Gaz de schiste – entre lueurs d’espoir et enjeux politiques
L’exploitation du gaz de schiste va bientôt connaître un boom mondial. En Suisse aussi, des forages d’essai seront entrepris en cours d’année. Les réactions sont mitigées.
La production énergétique mondiale a, jusqu’à présent, été dominée par le pétrole et le charbon, même si le gaz naturel occupe lui aussi une place importante sur le marché énergétique, aux côtés du nucléaire. Selon les prévisionnistes, la récente découverte de réserves de gaz de schiste risque de chambouler le marché.
Qualifié de gaz naturel non conventionnel, le gaz de schiste est piégé dans des formations argileuses. Certes, les quantités de gaz ainsi stockées sont moindres, et les coûts d’une exploitation plus élaborée dépassent ceux des gisements conventionnels de gaz naturel. Mais considérés dans leur ensemble, les réserves sont gigantesques, même si les estimations fiables sont rares. Il ressort de calculs réalisés pour certains pays que les réserves pourraient suffire pour plusieurs centaines d’années. Tel est notamment le cas de la Pologne. Mais l’Allemagne et la Suisse recèleraient elles aussi des gisements considérables. Les plus grandes réserves du monde se trouvent cependant en Chine, comme en attestent des sources concordantes des autorités chinoises et américaines. Selon les Chinois, les réserves du pays se chiffreraient à 30 milliards de m3. D’après les calculs effectués aux USA par l’Energy Information Administration, les réserves exploitables pourraient même atteindre les 1,275 billions de pieds cubes, soit 36,1 milliards de m3. Dès 2009, le président américain Barack Obama s’est déclaré prêt à partager la technologie de fracturation avec la Chine.
Le rôle pionnier des USA
Les USA utilisent d’ores et déjà, sur de grandes surfaces, la fracturation hydraulique de formations rocheuses. Le Texas et le Dakota du Nord hébergent les ressources de gaz et de pétrole les plus importantes. Le plus gros consommateur de combustibles fossiles pourrait ainsi, d’ici quelques années, acquérir le statut du plus gros producteur de pétrole et de gaz dans le monde. Concrètement, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) admet qu’avant 2020, les USA auront pris le relais de l’Arabie saoudite et de la Russie en tant que premier producteur de pétrole et de gaz. Les Etats-Unis sont donc en voie de devenir des exportateurs d’énergie. C’est là un développement surprenant. Alors qu’ils ne se sont lancés dans l’exploitation du gaz de schiste qu’à partir de l’an 2000, un cinquième de la consommation de gaz naturel aux Etats-Unis provient déjà de gisements de schiste domestiques. Par ailleurs, le gaz occupe une place croissante dans la production de courant: parmi les agents fossiles utilisés pour produire de l’électricité, la part du gaz frise la barre des 50%. Il remplacera bientôt le charbon en tant qu’agent énergétique principal.
«Le développement rapide des sources de gaz de schiste modifiera le marché énergétique mondial de manière considérable», estime l’analyste Michael Mbogoro, de Frost & Sullivan Consulting. Selon lui, le marché des produits chimiques destinés à la fracturation hydraulique enregistrera d’ici à 2020 une croissance prévisible de 10% par an. En termes de quantités, les gels liquides constituent la majeure partie des produits chimiques utilisés pour la fracturation, suivis des agents destinés à diminuer la friction et la corrosion. Le boom du gaz de schiste entraîne la croissance du marché des produits chimiques pour le traitement des eaux résiduelles.
Ainsi fonctionne la fracturation hydraulique
La fracturation hydraulique (fracking) est une fissuration massive d’une roche au moyen d’une injection d’un liquide sous pression. Cette technique permet de récupérer du pétrole ou du gaz dans des substrats trop denses, où un puits classique ne produirait rien ou presque. Le liquide est en général de l’eau additionnée de matériaux durs (sable ou microbilles de céramique) pour empêcher que les petites fissures ne se referment une fois la pression redescendue. Le liquide peut aussi contenir d’autres additifs pour en régler la viscosité. Selon les critiques du procédé, certains produits chimiques utilisés comporteraient des combinaisons cancérogènes telles que le benzène. Des projets de recherche sont toutefois en cours pour mettre au point des techniques de fracturation propres (Clean Fracking) qui permettraient d’exploiter le gaz de schiste avec des additifs éco-compatibles.
Un thème d’actualité pour la Suisse également
Le groupe gazier américain eCorp entend de toute évidence faire progresser l’exploration du gaz en Suisse, en France, en Angleterre et en Europe de l’Est. Dix forages d’essai sont prévus sur le Plateau suisse au cours de l’année. Et les perspectives seraient brillantes: les géologues soupçonnent, à 3000 m de profondeur, l’existence de gisements de gaz qui, ainsi que les médias l’ont annoncé en début d’année, pourraient couvrir, pendant des décennies, les besoins de la Suisse en combustibles fossiles.
Mais à l’instar de la plupart des agents énergétiques, l’exploitation du gaz de schiste est liée à bon nombre de défis et de risques. Pour Michael Casanova, chef de projet en Politique de protection des eaux chez Pro Natura, les choses sont claires: «Pour exploiter le gaz de schiste, il faudrait courir des risques inacceptables. Des tonnes de produits chimiques devraient être injectés dans le sous-sol.» On ne saurait donc exclure une pollution à long terme de l’eau potable et de la nappe phréatique. Le fracking exigerait en outre la consommation d’énormes quantités d’eau, à prélever sur des réserves déjà fortement mises à contribution aujourd’hui. «Investissons donc dans l’efficacité énergétique et dans les agents énergétiques de l’avenir», déclare Casanova au journal pour pendulaires «20 minutes». Peter Burri, président de l’Association suisse des géoscientifiques de l’énergie, est d’un tout autre avis. «Le fracking est utilisé sans problèmes depuis des décennies. Il est possible de fracturer la roche sans recourir à des substances chimiques dangereuses et même, depuis peu, sans utiliser de l’eau.» Interdire cette technologie n’est pas justifié du point de vue scientifique. «Ce qu’il nous faut, ce sont des directives claires sur son utilisation contrôlée.» En termes de politique environnementale, il est judicieux d’exploiter le gaz en Suisse: ici, l’exploitation serait assortie de consignes sécuritaires strictes. «Et nous ne gaspillerions pas une grande partie de l’énergie pour transporter notre gaz de Sibérie vers la Suisse.»
L’argumentation de Peter Burri s’aligne ainsi sur l’exigence similaire voulant que l’on exploite et contrôle, pour des raisons de sécurité, l’énergie nucléaire en Suisse et non pas à l’étranger.
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Hans Peter Arnold