L'électricité reste un bien rare

L'opinion selon laquelle la demande en électricité pourrait être atténuée, voire réduite par une meilleure efficacité énergétique, revient sans cesse sur le tapis. Citons à ce sujet deux thèses que nul analyste ne conteste:

1. La demande globale en électricité connaîtra dans les décennies prochaines une croissance significative, ne serait-ce que du fait des besoins immenses des marchés émergents. Actuellement, les 30 pays de l'OCDE consomment une bonne moitié de la consommation d'énergie primaire globale actuelle. Mais les pays émergents rattrapent leur retard sous l'effet de l'augmentation de la prospérité et de la production accrue de l'industrie. Depuis 2003, les marchés émergents contribuent pour plus de la moitié à la croissance de la valeur ajoutée globale.
2. Même dans les pays industriels traditionnels, il est improbable que nous assistions à une stabilisation, voire à une réduction de la demande d'énergie électrique. Il suffit de constater les ventes toujours plus importantes d'appareils électroniques. De plus, le mix énergétique subit un déplacement l'éloignant des sources d'énergie fossile et le rapprochant de l'électricité. En d'autres mots: les gains d'efficacité énergétique ne pourront jamais compenser l'accroissement de la consommation inhérente aux nouvelles applications.

Cette tendance dans les techniques de l'information (TI) peut être constatée de manière impressionnante. La 50e IFA de Berlin, le plus grand salon d'électronique grand public, vient précisément de mettre en évidence le caractère massif de l'évolution en ce domaine. Le marché des équipements électroniques grand public va connaître cette année une croissance de 5%. Les ventes d'équipements pourraient même atteindre une augmentation de 10%.

Les experts en TI ont accordé une grande attention à l'étude «Visual Networking Index» de Cisco. Les pronostics sont proprement stupéfiants: l'équipementier leader des réseaux Internet part du principe que l'échange de données va connaître une croissance annuelle de 35% d'ici à 2014. Sur le réseau mobile, cette croissance est même de 110% par an. La surface des écrans installés (moniteurs PC, écrans plats TV, smartphones) augmente globalement de 10% par an. Le nombre de minutes consacré par les consommateurs à surfer sur Internet augmente chaque année de 15%. Entre 2009 et 2014, cette valeur va pratiquement doubler pour atteindre 7,7 trillions de minutes par mois. Le multimédia devient l'application clé. Le nouveau slogan est «always on» (branché en permanence) ou encore «hyperconnectivité» dans le jargon de Cisco. Il est inutile de préciser que la production et la mise en œuvre de tous ces produits du domaine de l'électronique grand public vont consommer de plus en plus d'énergie.

Les analystes de Cisco visualisent le trafic mensuel moyen en l'an 2014 par cette image: «Il sera équivalent à ce que 32 millions de personnes généreraient comme trafic en regardant ou en téléchargeant le film 'Avatar' en 3D non stop durant le mois complet.»

Les facteurs responsables de ce «toujours en ligne» sont identifiables: pénétration croissante des réseaux bande large à haut débit, diffusion fulgurante d'écrans numériques, meilleure résolution des écrans, large diffusion d'équipements pouvant être mis en réseau, augmentation des performances et des vitesses de traitement d'ordinateurs portables, de notebooks et de netbooks. La vidéo par Internet et la télévision par Internet (à l'exemple de Swisscom TV) représenteront en 2014 avec 56% le domaine d'application le plus important dans le trafic Internet global.

Cisco insiste aussi sur le fait que ces hypothèses ne sont que conservatoires. Il pourrait se dessiner des tendances disposant d'un potentiel d'augmentation encore plus significatif du trafic Internet. Par exemple si les médias sont encore plus consultés en ligne que hors ligne. Actuellement, l'essentiel du flux vidéo est encore consommé par la voie de la diffusion hertzienne. Si la majeure partie des consommateurs privilégie l'Unicast – un signal uniquement destiné à un utilisateur individuel –, l'effet serait dramatique. Enfin la télévision haute définition et tridimensionnelle «mange» de la bande passante très large. Or les prévisionnistes partent du principe que ce n'est que dans trois à cinq ans que l'on assistera à une croissance exponentielle de ce côté-là. Mais les ordinateurs dotés de la capacité 3D peuvent accélérer cette percée bien plus tôt que prévu.

Il n'y a pas que les TI qui ont soif d'énergie électrique. L'avenir sera de plus en plus marqué par les systèmes de contrôle-commande électroniques, dits digital signage. Dans le domaine de l'architecture, les façades extérieures lumineuses deviendront un instrument d'expression artistique de plus en plus important.

L'efficacité énergétique peut beaucoup, mais ne pourra jamais tout. La recherche et le développement ne contribuent qu'à ralentir la consommation d'électricité par rapport à l'accroissement des ventes d'équipements. L'objectif le plus réaliste concernant la demande en électricité (nucléaire) reste la croissance atténuée.