Jean-Marc Cavedon face aux nouveaux projets nucléaires: «Le PSI est prêt»

C’est peu dire que la scène énergétique suisse est en ébullition. Confrontées aux risques de pénurie qui s’accumulent dans un horizon proche, des entreprises électriques annoncent le lancement de nouveaux projets nucléaires. L’Institut Paul-Scherrer sera en première ligne pour accompagner leur réalisation. C’est ce que nous confirme Jean-Marc Cavedon, directeur du département d’Energie nucléaire et Sûreté au PSI.

17 janv. 2008
Jean-Marc Cavedon: «La technique mérite un peu de considération».
Jean-Marc Cavedon: «La technique mérite un peu de considération».
Source: Photo: PSI

La Suisse produit aujourd'hui près de 40% de son électricité dans des centrales nucléaires. Quel rôle le PSI a-t-il joué dans la création et l'entretien de cet outil de production?

Les réacteurs existants ont été construits sous licence étrangère, en un temps où les liens entre l'industrie et la recherche dans le domaine du nucléaire étaient moins étroits qu'aujourd'hui. Le rapprochement qui a mené aux excellentes relations actuelles s'est construit depuis la création de l'Institut Paul-Scherrer il y a bientôt vingt ans, autour d'un souci commun: évaluer et renforcer la sûreté des réacteurs en exploitation. Cette vision partagée par les chercheurs, les industriels et les autorités de sûreté a constitué ce que nous appelons le «trépied», pour garder en mémoire le fait que la présence des trois acteurs est nécessaire à l'équilibre du tout. Chacun des réacteurs suisses a vu divisé par un facteur dix au moins son niveau de risque au cours de sa durée de vie, rejoignant ou restant dans le peloton de tête des installations les plus sûres au niveau mondial. Au PSI, nous nous assurons au quotidien de la bonne santé des composants vitaux des réacteurs. Nous proposons des améliorations de leur sûreté et affinons en permanence la compréhension des détails de leur fonctionnement. A quoi s'ajoute le fait, essentiel, que nous formons les opérateurs d'aujourd'hui et les experts nucléaires de demain. Nous sommes parvenus à maintenir le flux de formations nécessaire au niveau national, tant pour les opérateurs de quart que pour les experts pluridisciplinaires. Ces derniers sont le plus souvent titulaires d'un doctorat, complété le cas échéant d'une formation postdoctorale. La formation d'experts dans un domaine pluridisciplinaire n'est possible qu'en offrant une vaste palette de compétences, ce qui explique que nous disposions de laboratoires en physique des réacteurs et de leurs systèmes, en thermo-hydraulique et en combustibles et matériaux nucléaires. Notre intégration dans le Conseil des écoles polytechniques nous assure le contact avec les formations universitaires et l'accès sur le site même du PSI à de grandes infrastructures de recherche fondamentale et appliquée.

La première centrale suisse, à Beznau, a été mise en service en 1969 et la dernière, à Leibstadt, en 1984. Comment nos centrales se sont-elles comportées pendant toutes ces années?
Fort bien! A l'exception d'une panne prolongée sur la partie non nucléaire à Leibstadt, la fiabilité de nos réacteurs a été régulière et élevée. Ils ont présenté des taux de disponibilité annuelle de l'ordre de 90%, compte tenu des temps d'arrêt programmés pour assurer la maintenance et le rechargement en combustible. Cela étant, les exploitants ne doivent pas s'endormir sur leurs lauriers, car si le métier reste largement profitable, la concurrence s'annonce rude, en particulier dans un marché libéralisé.

On attribuait aux premières centrales nucléaires des durées de vie de trente à quarante années. Or on s'aperçoit aujourd'hui qu'elles pourront fonctionner dix à vingt années de plus. Pourquoi cette longévité accrue?
Rendons hommage à la prudence de nos prédécesseurs, qui avaient tablé sur des durées de vie des pièces non remplaçables, et notamment des cuves de réacteur. Or l'expérience a montré que leur vieillissement est plus lent que prévu. On peut raisonnablement revoir les durées de vie à la hausse. La tendance internationale, à l'image de l'exemple américain, est de déposer des demandes d?exploitation pour 50 ans, voire désormais 60 années d'exploitation.

L'économie électrique suisse prépare le lancement d'un nouveau projet de centrale, vraisemblablement sur un site existant. Dans quelle mesure le PSI va-t-il accompagner ce projet?
Nous l'accompagnons déjà indirectement. Plusieurs de nos collaborateurs ont rejoint les rangs des équipes de projet mises sur pied par les entreprises électriques. Nous nous familiarisons aussi avec les caractéristiques des futurs modèles de la 3e génération, en particulier les aspects de sûreté. Nous renforçons la filière de formation en nous associant au master d'ingénierie nucléaire que lancent les écoles polytechniques. Ce master, qui accueillera ses premiers étudiants à l'automne 2008, est une pièce maîtresse de notre dispositif de relance de la formation au nucléaire, les étages suivants de la «fusée formation», le doctorat et le post-doctorat, étant déjà en place au PSI et dans les instituts de recherche spécialisés de par le monde.

Quel type de centrale choisir?
Ce sera certainement un réacteur à eau, comme les cinq centrales existantes parce que c'est le seul concept sur le marché aujourd'hui. Plus de 80% du parc mondial est constitué de réacteurs brûlant de l'uranium enrichi, à eau bouillante (REB) ou à eau pressurisée (REP). La logique de l'effet de série voudrait que les électriciens suisses s'intéressent d'abord au modèle franco-allemand de troisième génération EPR, actuellement en construction en Finlande et en France. Mais leur expérience en matière de REB les amènera à explorer également les offres américaines ou japonaises. En tant que chercheurs, nous pouvons aider à écarter des concepts peu mûrs ou peu sûrs, et nous devons nous préparer à donner un avis détaillé sur le ou les candidats les plus probables. Nous venons de signer un contrat de partenariat avec l'autorité de sûreté finlandaise STUK, qui nous a choisis comme experts contradictoires sur une sélection d'études de sûreté analogues à celles que nous menons pour le parc suisse actuel. Le réacteur étudié est l'EPR que construit AREVA à Olkiluoto. Si nous ne savons pas quel cheval gagnera la course, nous avons pris notre pari.

Pourquoi ne pas passer directement à un réacteur de 4e génération?
Parce qu'ils ne seront prêts au plus tôt qu'en 2035, voire 2045 pour les filières les plus innovantes. Même avec la lenteur extraordinaire que certains attribuent à la procédure d'autorisation d'une centrale en Suisse, ce sera trop tard. On s'attend au mieux à ce que les Etats-Unis, la France et le Japon disposent en 2020 de démonstrateurs de la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, ce qui permettra un déploiement industriel vers 2035 au plus tôt, une fois le retour d'expérience acquis et incorporé dans une tête de série industrielle.

Le PSI est-il partie prenante dans Génération IV?
Oui, avec conviction. Il nous revient de préparer des réacteurs nucléaires utilisant mieux les ressources d'uranium, et produisant moins de déchets ultimes. Notre approche est d'identifier des niches transversales à plusieurs filières, où le mélange de questionnement fondamental et de souci d'application apporte une valeur ajoutée forte par rapport aux organismes numériquement supérieurs avec lesquels nous collaborons. Notre sélection porte d'une part sur la caractérisation des matériaux à haute température de certaines filières, sur la production d'électricité, de chaleur et d'hydrogène et sur les transitoires dans les systèmes à neutrons rapides et leurs implications en termes de sûreté. Nous envisageons aussi, en fonction des moyens disponibles, de nous pencher sur les problèmes de transmission de grands flux de chaleur, communs à tous les caloporteurs, d'étendre nos compétences en matériaux vers les combustibles innovants réclamés par plusieurs filières et de fédérer des compétences du Domaine des EPF autour de la production d'hydrogène à haute température.

Le PSI est parfois présenté dans des médias comme un suppôt du lobby nucléaire. Est-ce le cas?
Il est aussi le suppôt de l'énergie solaire thermique, de la biomasse, et des piles à combustible. C'est dire si nous soutenons résolument les énergies utiles au développement durable de la Suisse, nucléaire compris. A côté du département Energie nucléaire et Sûreté, que j'ai l'honneur de diriger, l'institut héberge un département d'énergie générale, qui mène des études poussées sur les sujets susceptibles de conduire rapidement le marché de l'énergie en Suisse vers des solutions plus durables, à commencer par la combustion sans polluants locaux, le solaire à très haute température ou les piles à combustible hydrogène.

Le PSI peut-il se tenir à l'écart de la controverse politique?
Les chercheurs sont des acteurs naturels du débat public, où leur rôle est d'établir les faits, de contrôler la véracité des opinions et d'éclairer les décisions. La réalité et l'honnêteté sont nos alliés, à l'opposé des préjugés et des intérêts particuliers.

On a le sentiment que l'hostilité du public à l'égard du nucléaire provient de malentendus et de manque d'information. Dans quelle mesure le PSI pourrait-il contribuer à réduire ce déficit d'information?
La diffusion des connaissances est chez nous un souci constant, comme en témoignent nos séminaires, nos cours, nos publications ou le soin que nous portons à notre site Internet. Je crains toutefois un ennemi pire que l'hostilité: c'est l'indifférence croissante envers la science et à la technologie, qui dépeuple lentement les filières de formation. La technique rend service à la société. Elle mérite un peu de considération en retour.

Propos recueillis par Jean-Pierre Bommer

Parcours international

Ingénieur diplômé de l'Ecole Centrale de Paris et docteur ès sciences physiques de l'Université de Paris-Orsay, Jean-Marc Cavedon a été notamment expérimentateur et développeur d'accélérateurs pour la physique nucléaire au Commissariat français à l'énergie atomique (CEA). Il s'est orienté vers le cycle du combustible nucléaire en prenant la responsabilité d'équipes engagées dans la séparation isotopique. Il a ensuite coordonné les projets du CEA en matière d'entreposage et de stockage de déchets radioactifs, ainsi qu'en recherche de base appliquée aux domaines du nucléaire. Il dirige depuis le 1er avril 2004 le département Energie nucléaire et Sûreté à l'Institut fédéral de recherche Paul-Scherrer.

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