Le tournant du tournant, une utopie?

Rolf Schweiger – président de l'association Aves («Aktion für vernünftige Energiepolitik Schweiz») et conseiller aux Etats du canton de Zoug jusqu'en 2011 – explique pourquoi, selon lui, un revirement du tournant énergétique en direction d'un retour au nucléaire en Suisse est tout sauf improbable. Cet article a été publié dans le rapport annuel 2011 du Forum nucléaire suisse.

14 mai 2012
Rolf Schweiger: «Un seul pays, l'Allemagne, a servi de modèle au tournant énergétique décidé par le Conseil fédéral et la majorité parlementaire de l'année écoulée. Les expériences négatives de notre grand voisin ne devraient donc pas non plus nous laisser indifférents.»
Rolf Schweiger: «Un seul pays, l'Allemagne, a servi de modèle au tournant énergétique décidé par le Conseil fédéral et la majorité parlementaire de l'année écoulée. Les expériences négatives de notre grand voisin ne devraient donc pas non plus nous laisser indifférents.»
Source: Rolf Schweiger

J'étais, je suis et je resterai convaincu que le courant d'origine nucléaire est une forme d'énergie optimale dont nous ne pourrons pas nous passer, même à long terme. Quiconque émet une telle opinion doit également se poser la question de savoir si son attitude n'est pas celle d'un utopiste ayant perdu tout contact avec la réalité. Je ne pense pas que cela soit mon cas, tout en ayant conscience qu'une explication s'impose. Je vais tenter de vous la fournir dans les lignes qui suivent.

Tout le monde semble penser que le Parlement a décidé d'abandonner le nucléaire. Or, tel n'est pas le cas. Le Conseil national et le Conseil des Etats ont transmis des motions, c'est-à-dire chargé le Conseil fédéral de soumettre au Parlement des propositions visant à sortir de l'atome. Reste à savoir si, quand et comment de telles propositions seront appliquées. En effet, même en cas de «oui» du Parlement, la cause sera encore loin d'être entendue. Un référendum – facultatif ou obligatoire – nous attend. Il y aura référendum obligatoire si l'abandon de l'énergie nucléaire requiert une modification de la Constitution. A mon avis, il est impératif d'en passer par là. En effet, si le Conseil fédéral et le Parlement torpillaient une votation constitutionnelle, cela reviendrait à bafouer les droits populaires fondamentaux et ferait naître le soupçon que la Berne officielle craint le verdict du peuple.

Pour moi, il est tout à fait réaliste d'envisager que les partisans du nucléaire l'emportent aux urnes et donc que les scénarios d'abandon définitif de l'atome soient rejetés. D'après mes observations, de nombreux éléments donnent à penser que le calme, le sang-froid, la confiance dans le nucléaire et la prise de responsabilités en vue du maintien de la rentabilité de l'industrie suisse vont connaître une renaissance. Pourquoi? A cause de faits et d'invraisemblances qui commencent à miner l'avenir d'une conception prétendument meilleure – si l'on en croit le Conseil fédéral – de notre approvisionnement en énergie.

Pour l'heure, notre approvisionnement énergétique reste très sûr, en particulier parce qu'il est encore possible de confier des mandats clairs aux grandes entreprises d'approvisionnement et parce que ces mandats sont remplis avec compétence. En cas de tournant énergétique, il ne serait toutefois plus possible d'allouer des mandats d'approvisionnement globaux. D'une part, en raison de la présence de très petites unités de production décentralisées et de la dépendance croissante envers l'étranger, sur lequel nous n'avons pas d'influence, tout spécialement en période de pénurie. D'autre part, parce que suite aux incertitudes qui sont apparues, la situation financière des entreprises d'approvisionnement, surtout des plus grandes d'entre elles, s'est d'ores et déjà massivement détériorée. Le cours de leurs actions a diminué de plus que moitié. Les dividendes se réduisent. Les bénéfices chutent.

Un seul pays, l'Allemagne, a servi de modèle au tournant énergétique décidé par le Conseil fédéral et la majorité parlementaire de l'année écoulée. Les expériences négatives de notre grand voisin ne devraient donc pas non plus nous laisser indifférents. Or, en Allemagne, la hausse massive des prix de l'électricité a déclenché un début significatif de délocalisation de secteurs de production ou d'entreprises entières vers les pays de l'Est ou l'Extrême-Orient. Avec ces départs, ce ne sont pas seulement des emplois peu qualifiés qui sont supprimés, mais aussi des postes d'un certain niveau. Et la disparition de ces derniers soulève des questions sociales que les partis politiques – à commencer par la gauche puisque ses électeurs risquent d'être touchés – ne peuvent passer sous silence. Penser que les choses pourraient évoluer différemment en Suisse malgré une politique énergétique comparable, c'est faire fi des réalités économiques.

Selon une idée largement répandue, les risques inhérents au tournant énergétique sont compensés par des opportunités considérables. Certes, de telles opportunités existent, mais surtout pour les grandes entreprises à forte valeur ajoutée, qui – pour autant qu'elles aient des compétences au-dessus de la moyenne – ont de toute façon une foule d'opportunités. Pour les PME, les opportunités attendues pourraient bien partir en fumée. Là aussi, l'exemple allemand est riche en enseignements. Les firmes solaires ferment, les faillites se multiplient, l'aide étatique dans le domaine du photovoltaïque se réduit comme peau de chagrin, non à la suite d'opportunités découlant des décisions du monde politique, mais tout simplement parce que même un Etat dont la santé financière est encore relativement bonne ne peut plus se permettre de dépenser des milliards comme par le passé. Pourquoi devrait-il en être autrement en Suisse, où l'achat de 20 avions provoque déjà un séisme financier?

Chez nous, toute demande de subventions peut être portée devant le peuple. Lors de chaque votation, la population ne manquera pas de se demander pourquoi il faut payer pour quelque chose dont on ne discute même pas dans la plupart des autres pays. Dès lors que l'horizon ne se limite plus à l'Allemagne, cette question en appelle une autre: des pays comme les Etats-Unis, l'Inde, la Chine, la Russie, la France ou la Suède – qui nous ressemble tant – agissent-ils vraiment de façon irresponsable en décidant de maintenir l'option du nucléaire? Pouvons-nous nous offrir le luxe de condamner en bloc ce que d'autres pays hautement industrialisés jugent tout à fait approprié? Un subventionnement massif – dont les autres pays font l'économie – ne va-t-il pas affaiblir la place industrielle suisse?

Il nous faudra bien revenir sur terre, au plus tard lorsque les premières votations auront lieu. Les faits, les chiffres, les expériences réalisées par d'autres pays remplaceront alors le «modèle» allemand. Ce ne serait pas la première fois que nous retrouverions, au moment décisif, ce pragmatisme qui nous a évité bien des bêtises par le passé.

Toutes ces réflexions m'amènent à conclure que le tournant énergétique n'est pas encore gravé dans le marbre, même s'il est dans toutes les bouches. Si une idée est appelée à se répandre, c'est bien que nous aurions tort de renoncer de façon irréfléchie à l'atout que représente un approvisionnement en énergie sûr et économique. Il est donc tout sauf invraisemblable que le tournant énergétique fasse l'objet d'un revirement et que l'on en revienne au nucléaire.


Rolf Schweiger
Rolf Schweiger est avocat. De 1999 à 2011, il a représenté le canton de Zoug au Conseil des Etats. Pendant toute cette période, il a siégé à la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil des Etats (CEATE-E), qu'il a présidée pendant les deux dernières années de son mandat parlementaire. Il est président de l'Entente suisse pour une politique énergétique raisonnable (Esper).

Source

Rolf Schweiger, Rapport annuel 2011 du Forum nucléaire suisse / D.B.

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