceci parce que d'une part la loi actuelle constitue un instrument très avancé par comparaison internationale, et que d'autre part il faudrait, en cas d'adaptation, prendre en considération des réglementations intergouvernementales qui sont justement en cours de révision elles aussi.
Depuis le début de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire, les dangers potentiels de cette forme d'énergie sont connus et ont été minimalisés par des mesures correspondantes de précaution, sur le plan de la construction par des systèmes de sûreté redondants, sur le plan de l'exploitation par une formation et un perfectionnement professionnel approfondi d'un personnel qualifié. Le législateur a, pour sa part, édicté des prescriptions destinées en particulier à protéger l'homme et l'environnement, tout d'abord dans la loi atomique de 1959, puis dans la loi sur la radioprotection de 1991. Les dispositions sur la responsabilité civile, qui étaient fixées initialement dans la loi atomique, ont été enlevées de celle-ci et font actuellement l'objet de la loi sur la responsabilité civile en matière nucléaire de 1983. Le législateur est maintenant en train d'actualiser les bases de cet instrument par une nouvelle loi sur l'énergie nucléaire.

Forte responsabilité causale dans la loi
La loi actuelle sur la responsabilité civile en matière nucléaire prévoit la stricte responsabilité causale du propriétaire de l'installation nucléaire et canalise la responsabilité sur ce propriétaire, lequel répond avec toute sa fortune des dommages provoqués par des matières nucléaires dans son installation. La somme assurée est d'un milliard de francs pour les installations nucléaires, plus 100 millions de francs pour les intérêts et frais de procédure. Les risques assurés doivent être couverts auprès d'un assureur autorisé à opérer en Suisse; là où l'assureur privé connaît des exclusions de couverture, les risques doivent être assurés auprès de la Confédération. Ces exclusions de couverture, qui entraînent une garantie de la Confédération, concernent en particulier les dommages d'origine nucléaire provoqués par des catastrophes naturelles ou par des événements de guerre. Pour résoudre cette tâche, les compagnies d'assurance privées se sont regroupées au sein du "Pool suisse d'assurance des risques nucléaires" auquel participent pratiquement toutes les compagnies d'assurance directe et de réassurance hors secteur assurance vie. Chaque membre du Pool s'engage à répondre d'un sinistre jusqu'à concurrence de la couverture maximale qu'il a lui-même fixée. Les assureurs sont solidairement responsables vis-à-vis des lésés. Des Pools similaires existent dans la plupart des pays économiquement développés.
Les risques nucléaires échappent aux considérations habituelles en matière d'assurance: il s'agit d'un petit nombre de risques à assurer - il existe moins de 450 centrales nucléaires dans le monde - la probabilité qu'un dommage intervienne est très faible, et le potentiel de dégâts est très grand. C'est pourquoi seule la solidarité internationale des assureurs garantit que les risques parviennent en fait à être couverts.
La somme assurée de 1 milliard de francs a fait sauter cette solidarité en 1983, tous les autres pays, sans exception, prévoyant pour les installations aménagées sur leur territoire des sommes de garantie en partie nettement inférieures. C'est la raison pour laquelle lors de l'introduction de la loi, les assureurs privés n'ont pu mettre à disposition qu'une couverture de 300 millions de francs; la somme excédentaire a été garantie par la Confédération. Le Pool suisse est parvenu depuis à augmenter considérablement ses capacités. Depuis le 1er janvier 2001, le Pool est en mesure de mettre à disposition l'intégralité de la somme assurée, intérêts et frais compris, soit 1,1 milliard de francs, et il est ainsi possible de renoncer à une assurance complémentaire de la Confédération pour le volume normal de couverture.
Comme indiqué ci-dessus, les assureurs privés ont exclu dans leur couverture le risque de guerre. Par contre, la menace de terrorisme n'était pas expressément exclue jusqu'à présent. Les événements du 11 septembre ont abouti à une réévaluation de l'exposition aux risques majeurs: les centrales nucléaires sont considérées comme des risques cibles pour des attaques terroristes, et l'inclusion sans réserve de ce danger n'est plus systématiquement garantie. La branche des assurances travaille activement pour élaborer des modèles de couverture sur mesure pour ce danger également. Elle n'a pas l'intention de simplement déléguer le risque de terrorisme à l'Etat, de manière analogue au risque de guerre. Mais la recherche de solutions correspondantes et leur acceptation par les pools des divers pays exigent du temps.

Réévaluation du risque de terrorisme
Au niveau international, la "Convention de Paris" de 1960 sur la responsabilité vis-à-vis de tiers dans le domaine de l'énergie nucléaire règle la question de la responsabilité civile et le montant de la garantie. Une somme minimale de 150 millions de droits de tirage spéciaux, soit environ 330 millions de francs suisses, est recommandée aux pays membres. La Suisse a certes signé la convention, mais ne l'a pas ratifiée parce que cet instrument prévoit des sommes de responsabilité civile bien plus faibles et ne permet pas la responsabilité illimitée de l'exploitant. Cette Convention de Paris est en cours de révision; la nouvelle réglementation devrait s'aligner davantage sur la conception suisse que le texte actuel, mais les valeurs définitives de référence ne sont pas encore fixées à ce jour. En résumé, l'idée de surcharger l'introduction de la loi sur l'énergie nucléaire par des questions de responsabilité civile et de couverture d'assurance, et donc de retarder cette introduction, ne saurait être soutenue pour les raisons suivantes: la Suisse dispose de la loi sur la responsabilité civile nucléaire la plus avancée au niveau international, loi qui garantit à la population une protection généreuse. Dans l'incertitude actuelle sur la question du terrorisme, de nouvelles exigences de couverture qui iraient au-delà de celles qui prévalent actuellement seraient inopportunes. Des réglementations internationales font par ailleurs l'objet de réexamens qui seraient à prendre en considération en cas d'amendement éventuel de la loi suisse. La révision de la loi sur l'énergie nucléaire revêt à l'heure actuelle un caractère prioritaire. On pourra s'attaquer ensuite, lorsque les conditions de base seront plus claires, à la révision de la loi sur la responsabilité civile en matière nucléaire.

Source

Christoph Stalder, Traduction ASPEA

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