Energie nucléaire: enracinée dans le mix électrique pour le bien de l’environnement
Lors du symposium de jubilé du 29 mai 2008 organisé à l’occasion du 50e anniversaire du Forum nucléaire suisse à Lausanne, des représentants éminents des milieux économiques ont averti avec insistance du danger que recèlent des combats de tranchées stériles autour de l’énergie nucléaire. En présence du Président de la Confédération Pascal Couchepin, ils ont souligné que l’énergie nucléaire faisait intégralement partie de l’équipe qui inclut les énergies renouvelables et qu’elle constituait le pilier incontournable d’un approvisionnement électrique fiable, économique et respectueux de l’environnement.

Pascal Couchepin, Président de la Confédération, a commencé son allocution en adressant, au nom du Conseil fédéral, ses congratulations au Forum nucléaire suisse pour son jubilé et pour le travail fourni au cours de ces 50 dernières années. Le gouvernement national s'engagera avec détermination en faveur de la poursuite de l'exploitation des centrales nucléaires actuelles aussi longtemps que leur sûreté sera garantie, a assuré le Président de la Confédération.
Comme il l'a encore souligné, l'énergie nucléaire constituera, dans l'avenir également, un élément incontournable du développement économique de la Suisse. Le problème de l'énergie et du climat sont des défis énormes, a-t-il poursuivi, et le Conseil fédéral a pris des décisions claires à ce sujet: «Le nucléaire n'est pas la seule solution, c'est une partie importante de la solution. Cette technique a fait ses preuves, et elle avance. Comme les milieux économiques, le Conseil fédéral est lui aussi favorable à la construction de centrales nucléaires. Mais la décision relève tout d'abord de l'industrie électrique, et finalement du peuple.
Appel à l'objectivité pour toutes les techniques de production d'électricité
Le Conseil fédéral soutient sans réserves les objectifs du Forum nucléaire suisse et de ses membres, a assuré le Président de la Confédération. «Il faut maintenant mener un débat public rationnel avec tous les partenaires», a-t-il déclaré, à l'image de ce qu'il a trouvé à Lausanne au Forum nucléaire. Cette rationalité ne s'applique toutefois pas seulement à l'énergie nucléaire, mais aussi à l'évaluation des nouvelles énergies renouvelables. «Il faut éviter de tomber dans l'enthousiasme non-critique qui régnait peut-être à l'égard de l'énergie nucléaire il y a 50 ans», a prévenu Pascal Couchepin. «Ces énergies alternatives sont nécessaires, mais quand on regarde de plus près, on voit qu'elles ont aussi un bilan écologique qui n'est pas toujours favorable, contrairement à ce qu'on pense dans le public.»
Bruno Pellaud: une chance pour les «Verts avertis»
Dans son allocution, le président du Forum nucléaire, M. Bruno Pellaud, a rappelé que dans les années 1960, de larges milieux s'étaient engagés avec véhémence pour l'entrée de la Suisse dans l'ère de l'énergie nucléaire - pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, mais aussi en référence, dès cette époque, à la protection de l'environnement. Parmi les défenseurs acharnés de l'énergie nucléaire se trouvaient alors notamment le ministre de l'énergie socialiste Willy Spühler et la Ligue suisse pour la protection de la nature. Ils ont été remplacés par les «Neinsager» d'aujourd'hui, déplore Bruno Pellaud, par «ceux qui s'opposent à tout: au nucléaire, au gaz naturel, au charbon, et demain - ce n'est qu'une question de temps - aux forêts d'éoliennes dans le Jura et dans la plaine du Rhône.» Bruno Pellaud s'est déclaré persuadé que la population suisse est consciente des grands avantages de l'énergie nucléaire pour la sécurité d'approvisionnement et la préservation de l'environnement et du climat, et qu'elle approuvera la construction de nouvelles centrales nucléaires, en liaison avec l'extension des énergies renouvelables.

Le président du Forum nucléaire voit dans la procédure de sélection de sites pour les dépôts géologiques de déchets radioactifs, procédure introduite récemment, une véritable chance «pour des Verts avertis, des Verts qui se démarqueraient des opportunistes qui les entourent à gauche et à droite et qui oseraient s'engager politiquement pour une solution rationnelle du stockage définitif des déchets radioactifs». L'exemple pourrait venir ici des Verts de Finlande qui, en 2001, ont fourni leur soutien pour déterminer le site de stockage dans le pays. «Quel sera le Vert suisse qui osera faire ce premier pas à la finlandaise»?, s'interroge Bruno Pellaud.
Giovanni Leonardi: énergie nucléaire combinée avec l'eau, le soleil et le vent
«L'énergie nucléaire n'est pas seule au monde, mais constitue un couple solide avec la force hydraulique», a déclaré Giovanni Leonardi, CEO d'Aar et Tessin SA d'Electricité (Atel). «Plus l'on aura affaire à une production irrégulière d'énergies solaire et éolienne, plus le travail d'équipe de la force hydraulique et de l'énergie nucléaire sera important pour équilibrer les fluctuations de cette production.» A ces avantages vient s'ajouter le bilan écologique favorable de l'énergie nucléaire: «L'air reste pur. L'énergie nucléaire a besoin de peu de place et laisse son espace à la nature. Elle exige comparativement peu de matières premières, elle est économique et se caractérise par une disponibilité élevée.»

En ce qui concerne la construction projetée de nouvelles centrales nucléaires, Giovanni Leonardi a souligné l'importance de la liberté de manœuvre du pays: «Plus on produira de l'électricité en Suisse, plus nous garderons notre indépendance.» Evoquant la sécurité de l'avenir énergétique, il s'est clairement opposé à la mentalité du tout noir ou tout blanc: «Nous savons que nous avons besoin de l'énergie nucléaire maintenant, et que nous en aurons besoin pendant une période prévisible. Nous devons l'enraciner entre la force hydraulique et les nouvelles énergies renouvelables.»
Hans Schweickardt: efficacité énergétique et protection du climat par de l'électricité respectueuse de l'environnement
Hans Schweickardt, CEO d'Energie Ouest Suisse (EOS) et président de l'organisation de la branche swisselectric, a mis en exergue la fonction clé de l'électricité: «L'efficacité énergétique et des mesures de réduction du CO2 conduisent à un transfert de technologie des énergies fossiles vers l'électricité», a-t-il souligné. A son avis, les mots clés se nomment ici techniques du bâtiment économisant l'énergie ou voitures hybrides avec câble de raccordement au réseau d'électricité.

Suite à l'augmentation de la consommation, à l'arrêt des trois centrales nucléaires les plus anciennes et à l'arrivée à échéance des contrats d'importation avec la France, swisselectric escompte un déficit d'électricité d'au moins 25 à 30 milliards de kWh d'ici 2035. C'est la moitié de la production actuelle d'électricité. Le déficit d'électricité pourrait même grimper à 40 milliards de kWh par an, estime Hans Schweickardt. La Suisse trouvera le chemin pour sortir du déficit d'approvisionnement et de la problématique du climat au travers de quatre filières: l'extension de la force hydraulique, les nouvelles énergies renouvelables, les centrales à gaz et de nouvelles centrales nucléaires. Selon Hans Schweickardt, ces dernières constitueront presque les deux tiers des nouvelles capacités de production qui devront être mises à disposition d'ici à 2035.
Pascal Gentinetta: conséquences dramatiques d'un déficit d'électricité éventuel
Pascal Gentinetta, président de la direction de l'association économique faîtière economiesuisse, a exprimé son large soutien à la branche de l'électricité: «Lorsque le système de production se grippe, les conséquences deviennent vite dramatiques. Le coût d'une défaillance du système électrique est tout simplement astronomique», a-t-il déclaré, en référence à quelques récents blackouts dans d'autres pays. Mais contrairement à des pays tels que la Finlande, la Grande-Bretagne, et peut-être même bientôt l'Italie, pays qui veulent parer rapidement la menace de déficit d'électricité en construisant des centrales nucléaires, la Berne fédérale attend pour mettre en place les conditions politiques cadres nécessaires à de nouvelles grandes centrales électriques.

Pascal Gentinetta a souligné avec insistance l'importance fondamentale d'une alimentation électrique fiable des entreprises suisses pour leur développement. Parallèlement à l'efficacité énergétique et aux énergies renouvelables, «le nucléaire jouera un rôle clé car il permettra de maintenir une sécurité d'approvisionnement optimale, un prix de l'électricité compétitif et des émissions de CO2 très faibles.»
L'EPF de Lausanne, partenaire important dans la fusion nucléaire
La pénurie d'énergie et des ressources, la sécurité d'approvisionnement et les changements climatiques parlent en faveur de la fusion nucléaire contrôlée. C'est en ces termes que M. Minh Quang Tran a entamé la partie scientifique de la manifestation de jubilé. M. Tran est Professeur de physique des plasmas à l'EPF de Lausanne et directeur du Centre de recherches en physique des plasmas (CRPP). Le CRPP joue à l'heure actuelle un rôle important pour le développement du Réacteur expérimental thermonucléaire international Iter, et du fait de sa collaboration avec Euratom, le Centre participe à tous les projets internationaux de fusion, a expliqué le Professeur Tran.
Concrètement, le CRPP effectue des recherches dans trois domaines: la supraconductivité, le diagnostic du plasma et le chauffage du plasma. Les chercheurs disposent à cette fin du tokamak TCV (tokamak à configuration variable). Cette installation est certes plus petite que le futur Iter, mais les chercheurs peuvent analyser sur le TCV les propriétés physiques d'un réacteur de fusion. Avec l'installation de test de supraconducteurs Sultan et l'aimant supraconducteur «European Dipole/Edipo», le CRPP possède par ailleurs dans son antenne au PSI deux installations uniques au monde de recherche et de caractérisation des câbles supraconducteurs prévus pour Iter.
Le Professeur Tran a ensuite lancé un appel à l'industrie de production d'électricité pour qu'elle intègre la fusion dans sa vision à long terme et soutienne concrètement la recherche et développement dans ce domaine. Pour conclure, le Professeur Tran a souligné que si beaucoup de travaux de développement sont encore nécessaires dans la recherche sur la fusion, «la fusion sera prête quand le monde aura besoin d'elle».

Garantie nécessaire de la relève
Le Prof. Rakesh Chawla, chef du laboratoire de physique des réacteurs et de comportement des systèmes à l'EPF de Lausanne et à l'Institut Paul-Scherrer, a rappelé que l'utilisation de l'énergie nucléaire était sûre, économique et respectueuse de l'environnement. Il estime toutefois que de nombreux pays devront affronter dans les années à venir le problème de la garantie de la relève scientifique et technique dans la branche nucléaire. Le Prof. Chawla a illustré ses propos par des données de l'Institut national des sciences et techniques nucléaires (INST) français selon lequel dans les dix années à venir, la France devra pourvoir tous les ans 500 emplois d'experts nucléaires dans les dix années à venir. Or seulement 350 personnes reçoivent chaque année le diplôme nécessaire dans les domaines recherchés.
La Suisse a elle aussi un problème de relève, a souligné le Prof. Chawla. C'est la raison pour laquelle les EPF de Zurich et de Lausanne ont lancé en commun la nouvelle spécialité d'études de master en anglais «Nuclear Engineering», qui débutera cet automne. Le semestre d'automne pourra être suivi à Lausanne, tandis que le semestre d'été se déroulera à Zurich. Le projet consécutif de master pourra être effectué dans l'un des équipements de recherche de l'Institut Paul-Scherrer. Seize des nombreux candidats qui s'étaient présentés ont été sélectionnés (dont trois jeunes filles). Ils sont originaires d'Argentine, de Chine, d'Egypte, des Etats-Unis (3), de France (3), de Grèce, du Liban, du Sri Lanka et de Suisse (4). La composition internationale et interdisciplinaire de la première volée d'étudiants a été choisie volontairement, a déclaré le Prof. Chawla, qui escompte que 10 à 12 étudiants commenceront leur master cet automne.

Sources d'uranium aujourd'hui et demain
La conférence du Prof. Horst-Michael Prasser, chef du laboratoire en systèmes d'énergie nucléaire à l'EPF de Zurich, a complété le programme de l'après-midi avec des «pensées» sur la sécurité de l'approvisionnement en uranium et des perspectives sur la mise en valeur d'autres sources d'uranium.
Si l'on considère l'extraction d'uranium et la sécurité d'approvisionnement, il faut s'interroger sur la valeur des gisements à exploiter, a déclaré le Prof. Prasser. Il a comparé ici les dépenses d'énergie exigées par la production de combustible et la production d'électricité d'une centrale nucléaire. Plus la concentration en uranium dans le minerai est faible, plus il faut d'énergie pour l'extraire. On parle d'«Energy Cliff» lorsque le montant des dépenses énergétiques de la mine est disproportionné par rapport à la production d'électricité ultérieure. Comme l'a expliqué le Prof. Prasser, les besoins en énergie des mines d'uranium actuelles sont bien inférieurs à ce que prétendent les antinucléaires. C'est ainsi que la portée «statique» des réserves d'uranium de 100 ans indiquée par le «Livre Rouge» de l'OCDE peut être hypothétiquement multipliée par un facteur de 300 à 400.
Et l'on peut aussi extraire de l'uranium de l'eau de mer, a poursuivi le Prof. Prasser. Les ressources en uranium, évaluées à quelque 4 milliards de tonnes, existent toutefois dans une concentration très faible. L'extraction d'uranium exige également un gros débit d'eau. Le Japon a réalisé des essais dans ce domaine avec des plaques de fibres de polypropylène, essais qui ont montré que cette méthode permet de produire dix fois plus d'énergie que la photovoltaïque actuelle, pour une même superficie.
Le Prof. Prasser a constaté ce qui suit en résumé: «La situation de l'approvisionnement en uranium est stable. A l'heure actuelle, les gisements exploités couvrent déjà les besoins pour des décennies. Et même en cas d'extension internationale de l'énergie nucléaire, il n'y aura pas de déficit d'uranium dans les siècles à venir.»

Publication commémorative à l'occasion du jubilé
La publication commémorative «L'énergie nucléaire en Suisse - Le grand débat technologique» du Forum nucléaire suisse a été présentée au public à l'occasion du symposium de jubilé du 29 mai 2008 au Musée Olympique de Lausanne.
Exposition itinérante
Cette exposition itinérante permet à un large public d'accéder aux messages fondamentaux de la publication commémorative et de s'informer sur les étapes clés du débat technologique.
Source
M.S./M.A./M.B./C.P. d’après les conférences du jubilé du Forum nucléaire du 29 mai 2008