Le programme nucléaire chinois vise l'indépendance

La Chine a fortement poussé de l'avant son programme d'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire et a créé une industrie nucléaire commerciale enregistrant le taux de croissance le plus élevé du monde. D'où la position de pointe du pays au niveau de la construction, de la recherche et de la conception. Ajouté à sa volonté d'appartenir à la communauté nucléaire internationale, la Chine se prépare à jouer un rôle de leader dans la construction d'installations nucléaires et en matière de génie nucléaire. Voilà les conclusions que William Fork, avocat spécialisé dans les projets et les infrastructures énergétiques du cabinet de Pillsbury, a exposées dans son allocution présentée dans le cadre du «Princeton-Harvard China and the World Program» à l'université américaine de Princeton. Dans l'interview réalisée ci-après par l'agence internationale de nouvelles nucléaires NucNet, William Fork et son collègue Li Zhang présentent les tendances majeures du programme nucléaire chinois.

15 juil. 2011
28 tranches nucléaires sont actuellement en chantier en Chine, dont deux du type français EPR, quatre du type américain AP1000, trois du type chinois CNP-600 et les autres du type également chinois CPR-1000.
28 tranches nucléaires sont actuellement en chantier en Chine, dont deux du type français EPR, quatre du type américain AP1000, trois du type chinois CNP-600 et les autres du type également chinois CPR-1000.
Source: China Guangdong Nuclear Power Group

La plupart des projets de construction de centrales nucléaires dans le monde concernent la Chine. 28 tranches sont en chantier ou ont obtenu un permis de construire. Pouvez-vous nous mettre ces chiffres en comparaison?

Fork: les USA exploitent actuellement 104 tranches nucléaires qui produisent environ 100 GW de courant et couvrent quelque 20% des besoins en électricité du pays. La Chine compte aujourd'hui 13 tranches couplées au réseau lesquelles produisent ensemble environ 11 GW, soit à peine 2% des besoins en électricité. Compte tenu des innombrables projets de construction menés par la Chine dans le domaine nucléaire, les experts prédisent que le pays portera ses capacités à 40 GW d'ici à 2015. Par ailleurs, l'objectif que s'était fixé la Chine pour 2015 a été avancé de cinq ans par rapport au plan initial… On s'attend donc à ce que les exploitants chinois de centrales nucléaires disposent de 70 GW en 2020, totalisant ainsi environ 5% des capacités de production de courant du pays. Si tout se déroule comme prévu, la production d'électricité nucléaire de la Chine dépassera en 2020 celle de tous les autres pays, USA compris.

Le taux de croissance économique de la Chine pèse lourdement sur les infrastructures énergétiques du pays. Pourquoi la Chine mise-t-elle sur le nucléaire pour son approvisionnement en électricité?
Zhang: en équivalent pétrole, la Chine a pris la relève des USA en 2009 en tant que plus gros consommateur d'énergie. L'électricité chinoise provient en majorité de centrales alimentées au charbon, suivies loin derrière par l'hydraulique. Les effets de la pollution sur l'environnement et la santé publique ont amené le gouvernement à édicter un arrêt prévoyant que 15% de l'énergie soient produits à partir de sources non fossiles. L'utilisation pacifique et sûre du nucléaire s'insère bien dans ce mix énergétique.

Comment le gouvernement entend-il atteindre cette croissance dans le secteur nucléaire?
Fork: les entreprises nucléaires étatiques ont pris les commandes. La China National Nuclear Corporation (CNNC) est la plus grande des trois entreprises majeures. La China Guangdong Nuclear Power Corporation et la China Power Investment Corporation prennent elles aussi toujours plus de poids. La planification est coordonnée par la National Development and Reform Commission et par la National Energy Administration, tandis que la National Nuclear Safety Administration est compétente sur le plan des prescriptions en matière de sûreté. A l'heure actuelle, des fabricants étrangers fournissent à la Chine près de la moitié de ses réacteurs les plus récents et de ses autres équipements. Mais en renforçant son «empreinte nucléaire», le pays entend aussi pousser de l'avant la production indigène d'installations et d'équipements nucléaires et acquérir son autonomie au niveau de la conception et de la gestion de projets.

Mis à part un approvisionnement en énergie propre, la Chine vise-t-elle encore d'autres buts pour son programme nucléaire?
Fork: son objectif principal consiste certainement à produire, à un prix abordable, de l'électricité propre pour 1,3 milliard d'habitants. Le pays projette par ailleurs de développer une technologie nucléaire à des fins d'exportation. La State Nuclear Power Technology Corporation (SNPTC) est la branche responsable en matière de développement technologique et de coordination de projets de recherche; elle s'occupe aussi de la mise au point de réacteurs et de processus indigènes pouvant, en fin de compte, faire l'objet d'une licence pour des tiers. En sus d'autres projets, la SNPTC est en train de développer le CAP1400, un réacteur de 1400 MW de 3e génération avancée, lequel s'inspire de l'AP1000 de Westinghouse. Sa mise en service commerciale est prévue pour 2017. La CNNC a l'intention d'investir à l'horizon 2020 plus de 100 milliards de dollars [CHF 84 mia.] dans le développement des infrastructures de l'industrie nucléaire. Elle a annoncé l'année dernière son projet d'ériger une base nucléaire du nom de Haiyan Nuclear City, à quelque 100 km au sud-ouest de Shanghai, ainsi qu'un parc complet de technologie nucléaire à Pékin, lequel sera mis au service de la recherche et du développement.

Zhang: deux types de réacteurs développés en Chine ont fait sensation dans l'industrie nucléaire mondiale. L'un d'eux est le CEFR (Chinese Experimental Fast Reactor), un réacteur rapide d'une puissance de 20 MW, construit au China Institute of Atomic Energy près de Pékin en coopération avec la Russie. L'avant-projet et la planification de deux réacteurs rapides commerciaux refroidis au sodium ont été lancés en 2009. La construction devrait débuter en août 2011. Le second type de réacteur est le HTR-PM (High Temperature Reactor-Pebble Bed Module), un réacteur modulaire à haute température à lit de boulets, s'inspirant du réacteur de recherche HTR-10 de 10 MW de l'Université de Tsinghua à Pékin. La construction du HTR-PM est un projet commun du China Huaneng Group CHNG, de la CNNC et de l'Université de Tsinghua.

ANR2008@flickr.com
ANR2008@flickr.com
Source: Vue du bâtiment réacteur du CEFR chinois, un prototype du réacteur rapide BN-800 de conception russe, refroidi au sodium. Les travaux préparatoires pour deux surgénérateurs commerciaux sont en cours depuis 2009.

Quelle est l'approche de la Chine en matière d'approvisionnement en combustible?
Fork: la Chine souhaite accéder au marché international de combustible afin de couvrir ses besoins croissants et recherche les moyens de produire son propre combustible. Elle pense en outre aux technologies de retraitement. La CNNC précise toutefois que le pays devra attendre au moins dix ans encore avant d'envisager un retraitement commercial à grande échelle.

L'expérience de la Chine dans le domaine de la construction, ses possibilités d'un financement et d'une formation de prix compétitifs dans les secteurs de la construction et de l'ingénierie, ainsi que ses progrès en technologie de réacteurs sont autant d'avantages considérables dont dispose le pays pour devenir un acteur important dans la communauté nucléaire. Que lui faut-il encore pour accroître ses chances en matière d'exportation?
Zhang: un engagement sans faille en termes de sûreté est de règle pour les pays qui souhaitent exporter leur expertise et leur technologie. Un rapport de 2010 du Regulatory Review Service IRRS de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) confirme que la Chine s'est fermement engagée en faveur de la sûreté nucléaire et qu'elle applique les normes de sûreté de l'AIEA pour l'élaboration de son cadre juridique. L'accès à la communauté nucléaire internationale et la mise en œuvre de ses normes sont également des éléments décisifs. La Chine a ratifié en 1992 le traité de non-prolifération et a adhéré au Comité Zangger en 1997. En 2004, elle s'est jointe au NSG (Nuclear Suppliers Group), dont les membres ont pris l'engagement de coordonner leurs contrôles à l'exportation de matières nucléaires et créé volontairement leurs propres directives en les mettant en application. Les dispositions de la Chine dans le domaine des exportations reflètent en très grande partie les usages et les processus internationaux défendus par le NSG.

Qu'en est-il des directives juridiques et politiques en matière de responsabilité civile nucléaire?
Fork: la Chine a fixé la limite supérieure de la responsabilité des exploitants à 300 millions de yuans [CHF 40 mio.] accompagnée d'une garantie de l'Etat à concurrence de 800 millions de yuans. Certains doutes ont été émis quant à la possibilité d'appliquer ce dispositif, quant au plafond de la responsabilité et à l'absence d'une loi exhaustive en matière de responsabilité civile nucléaire qui tienne compte des principes de compensation internationalement reconnus pour les cas d'accident nucléaire.

En résumé
William Fork et Li Zhang sont membres du Pillsbury Law's Energy Infrastructure and Projects Practice, un cabinet qui conseille des clients pour des projets dans plus de 75 pays. Pillsbury initie plusieurs pays aux aspects juridiques liés aux programmes de nouvelles constructions nucléaires.

Source

NucNet, Insider No 3, 29. April 2011/PV

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