"Gestion des déchets radioactifs à la mode russe"

30 avr. 1999

L'automne dernier, des exploitants suisses de centrales nucléaires et le ministère russe de l'énergie atomique Minatom signaient une déclaration d'intention portant sur un renforcement de la coopération dans le domaine du cycle du combustible nucléaire. Le 12 janvier 1999, Greenpeace annonçait qu'on lui avait passé le "document secret", document indiquant que l'industrie nucléaire avait l'intention "de se débarrasser" de la totalité des déchets de haute activité provenant de l'exploitation des centrales nucléaires en les expédiant en Russie. "Cette déclaration d'intention dépasse tout ce qu'on peut imaginer en matière d'irresponsabilité. C'est précisément la Russie, pays où il n'existe guère de directives environnementales, où la population se retrouve sans défense et sans protection contre l'exposition à des rayonnements radioactifs et qui, au lieu d'assainir les conséquences de catastrophes atomiques antérieures, investit des milliards dans le développement de nouvelles armes nucléaires et biologiques, c'est précisément ce pays qui serait choisi par les exploitants suisses de centrales nucléaires pour y stocker leurs déchets", dénonçait Greenpeace.
Le jour même, le magazine "10 vor 10" de la télévision suisse alémanique consacrait son émission à ce thème. On montra un film sur lequel on voyait des blocs de béton en train d'être précipités d'une grue dans un lac. "C'est la manière russe d'évacuer les déchets atomiques", précisa le commentateur. La revue "Beobachter" du 5 mars ne manquait pas de faire de la surenchère en affirmant que les photos vidéos montraient comment la Russie évacue les "déchets atomiques" dans la mer.
En réalité, ces photos datent de plusieurs années et montrent comment un dépôt ouvert pour effluents liquides radioactifs - un "héritage" du programme d'armement nucléaire - est en train d'être rempli de blocs vides en béton armé pour empêcher le rejet de radioactivité. Ceci a été confirmé par M. Valentin Ivanov, premier vice-ministre de l'énergie atomique, en réponse à une question correspondante.
Le commentaire de Greenpeace, de la télévision suisse et du Beobachter ont déclenché une vive irritation en Russie, comme l'indique l'article suivant paru dans la "Nesavisimaja gaseta", l'un des principaux quotidiens russes indépendants. L'ASPEA reproduit ci-dessous une traduction légèrement abrégée de cet article.

Technologie à sensation des Verts - Il arrive parfois que des activistes écologistes ne reculent pas devant la falsification

par M. Andrei Vaganov

Même en ce début d'année, la "Déclaration d'intention de Zurich" signée en vue d'une collaboration entre des représentants de l'industrie nucléaire suisse et le Minatom russe soulève toujours un vif intérêt. Il apparaît que conformément au document signé le 17 septembre 1998 à Zurich, la Russie serait prête à se charger du combustible usé des centrales nucléaires suisses à des fins de retraitement. Des représentants du bureau suisse de l'organisation écologiste internationale Greenpeace ont déclaré en janvier 1999 que l'accord prévoyait l'exportation en Russie de 2000 tonnes de combustible usé pendant la période de 2000 à 2030. Selon les écologistes, c'est la méthode choisie par les centrales nucléaires suisses pour "se débarrasser" des déchets radioactifs. Cette manière de voir place les négociations entre la Russie et la Suisse sous un jour qui n'est pas loin d'assimiler notre pays à une décharge pour déchets radioactifs non contrôlée. Greenpeace dit par ailleurs que la Russie ne disposerait de pratiquement aucune réglementation en matière de protection de l'environnement.
A cause de ces négociations entre des exploitants suisses de centrales nucléaires et des représentants du Minatom russe, négociations au cours desquelles ont été discutées les possibilités d'un retraitement en Russie de combustible de centrales nucléaires, Greenpeace a organisé des conférences de presse à Zurich et à Moscou le 12 janvier 1999. La chaîne de télévision SF1, la plus importante en Suisse, a diffusé un compte rendu sur la conférence de presse, ainsi qu'une séquence vidéo montrant comment des blocs de béton sont plongés dans un lac. Lorsqu'une grue fait basculer l'un des blocs dans l'eau, le commentateur invisible dit ce qui suit: "Gestion des déchets radioactifs à la mode russe, actuellement un risque pour la sûreté, on en est certain. Absence de réglementation sur la sûreté, pollution de l'environnement et trafic de plutonium compliquent le problème. Les exploitants suisses de centrales nucléaires n'ont par contre aucun scrupule." En regardant cette séquence vidéo, on a l'impression d'assister à la façon dont la Russie a coutume d'immerger dans ses eaux ses conteneurs de déchets radioactifs civils. Le magazine suisse "Beobachter" écrit ce qui suit dans son édition du 5 mars 1999: "La séquence vidéo montre comment la Russie règle le stockage final des déchets radioactifs: emballés dans du béton, ils disparaissent en mer."
Nous sommes parvenus toutefois à retrouver l'origine exacte de cette séquence vidéo. Andrei Gagarinski, vice-président de la Société russe de l'énergie nucléaire, a confirmé à notre correspondant que ce film vidéo avait été tourné en réalité entre 1992 et 1993 près de l'usine de production Majak. Il montre l'une des phases des travaux de recouvrement du lac de Karatchai. M. Gagarinski a posé formellement la question à ce sujet au Minatom. Valentin Ivanov, premier vice-ministre de l'énergie atomique, a entièrement confirmé cette information.
On rappellera que le lac de Karatchai est un dépôt ouvert pour les effluents liquides radioactifs issus de la réalisation du programme de défense. Sur les 51 hectares de superficie du lac, 9 seulement ne sont pas encore recouverts. Pour "fermer" le lac, c'est-à-dire pour fixer les dépôts au fond de l'eau et empêcher le rejet de radioactivité sous forme d'aérosols, on a utilisé quelque 10'000 cubes de béton vides, qui sont en réalité les blocs que l'on voit sur les photographies. Qui donc pourrait profiter de cette falsification de la réalité, falsification de toute évidence orientée contre la Russie? Nous devons rappeler ici la genèse du problème.
Les négociations bilatérales entre la Suisse et la Russie lors desquelles on a examiné la possibilité et les conditions d'une expédition des déchets radioactifs suisses en Russie ont commencé en mai 1994. Les recettes qui seraient provenues de la concrétisation d'un accord correspondant avaient été prévues pour la construction de la plus grande usine de retraitement du monde de combustible usé d'origine civile, à savoir l'usine RT-2 à Krasnoiarsk 26. La construction de cet immense complexe, qui a été lancée dès le milieu des années 70, a été arrêtée en 1989 par manque de moyens. En 1992, M. Valeri Lebedev, directeur général des mines et des usines chimiques de Krasnoiarsk, a présenté un plan pour résoudre le problème de financement: la Russie accepterait du combustible usé étranger pour un entreposage, les recettes ainsi obtenues seraient utilisées pour achever la construction de RT-2, puis les déchets radioactifs étrangers seraient finalement retournés dans leur pays d'origine après retraitement. Des pays nucléaires tels que la France et l'Angleterre acceptent depuis longtemps et avec succès du combustible usé du monde entier pour retraitement et entreposage. Ils ne trouvent pas honteux de gagner des milliards de dollars avec ces contrats.
En ce qui concerne les accusations des écologistes selon lesquelles la Russie serait une poubelle nucléaire non contrôlée, on rappellera tout d'abord que les Etats-Unis possèdent quatre fois et demie plus de déchets radioactifs que la Russie. Dans notre pays, 90% de ces déchets sont l'héritage de la course aux armements. Deuxièmement, Greenpeace semble ignorer délibérément les prises de position officielles des représentants de notre pays. En attendant, la Russie accepte déjà le combustible usé de centrales nucléaires étrangères qui ont été construites avec notre participation, et elle sera probablement disposée à faire de même avec le combustible suisse. La condition pour cela est que "le droit russe et les possibilités techniques des structures correspondantes de Minatom le permettent".
Dans la situation actuelle de la Russie, il ne sera certainement pas facile de trouver les moyens nécessaires pour éliminer les conséquences de notre passé nucléaire militaire. Le programme fédéral pour la gestion, l'utilisation et l'évacuation des déchets radioactifs et du combustible usé met à disposition pour 1999 quelque 20 millions de rouble d'argent de l'Etat (ndlr: 25 roubles correspondent à peu près à 1 dollar). A titre de comparaison: les budgets correspondants pour la gestion des déchets radioactifs militaires atteignent aux Etats-Unis 189 millions de dollars. Grâce entre autres aux efforts des Verts, la Russie est en plus en train d'être écartée du marché très prometteur et à haute technologie du retraitement. Le plus important à ce sujet, c'est que pendant que ceci se produit, les problèmes environnementaux ne sont pas résolus (ce qui est impossible en principe), mais sont au contraire aggravés.

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