Energie nucléaire en Allemagne: le nouveau gouvernement renverse la tendance

Les actions des grands groupes énergétiques allemands E.On, RWE et EnBW ont enregistré une forte hausse immédiatement après la victoire du FDP lors des élections au Bundestag du 27 septembre 2009. Les valeurs de ces actions, celles d’EnBW en tête, avaient déjà progressé des semaines auparavant, lorsque la défaite électorale du SPD avait commencé à se dessiner. En accord avec les Verts, le SPD avait décidé la sortie du nucléaire en 1988 et introduit un accord avec l’industrie deux ans plus tard.

27 oct. 2009

La nouvelle coalition gouvernementale qui regroupe la CDU/CSU et le FDP, accorde une grande importance à l’électricité d’origine nucléaire. Ceci veut dire concrètement ce qui suit: la durée de fonctionnement des 17 centrales nucléaires allemandes, qui couvrent quelque 25% des besoins en électricité du pays, devraient être prolongées, respectivement ne pas être raccourcies, selon le point de vue d’où l’on se place. E.ON, RWE, EnBW et Vattenfall exploitent actuellement des réacteurs nucléaires. Le revirement qui vient de se produire équivaut à la rupture d’un tabou. Un autre tabou est (toujours) maintenu: la construction de nouvelles centrales nucléaires ne constitue pas un thème de discussion. A propos: quelque 29% de l’électricité de notre voisin ont été produits en 2008 par des centrales nucléaires.

Un fait est aussi certain: le lendemain du jour des élections, le cours des actions de la branche du solaire et de l’éolien ont baissé. SolarWorld a enregistré une chute de presque 5%. Q-Cells et SMA Solar ont affiché elles aussi des pertes considérables. La situation est similaire chez Nordex, qui fabrique des génératrices pour éoliennes. Guido Westerwelle, le chef de file du FDP, a l’intention de procéder rapidement à des réductions conséquentes des subventions, aussi pour les énergies renouvelables. Une telle politique n’a rien d’étonnant en soi: dès le début en fait, l’intention était de limiter dans le temps la rémunération de la mise sur le réseau de sources d’énergie alternatives. En 2008, le gouvernement fédéral a consacré l’équivalent de 3,3 milliards de francs suisses à la promotion de l’électricité solaire. Le coût de production des installations photovoltaïques a d’ailleurs diminué d’un tiers ces trois dernières années. Les entreprises purement solaires et éoliennes ne sont toutefois pas les seules à devoir compter avec une baisse des subventions. De grands groupes tels que E.ON, qui investissent beaucoup dans le domaine des énergies renouvelables, sont touchées eux aussi par cette baisse.

Les actionnaires relativisent d’autant plus les événements qui surviennent en Allemagne que les groupes sont actifs au niveau international. Ceci s’applique par exemple à E.ON et RWE, qui entendent participer aux projets britanniques de nouvelles centrales nucléaires et ont fondé à cette fin une entreprise commune. Mais ceci vaut également pour des fournisseurs internationaux de centrales tels que Siemens.

Le point de vue d’Angela Merkel

Qu’en est-il de la politique énergétique du futur gouvernement noir-jaune ? La chancelière fédérale Angela Merkel a fait le point à ce sujet le 1er juillet 2009 à l’occasion du 50e anniversaire du Forum atomique allemand (DAtF) à Berlin. Dans son allocution, elle a souligné que l’énergie nucléaire fournissait une contribution importante à l’approvisionnement en énergie. Parallèlement à une part de 30% d’électricité provenant d’énergies renouvelables, les 70% des besoins restants devraient être couverts par l’énergie nucléaire d’ici 2020, a déclaré Mme Merkel, en ajoutant ce qui suit: «Les sources d’approvisionnement énergétique vont se modifier avec le temps. Mais je crois – surtout si je regarde son évolution dans le monde – que l’énergie nucléaire dispose de perspectives pour une longue période. Contribuer à l’évolution future de cette technique de production d’énergie extrêmement exigeante est une démarche qui convient bien à l’Allemagne.» Nous devrions prendre conscience du fait que nous traversons actuellement une période de pénurie, raison pour laquelle de nombreux pays sont en train de changer de point de vue sur l’énergie nucléaire, «qu’il s’agisse par exemple de la Suède, où l’on a résolu la question de manière très intéressante – on a abandonné publiquement l’énergie nucléaire, on a ensuite rééquipé et modernisé les centrales nucléaires et puis on a continué comme cela – ou qu’il s’agisse de pays tels que l’Italie parmi d’autres.»

La physicienne et docteur en chimie se préoccupe pour l’Allemagne en tant que site industriel: «Je suis personnellement très inquiète sur ce qu’il va se passer si l’Allemagne devait un jour avoir abandonné définitivement ce secteur, ce que je ne veux pas: je veux le prolongement de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires, et ceci au meilleur niveau technique. Ce qui est pour moi un énorme souci de préoccupation, c’est qu’il manquerait alors dans le monde une voix importante parlant en faveur de davantage de sécurité dans la production d’énergie nucléaire.»

Angela Merkel s’est exprimée aussi sur le mix énergétique: «Chaque mode de production d’énergie a ses désavantages. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes toujours engagés en Allemagne pour un mix énergétique. (…) Je désire que l’Allemagne reste un pays porteur d’avenir, ce qui implique aussi à mes yeux l’énergie nucléaire pendant une durée prévisible – aussi bien en vue de l’exportation que comme agent énergétique de transition dans le futur.»

Le point de vue du FDP

On a pu lire ce qui suit sur l’énergie nucléaire dans le programme électoral du FDP: «L’abandon de l’énergie est à l’heure actuelle une erreur des points de vue économique et écologique. Nous avons besoin de l’énergie nucléaire en tant que technologie de transition jusqu’à ce que des énergies renouvelables puissent produire une quantité suffisante d’électricité en charge de base ou que la séparation et le stockage du CO2 soient disponibles à l’échelle industrielle pour les centrales à charbon.» Les durées de fonctionnement des centrales nucléaires doivent donc être prolongées dans ce sens. En contrepartie, les exploitants des centrales nucléaires devraient se déclarer prêts à verser une partie des avantages financiers obtenus à une «Fondation allemande de la recherche énergétique», encore à créer. Les recettes de cette fondation seraient utilisées pour la recherche sur des technologies énergétiques innovantes, la recherche devant porter ici en premier lieu sur les technologies de stockage du CO2 pour les énergies renouvelables.

Pour le FDP, la sécurité des centrales nucléaires allemandes doit être maintenue au niveau le plus élevé et son développement doit être poursuivi. Ceci s’applique en particulier à la gestion et à la culture de la sûreté dans les installations. Les problèmes de personnel prévisibles en matière de surveillance nucléaire doivent être combattus. Le FDP demande ce qui suit: «Le flux européen de la communication doit être amélioré au niveau de la prévention et en cas d’événements particuliers.»


Que peut-on lire dans l’accord de coalition?

Les positions similaires de la CDU/CSU et du FDP ne devaient pas entraîner en soi de grands débats lors des négociations de coalition. Il semble qu’Angela Merkel voulait ajourner la décision sur la prolongation des durées de fonctionnement. Il n’en est toutefois pas question dans l’accord, dans lequel on peut lire que les négociations avec les exploitants doivent être entamées «le plus rapidement possible». Le prélèvement de bénéfices est toutefois plus élevé qu’escompté de manière générale. Les autorités prélèveront désormais 51% («la majeure partie») au moins du surplus de recettes généré par la prolongation des durées d’exploitation.

Tels sont les éléments essentiels de l’accord de coalition du 24 octobre 2009 concernant les politiques énergétique et nucléaire:

«La majeure partie des recettes supplémentaires générées par la prolongation de la durée d’exploitation de l’énergie nucléaire sera perçue par les pouvoirs publics. Ces recettes nous permettront de promouvoir un approvisionnement et une utilisation de l’énergie durables et orientés sur l’avenir, par exemple de mener des recherches sur les technologies de stockage du CO2 pour les énergies renouvelables ou sur l’amélioration de l’efficacité énergétique. La protection du climat constitue le défi de politique environnementale posé à notre monde actuel.»

L’accord précise ce qui suit à propos du mix énergétique: «Nous voulons une politique énergétique sans idéologie, ouverte à la technologie et orientée sur l’avenir. Cette politique englobe tous les vecteurs d’utilisation (électricité, chaleur, mobilité).» Dans le courant de l’année prochaine au plus tard, le gouvernement présentera une nouvelle stratégie énergétique qui formulera, en fonction de divers scénarios, des orientations relatives à un approvisionnement énergétique propre, fiable et supportable au niveau des coûts.

Les énergies renouvelables sont à développer de manière conséquente, et l’efficacité énergétique doit continuer d’être améliorée. La consommation mondiale va augmenter drastiquement dans les prochaines années. «C’est pourquoi nous voulons des conditions cadres orientées vers le marché et ouvertes à la technologie qui mettent davantage l’accent sur la stimulation et l’information des consommateurs et moins sur la contrainte, des conditions qui mettent en valeur les potentiels énormes dans le domaine de l’efficacité énergétique.»

L’énergie nucléaire est une «technologie de transition» jusqu’à ce que les énergies renouvelables puissent la remplacer de manière fiable, peut-on encore lire dans l’accord de coalition. «Si tel n’est pas le cas, nous n’atteindrons pas nos objectifs climatiques, des prix de l’énergie supportables et une diminution de notre dépendance de l’étranger.» L’accord précise encore ce qui suit: «Dans cette optique, nous sommes prêts à prolonger les durées de fonctionnement des centrales nucléaires allemandes dans le respect des normes de sûreté en vigueur en Allemagne et au niveau international. L’interdiction de construction de nouvelles centrales nucléaires prescrite dans la loi atomique est maintenue.» Une convention avec les exploitants à conclure le plus rapidement possible fixera des dispositions plus précises sur les conditions relatives à une prolongation des durées de vie, notamment les durées d’exploitation des centrales, le niveau de sûreté, le montant et la date d’un partage des avantages, et l’utilisation des moyens en premier lieu pour la recherche sur les énergies renouvelables, en particulier les technologies du stockage du CO2. La convention devra garantir une sécurité de planification pour tous les intéressés.

Le point de vue des exploitants

«Nous nous félicitons de la décision politique de prolonger les durées de fonctionnement des centrales nucléaires allemandes», a déclaré Dirk Ommeln, porte-parole d’EnBW Energie Baden-Württemberg au Forum nucléaire suisse. Les modalités des prolongations de durées d’exploitations seront définies dans le cadre d’entretiens avec les responsables politiques. «Nous attendons ces entretiens de manière ouverte et constructive. EnBW a toujours souligné qu’un mix énergétique porteur d’avenir devait être aussi un mix énergétique équilibré tenant compte de tous les modes de production, depuis l’énergie nucléaire et la production conventionnelle jusqu’aux énergies renouvelables,» a encore souligné Dirk Ommeln.

Tout de suite après la signature de l’accord de coalition, le Forum atomique allemand a ublié un commentaire positif sur la «réévaluation de l’énergie nucléaire». «Le Forum atomique allemand salue la volonté de la CDU/CSU et du FDP de prolonger les durées de fonctionnement des centrales nucléaires allemandes en tant que technologie de transition. La stratégie adoptée, à savoir le renforcement des énergies renouvelables et la prolongation des durées d’exploitation des centrales nucléaires, permet la mise en place d’un approvisionnement énergétique de l’Allemagne porteur d’avenir.» Les modalités des prolongations de durées d’exploitations seront définies par les responsables politiques dans le cadre d’entretiens avec les exploitants. La réévaluation de l’énergie nucléaire présente pour l’Allemagne un caractère impératif pour des raisons de protection du climat, de sécurité d’approvisionnement et de compétitivité.

Le point de vue des analystes

Les analystes bancaires ont imputé majoritairement la valorisation boursière d’E.ON, RWE et EnBW à la victoire de la coalition noire-jaune et à la prolongation prévisible de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires. « Nous pensons que RWE profitera d’une extension potentielle du fonctionnement d’un grand nombre de centrales nucléaires allemandes», écrit Tanja Markloff, analyste auprès de la Commerzbank. Une étude bancaire de WestLB selon laquelle E.On pourrait générer à elle seule des recettes supplémentaires 8,6 milliards d’euros (13 milliards de francs suisses) pendant les durées d’exploitation prolongée des centrales a soulevé un très vif intérêt: au moins 4,3 milliards de cette somme (6,5 milliards de francs suisses) seraient en effet prélevés par l’Etat.

Pour l’analyste Matthias Heck von Sal. Oppenheim également, la suppression de durées maximales d’exploitation est une bonne surprise. Mais selon lui, les normes de sûreté plus élevées pourraient constituer une charge supplémentaire considérable pour les exploitants. Sa. Oppenheim chiffre à 79 euros (119,5 francs suisses) la valeur correcte de l’action RWE, soit 17 euros plus haut que Commerzbank.

Le cours des actions des groupes énergétiques allemands a massivement augmenté depuis mars. E.ON se distingue nettement avec une hausse de plus de 50%. Les analyses de la Société Générale recommandent quand même d’acheter des actions E.ON. Les analystes de Morgan Stanley sont plus réservés aussi bien pour RWE que pour E.ON: à leur avis, la réévaluation de l’énergie nucléaire par le nouveau gouvernement fédéral n’exerce pas d’impact sur la bourse. RWE comme E.ON seraient actuellement estimés à leur juste valeur. Selon Morgan Stanley, E.On devrait enregistrer une hausse moyenne relativement modeste de son bénéfice d’environ 3% par an entre 2008 et 2013.

Les actions des grands électriciens continuent toutefois d’être évaluées avec modération par rapport au reste des actions. C’est ce que soulignent les paramètres d’EnBW, d’E.ON et de RWE. Les trois groupes affichent tous un rapport cours/bénéfice de moins de dix fois (estimation du bénéfice en 2010). Ils versent aussi des dividendes importants aux actionnaires ; le rendement de dividende se situe entre 5 et 6%.

EnBW produit 46% de son électricité avec des centrales nucléaires; ce pourcentage atteint un tiers environ pour E.ON, et 20% pour RWE. E.ON, qui détient une participation de 21% dans FMB, est le plus grand groupe énergétique allemand avec une capitalisation du marché de 81 milliards de francs. A titre de comparaison: Electricité de France, qui peut compter sur un soutien durable du gouvernement et de la population en matière d’énergie nucléaire, est évaluée par la bourse à 108 milliards de francs suisses.

Conclusion

La discussion actuelle sur les durées de fonctionnement des centrales nucléaires démontre leur capacité de performances. La bourse a réagi rapidement à la victoire électorale des «Noirs-Jaunes ». La corrélation positive entre prolongations des durées de fonctionnement et évaluation du marché est soulignée en premier lieu par les analystes. Etant donné que les coûts que les entreprises ont investis dans la construction sont amortis depuis longtemps, les exploitants font de gros bénéfices: des experts les évaluent entre 1 et 2 millions d’euros par jour et par centrale nucléaire (1,5 à 3 millions de francs suisses).

Au moins 51% des bénéfices supplémentaires générés par la prolongation des durées de fonctionnement des centrales nucléaires devraient profiter désormais aux énergies renouvelables. Étant donné qu’E.ON et RWE associent judicieusement les deux sources d’énergie, une partie de cet argent retournera dans les caisses du groupe. Du point de vue des actionnaires, il faut apprécier de manière positive le fait qu’à partir d’aujourd’hui, les groupes d’électricité allemands peuvent se présenter avec plus de crédibilité dans leurs efforts d’expansion internationale en matière d’énergie nucléaire et disposent pour cette raison de meilleures cartes dans leur jeu.

Certes, il n’existe guère à l’heure actuelle de personnalité politique prônant un abandon de la sortie du nucléaire. Il s’agit de ne pas renforcer ainsi le camp des partisans de la sortie du nucléaire: tel est le calcul. Les dirigeants des groupes d’électricité voient à nouveau dans le nouvel accord de coalition une normalisation de la politique énergétique. Hans-Peter Villis, patron de EnBW, ne parle pas dans ce contexte d’une prolongation des durées de fonctionnement, mais d’une suppression de la «décision arbitraire de raccourcissement de ces durées» prise par les Rouges-Verts. Dix ans après la décision de sortie du nucléaire, cette décision de prolongement doit être interprétée toutefois comme un tournant politique important et comme une réévaluation de l’énergie nucléaire. Ceci est d’autant plus le cas si la nouvelle coalition gouvernementale prend vraiment au sérieux l’objectif d’une diminution des gaz à effet de serre de 40% d’ici 2020 (base: 1990).

Source

Hans Peter Arnold, journaliste économique/C.P.

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