L'énergie nucléaire en Europe

Conférence présentée par M. Walter Hohlefelder, membre du directoire d'E.ON Energie AG, lors de l'assemblée générale de l'ASPEA du 28 août 2001 à Berne

27 août 2001

Je suis heureux de ne pas seulement m'adresser à vous aujourd'hui sur l'avenir de l'énergie nucléaire en Europe, mais d'en parler avec vous. Le débat sur l'énergie nucléaire souffre souvent malheureusement d'une étroitesse de vue nationale. Des défis importants tels que la protection du climat ou l'approvisionnement futur en énergie primaire de l'Europe, le marché intérieur de l'énergie, en pleine formation, et surtout l'internationalisation croissante des constructeurs et des exploitants, montrent toutefois que nous devons penser l'énergie nucléaire au moins en termes européens, si ce n'est même en termes globaux. Il s'agit de regarder au-delà de notre jardin, et c'est pourquoi je suis heureux de pouvoir être ici aujourd'hui parmi vous à Berne.
Comme vous le savez, les exploitants allemands et le gouvernement fédéral ont signé le 11 juin de cette année un accord relatif à l'utilisation future de l'énergie nucléaire. Je reviendrai plus tard sur cet accord. Juste deux mots à ce sujet: l'accord ne sonne pas le glas de l'énergie nucléaire allemande. Nous avons conclu un accord sur l'exploitation des centrales nucléaires existantes. Le gouvernement fédéral allemand et l'économie électrique continuent d'avoir des points de vue différents sur l'avenir de l'énergie nucléaire. Même si le gouvernement Schröder a annoncé il y a trois ans l'objectif déclaré d'un "abandon irréversible", la phrase de Karl Popper "l'avenir est ouvert" continue de s'appliquer, entre autres à l'énergie nucléaire en Allemagne.

Etat des lieux
Mesdames et Messieurs, commençons par un état des lieux. L'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire fête cette année son 50e anniversaire. Le 20 décembre 1951, le premier réacteur expérimental - l'Experimental Breeder Reactor I - était mis en service à l'essai à Idaho, aux Etats-Unis. L'optimisme et l'exaltation des années 50 et 60 - période où l'on n'attendait pas moins de la fission de l'atome que la solution de tous les problèmes énergétiques futurs, et même plus: "Atoms for Peace" était le slogan de l'époque - se sont envolés depuis longtemps. L'impression d'un déclin lent mais constant de l'énergie nucléaire qui a pu naître dans les pays industriels occidentaux, surtout après Harrisburg et Tchernobyl, doit toutefois être nuancée. Même si la Conférence de Bonn sur le climat du mois passé s'est prononcée contre la prise en compte des centrales nucléaires dans le cadre des "mesures d'application conjointe" et du "mécanisme de développement propre", je suis persuadé que la discussion sur une renaissance de l'énergie nucléaire va se poursuivre sous les mots-clés "protection du climat" et "sécurité de l'approvisionnement". On peut vraiment noter en effet que pour la première fois depuis 15 ans environ, l'énergie nucléaire refait son apparition dans un débat public positif, ce qui est véritablement un bon signe pour tous ceux qui se sont trouvés pendant des années dans cette discussion de défensive permanente, dans une discussion de refus; ceci est encourageant et exerce vraiment des effets très positifs aussi sur le plan personnel.
Il ne saurait échapper à personne que la recommandation formulée à Bonn de ne pas tenir compte de l'énergie nucléaire dans les mécanismes flexibles va beaucoup moins loin que l'exigence d'une exclusion catégorique de l'énergie nucléaire qu'avait présentée antérieurement une "liste négative". Si nous considérons le potentiel de protection du climat que présente l'énergie nucléaire - dans la seule Union européenne, le nucléaire évite quelque 800 millions de tonnes de CO2 par an, soit à peu près le total des émissions du trafic routier européen - si, avec les chercheurs de pointe sur le climat, nous continuons de partir du principe que pour endiguer l'effet de serre, les émissions anthropogènes devraient être réduites de jusqu'au 80% - le tout s'accompagnant de besoins énergétiques en augmentation rapide dans les pays en développement et dans les pays en voie d'industrialisation - il ne faut pas beaucoup d'imagination pour admettre que dans le contexte du processus de Kyoto, le dernier mot n'a certainement pas encore été dit sur le sujet "énergie nucléaire et protection du climat".
Des faits objectifs confirment d'ailleurs que l'énergie nucléaire n'est nullement arrivée à sa fin: l'année dernière, le nombre de tranches nucléaires dans le monde est passé de 441 à 444, la puissance nette installée a augmenté à 356 GWe. Avec quelque 2450 TWh, le nucléaire a tout de même assuré 17% de la production globale d'électricité. 34 centrales nucléaires se trouvaient en construction l'année dernière. On peut donc se fonder pour l'avenir sur une nouvelle hausse de la production d'électricité dans des centrales nucléaires. La progression est importante en Asie surtout. L'Inde a l'intention de mettre en service 14 réacteurs d'ici à 2010, 13 installations sont projetées ou en construction en Chine, de même qu'au Japon, et la Corée du Sud veut aménager quatre nouvelles installations dans le cadre de son programme d'électricité. Une évolution très positive donc, mais je voudrais dire aussi ceci à ce sujet: avec les installations pakistanaises, chinoises, indiennes, nous sommes tous, si j'ose dire, embarqués dans le même bateau sur le plan politique. Si quelque chose se passe mal là-bas, nous devons le supporter ici, et c'est pourquoi je considère d'un côté que ces chiffres sont tout à fait positifs, mais ils me poussent par ailleurs à me poser la question suivante en toile de fond: fait-on là aussi suffisamment pour la sûreté?
La progression spectaculaire de l'énergie nucléaire en Asie contraste avec sa stagnation dans les pays industriels occidentaux. Exception faite de l'Europe de l'Est et de projets particuliers tels que la centrale projetée par TVO en Finlande et les réflexions conduites sur l'EPR (European Pressurized Water Reactor), l'utilisation de l'énergie nucléaire en Europe reste figée au niveau atteint. Les signaux politiques sont par ailleurs contradictoires: les gouvernements allemand et belge ont inscrit l'abandon du nucléaire sur leur étendard - peut-être déjà un certain anachronisme face à l'ambiance internationale. Du fait des problèmes à venir en matière de protection du climat et de sécurité de l'approvisionnement, la Suède réexamine son projet d'arrêt de Barsebäck II, et le gouvernement britannique commence à réfléchir sur la construction de nouvelles centrales nucléaires pour remplacer ses réacteurs Magnox, réacteurs maintenant vraiment vieux.
En Suisse aussi, l'image apparaît contradictoire aux yeux de l'observateur étranger. D'un côté, les consultations populaires de l'année dernière, consultations critiques vis-à-vis du nucléaire, ont été repoussées avec succès. Dans le cadre de la modification du droit atomique suisse, la durée de fonctionnement des centrales ne sera expressément pas limitée. Mais de l'autre côté, le gouvernement suisse vise un abandon du retraitement, et on a déjà parlé justement de l'attitude de la Suisse lors de la conférence mondiale sur le climat.

Conséquences de la concurrence dans le secteur de l'électricité
Quel cours l'énergie nucléaire prend-elle en Europe? Il est important de noter tout d'abord que sous le signe des marchés de l'électricité libéralisés, l'avenir de l'énergie nucléaire ne dépend pas seulement de facteurs politiques, mais de plus en plus de facteurs économiques. Il s'agit certes aussi d'acceptation par la société, paramètre de toute façon relatif qui peut se modifier rapidement; mais il s'agit surtout de l'accessibilité à des rendements à terme d'investissements futurs. En tant qu'entrepreneurs, nous construisons et exploitons finalement nos centrales nucléaires non pas pour l'amour de ces installations, mais pour produire de l'électricité à un coût bon marché. Une réalité pure et simple qui, dans l'âpreté du combat, est oubliée parfois par les partisans de l'énergie nucléaire comme par ses adversaires.
Le fait que la construction de nouvelles centrales nucléaires en Europe occidentale ne soit actuellement pas à l'ordre du jour résulte en premier lieu de la concurrence européenne sur le marché de l'électricité. Selon des estimations de la Société allemande d'interconnexion (Deutsche Verbundgesellschaft), les surcapacités actuelles en Europe s'élèvent à 40'000 MW - on veut parler ici des "investissements non amortissables". Des quantités d'électricité produites doivent donc être écoulées sur le marché à des conditions qui ne couvrent guère les coûts. En Allemagne, nous avons vécu de manière particulièrement drastique la mutation du monopole à la concurrence, ce qui d'ailleurs a été en partie de notre faute. Après l'ouverture intégrale et sans transitions du marché de l'électricité au printemps 1998 - un processus historique et d'ailleurs sans pareil sur le plan international - les prix de l'électricité ont baissé jusqu'au milieu de l'année dernière de 25% en moyenne, et de jusqu'à 60% dans des cas extrêmes. Dans le commerce de "commodity", la concurrence intervient sur la base de coûts variables à court terme. En cas de quantités importantes de capacités libres, il n'est donc guère possible de couvrir la totalité des coûts. Le seul moyen de ramener la production vers la rentabilité est de procéder à des assainissements importants des capacités. E.ON Energie a donné le coup d'envoi pour l'Allemagne en automne dernier en annonçant la suppression de 4900 MW - nous ne l'avons d'ailleurs pas seulement annoncé, nous l'avons aussi fait. Une consolidation des prix du commerce de gros est heureusement apparue entre temps. Mais des installations dont la compétitivité ne peut pas être maintenue devront être découplées du réseau à plus ou moins longue échéance aussi dans d'autres pays de l'Union européenne. Ceci s'applique également - et ceci, je le dis très clairement - aux centrales nucléaires. Il s'agit là d'une affirmation qui ne passe que très difficilement, à l'interne comme à l'externe. Et c'est aussi la seule raison - seulement l'aspect économique - pour laquelle le programme d'arrêt de centrales électriques d'E.ON Energie a englobé aussi la centrale nucléaire de Stade, notre centrale la plus ancienne et la plus petite qui, encore en plus, était grevée du "pfennig pour l'eau" de la Basse-Saxe. Une décision économique donc et non pas une décision politique, bien qu'elle soit volontiers considérée comme telle par la politique allemande.
Non seulement les surcapacités existantes, mais aussi les coûts élevés en capital parlent actuellement aussi contre la construction de nouvelles centrales nucléaires. Les incertitudes quant à l'évolution future des prix de l'électricité, la grande volatilité des prix, l'attente de rendements à court terme des investisseurs et le caractère changeant des conditions générales de la politique énergétique conduisent immanquablement à favoriser des cycles d'investissements courts, ce qui n'est pas précisément le cas avec une centrale nucléaire.
Ceci signifie qu'un contexte politico-juridique positif constitue, certes, une condition nécessaire, mais une condition loin d'être suffisante, face à la concurrence, pour la construction et l'exploitation de centrales nucléaires.

Digression: l'accord sur l'énergie nucléaire du 14 juin 2001
Cette constatation est importante pour pouvoir comprendre correctement l'accord allemand relatif à l'énergie nucléaire. Autant la question de nouvelles centrales nucléaires ne se pose guère actuellement pour E.ON Energie ou nos concurrents allemands, autant il est clair que les coûts de production des installations existantes et largement amorties - certaines exceptions mises à part comme Stade - sont nettement inférieurs aux coûts de centrales à charbon comparables. Nos centrales nucléaires viennent clairement en tête dans la concurrence interne en matière de production. Elles sont donc des atouts décisifs pour affirmer notre position face à la concurrence européenne entre producteurs. Et telle est la motivation déterminante pour nous qui nous a poussés à conclure avec le gouvernement fédéral l'accord sur l'énergie nucléaire. Nous voulions atteindre un maximum de "sécurité politique d'exploitation" pour les centrales nucléaires existantes, parce que la sûreté d'exploitation, une exploitation sans entraves, signifie aussi compétitivité élevée, et donc rentabilité.
L'accord recèle en la matière un compromis pragmatique. Les exploitants acceptent la limitation dans le temps de l'exploitation des installations, exploitation autorisée à l'origine de manière illimitée, en convenant de contingents de quantités d'électricité. Ces contingents suffiront jusque dans les années 20 de ce siècle. Ils sont par ailleurs transmissibles entre les installations et permettent ainsi une optimisation, sous l'angle de l'économie d'entreprise, de l'utilisation des centrales. En contrepartie, le gouvernement fédéral garantit une exploitation des installations sans entraves politiques. Il a expressément admis - cela peut vous sembler aller de soi, mais si vous considérez les conventions de coalition des rouges-verts d'il y a deux ans, alors vous voyez ce qui a changé - il a confirmé donc

  • que les centrales nucléaires allemandes "sont exploitées avec un niveau de sûreté élevé par comparaison internationale",
  • qu'il "ne prendra aucune initiative (ce qui est particulièrement important) pour modifier cette norme de sûreté et la culture de la sûreté qui est à sa base", et
  • il s'est engagé à ne pas discriminer l'énergie nucléaire par des mesures unilatérales - pas non plus par des mesures de nature fiscale.

Ce compromis est le résultat d'une analyse objective des rapports de forces. A une position juridique forte des exploitants et des propriétaires, position que l'on n'aurait toutefois pu imposer que difficilement et que dans très longtemps, s'opposait le "potentiel de nuisance durable" de facto de la politique qui, par des stratégies administratives et législatives de blocage, d'obstruction et de renchérissement, menaçait de remettre en question la compétitivité de nos centrales.
L'accord n'est donc pas ce pour quoi on le prend souvent, ou ce dont on l'apostrophe souvent:

  • Il n'est pas "un contrat social de politique énergétique". Les parties à l'accord - gouvernement et entreprises - n'avaient ni l'intention ni le mandat de fixer des directives de politique énergétique pour l'Allemagne. Les négociations sont, en ce sens, fondamentalement différentes des "entretiens de consensus" des années 90 dont le point de départ était tout à fait large sous l'angle de la politique énergétique.
  • L'accord n'est pas non plus un "consensus sur l'abandon du nucléaire", comme le suggèrent de nombreux comptes rendus dans les médias. Parallèlement à des questions relatives à la gestion des déchets, il porte exclusivement sur l'exploitation des centrales nucléaires existantes en Allemagne. Les exploitants "prennent note" de l'intention du gouvernement allemand de ne pas autoriser de nouvelles centrales nucléaires. La position des entreprises reste inchangée dans l'évaluation fondamentale de l'énergie nucléaire. Les termes du consensus avec le gouvernement fédéral sont si vous voulez les suivants: "We agree to disagree".

Cet arrangement en Allemagne a abouti dans le contexte tout à fait spécifique de la situation politique allemande: on citera ici la coalition rouge-verte, des décisions de congrès de parti prises à l'avance, les accords de coalition. On a donc affaire ici à une solution typiquement allemande, et je me garderai bien d'exhorter quiconque hors de l'Allemagne à vouloir absolument reprendre cette solution. Le monde ne doit vraiment pas se ressourcer à ce qui se passe en Allemagne. Nous arrivons tout juste à vivre avec cet arrangement, mais il ne faudrait pas que nos voisins tombent eux aussi dans la situation de pouvoir tout juste vivre avec ce qui ressemblerait à un consensus quelconque sur la question du nucléaire. Je dis ceci aussi parce que j'ai entendu que des hommes politiques allemands pensaient à l'occasion devoir encourager à reproduire de tels compromis politiques. Nous nous en accommodons, mais ce n'est pas le modèle pour l'Europe.
Nous pratiquons en toute connaissance de cause en Allemagne la différence entre compromis pragmatique d'une part, et fidélité fondamentale d'autre part:

  • Nous ne remettons pas unilatéralement en question les éléments de l'accord de juin dernier, au contraire: dès avant la signature en juin, nous avons commencé à établir le bilan des quantités d'électricité que nous produisons de manière à remplir nos obligations concernant les durées de vie restantes. Les requêtes de droit atomique et de génie civil en vue de l'autorisation d'installations d'entreposage sur les sites sont présentées, et les procédures sont en partie bien avancées. De son côté, même si cela s'est fait après de nombreux retards, le gouvernement a permis entre temps la reprise des transports d'assemblages combustibles. Et un certain calme s'est instauré sur ce chapitre; on voit encore de temps en temps des photos de transports Castor, mais on peut chercher les manifestants sur ces photos: il y a plus de journalistes que de manifestants. J'ai vu récemment dans un journal le gros titre suivant: "Transports Castor - Et alors?" Les choses ont donc relativement changé tout de même. Je voudrais ajouter ceci: lorsque je me remémore les durées de révision de nos centrales nucléaires, je constate qu'elles n'ont jamais été aussi courtes que ces derniers mois, ce qui montre que l'obstruction a perdu du terrain. Il n'y a plus que le Land le plus septentrional de l'Allemagne qui essaie encore, à l'image du "petit village gaulois", de poser quelques problèmes, mais en principe, ça se passe très bien. La nouvelle loi atomique du gouvernement fédéral est entre temps disponible, elle va être examinée au Parlement, et elle a fait l'objet de consultations intenses avec nous (un processus comme il n'en avait encore jamais existé en Allemagne) sur la moindre virgule, si bien qu'elle a pu finalement servir de base à l'accord.
  • Nous n'avons pas peur de dire ce que nous pensons quand il s'agit d'évaluation du nucléaire sous l'angle de la politique énergétique. Il est clair du reste que rien n'est irréversible, de futurs gouvernements fédéraux seront toujours libres d'acquérir des connaissances différentes et nouvelles lors de l'évaluation future de l'énergie nucléaire.


Perspectives
Si nous jetons un regard sur l'avenir, l'optimisme est donc tout à fait de mise. Je ne suis pas prophète et je n'aime pas non plus particulièrement les prévisions énergétiques à long terme. En général, elles ne sont fiables que dans la mesure où l'on peut être sûr que leurs pronostics concrets ne se réaliseront pas. Je suis également d'avis que nous ne devrions pas non plus pratiquer un optimisme d'opportunisme. Quoi qu'il en soit, il existe de bonnes raisons qui parlent aujourd'hui en faveur d'une renaissance de l'énergie nucléaire, aussi sur le vieux Continent.

  1. La dynamique de la concurrence dans le domaine de l'électricité entraînera, cette décennie encore, une ouverture totale des marchés européens de l'électricité. Alors que la directive de 1997 sur le marché de l'électricité exige un taux d'ouverture d'au moins 33% en 2003, nous avons déjà atteint aujourd'hui quelque 70% d'ouverture du marché dans l'Union européenne. L'achèvement du marché intérieur de l'énergie sera éventuellement retardé par l'opposition de certains Etats membres, mais il ne sera pas empêché. La conséquence de ceci est toutefois que les surcapacités actuelles en Europe disparaîtront dans quelques années déjà, et l'expérience montre qu'en matière de concurrence, le chemin entre la surcapacité et la pénurie est souvent beaucoup plus rapide que beaucoup ne le pensent et ne le remarquent.
  2. Du fait de la structure de l'âge du parc électrique existant, des décisions sur la construction de nouvelles centrales viendront à échéance la prochaine décennie. De 2010 à 2020, il faudra probablement renouveler quelque 60% de la capacité électrique actuelle en Europe. Certes, de nouvelles capacités se bousculent sur le marché: je veux parler ici de la "production d'électricité décentralisée". Mais la construction soutenue de nouvelles installations de production à énergies renouvelables, l'utilisation renforcée de piles à combustible à partir de la fin de cette décennie, et même un possible "dash for gas" ne devraient guère parvenir à couvrir les capacités nécessaires de remplacement en charge de base. Les exemples des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada (remise en service de Bruce A) ou aussi du Brésil (reprise probable de la construction d'Angra 3) montrent par ailleurs qu'en cas de pénurie aiguë ou prévisible de production d'électricité, le thème de l'énergie nucléaire est discuté avec un nouvel esprit d'ouverture.
  3. Des technologies de centrales nucléaires nouvelles et nettement meilleur marché existent déjà, ou sont en cours de développement. Il s'agit en premier lieu ici d'avancées d'ordre qualitatif. On citera l'EPR, le BWR 1000 (réacteur à eau bouillante), le réacteur sud-africain à haute température (PBMR) ainsi que la filière de réacteurs de la quatrième génération aux Etats-Unis. On constate en même temps un élargissement du spectre d'utilisation des centrales, depuis de grandes installations de 1800 MW telles que l'EPR jusqu'à des grandeurs de puissances plus faibles de quelques centaines de MW comme le PBMR.
  4. Il se crée actuellement en Europe de grandes entreprises d'électricité qui veulent procéder à des investissements à long terme, et sont en mesure de le faire. En plus d'une puissance financière plus forte, l'orientation européenne et même globale de ces entreprises entraîne aussi une indépendance plus grande des politiques énergétiques nationales. Bref, les marges de manœuvre nécessaires aux entreprises pour procéder à des investissements dans le domaine de l'énergie nucléaire s'agrandissent.
  5. Une tendance positive pour l'énergie nucléaire se dessine aussi dans la compétitivité avec d'autres agents énergétiques primaires. La dépendance croissante de l'Europe de ses importations de gaz et de pétrole, la concentration des réserves de gaz naturel sur quelques pays, avec parallèlement une augmentation considérable de la demande de gaz, ainsi que la concentration des fournisseurs dans le commerce international du charbon, annoncent des hausses des prix d'achat à long terme. Vient s'ajouter à cela l'internalisation de coûts externes visée par les milieux politiques. Beaucoup de choses parlent pour que la discussion sur le climat qui se déroule dans les pays industrialisés conduise à une pénalisation de la production d'électricité par des agents énergétiques fossiles - si ceci ne revenait pas à favoriser en même temps l'énergie nucléaire, ceci se serait produit depuis longtemps en Allemagne.

Il est incontestable que les investissements à long terme dans des centrales nucléaires doivent non seulement aboutir à des rendements à terme, mais ont besoin également d'une sécurité politique d'investissement. On se trouve là aussi en présence de signaux positifs. Je suis persuadé qu'il existe de bonnes chances pour que le débat de société perde de son caractère idéologique, ce qui permettrait aux gouvernements de pratiquer une politique nucléaire plus rationnelle. Nous voyons aujourd'hui que dans de nombreux pays, la fin de la guerre froide a adouci les conflits idéologiques et a ouvert la voie à un nouveau pragmatisme politique. Il suffit de penser ici à la politique économique du "New Labour" ou au changement des Verts allemands en matière de politique extérieure ou de politique de la sécurité. En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, il est d'ores et déjà possible de discuter à nouveau d'une extension de l'énergie nucléaire. Ce nouveau pragmatisme offre par ailleurs la chance d'un rapprochement quant à la teneur des débats sur l'énergie nucléaire en Europe. Avec ses déclarations certes prudentes, mais positives sur l'énergie nucléaire, le Livre vert de la Commission de l'UE sur la sécurité d'approvisionnement énergétique va déjà dans cette direction. Il s'agit pour mon pays que l'accord relatif à l'énergie nucléaire facilite lui aussi le retour vers un discours rationnel. Ceci peut paraître paradoxal, mais ce n'est que si la discussion sur l'énergie nucléaire se calme que nous aurons une chance de trouver une nouvelle base de discussion raisonnable sur la poursuite du développement de l'énergie nucléaire. Aussi longtemps que nous resterons retranchés dans un durcissement idéologique mutuel, nous n'aurons aucune chance de promouvoir à nouveau la discussion en vue de constructions de nouvelles centrales, etc. Nous devons tout d'abord retrouver le calme, et c'est ce que nous sommes en train de faire en ce moment. La poursuite de l'utilisation de nos centrales nucléaires est pour ainsi dire légitimée par la coalition rouge-verte "dans l'exercice de ses fonctions gouvernementales". Ceux qui, il y a trois ans encore, faisaient de l'abandon du nucléaire une question de survie nationale, mais parviennent à vivre aujourd'hui avec des durées d'exploitation des centrales de 32 ans, connaissent un problème terrible de crédibilité. Avec le compromis sur l'énergie nucléaire en toile de fond, les défenseurs d'une vision apocalyptique de l'énergie nucléaire se heurtent aujourd'hui en Allemagne à une incompréhension croissante.
C'est ainsi que le ministre allemand de l'économie, M. Müller, qui est connu pour ses déclarations provocatrices occasionnelles, a fait le commentaire suivant à propos de la question de la protection du climat: "Il est bien possible que le mouvement écologiste en vienne à une réévaluation fondamentale de la politique énergétique et qu'il encourage dans quelque temps l'utilisation de l'énergie nucléaire."
C'est finalement aussi l'évolution aux Etats-Unis qui décidera si on en arrive jusque là. Dans ce pays, les décisions sur le renouvellement du parc électrique se font plus tôt qu'en Europe. C'est en Amérique qu'a commencé il y a cinquante ans la percée dans l'ère de l'énergie nucléaire; il y a 22 ans, l'accident de TMI a semblé sonner le glas de l'énergie nucléaire. Avec ses recommandations en faveur d'une extension de l'énergie nucléaire, retraitement compris, d'une accélération des procédures d'autorisation et d'un encouragement renforcé de la recherche, le rapport Cheney pourrait donner un nouveau signal de départ. Je voudrais toutefois aussi dire ce qui suit à ce sujet: si ceci se limite finalement à une simple "extension de la durée de vie", ceci n'apportera pas l'impulsion nécessaire. L'impulsion nécessaire ne sera donnée que si l'on construit à nouveau véritablement des centrales nucléaires dans le monde, et ceci dans un pays industrialisé occidental. Prolonger la durée de vie des centrales sans en construire de nouvelles est du reste une manœuvre assez critique.

Impératif de l'heure: préserver l'acquis
Quelle conclusion tirer de tout cela? L'impératif de l'heure est tout d'abord et surtout d'exploiter les installations existantes de manière sûre, économique, et le plus possible sans petite musique d'accompagnement politique, c'est-à-dire de manière aussi normale que possible par rapport à d'autres modes de production. Deux tâches viennent ici au premier plan: il s'agit d'une part d'améliorer encore la compétitivité des installations en concurrence, ceci surtout dans le domaine de la production; nous sommes par ailleurs placés devant le défi de préserver l'infrastructure nucléaire et de maintenir le savoir-faire disponible.
Face à la stagnation actuelle de l'énergie nucléaire en Europe et aux carnets de commandes en conséquence peu satisfaisants de l'industrie des constructeurs et des fournisseurs, la préservation de l'acquis et des compétences doit surtout intervenir dans le cadre européen, resp. global. La fusion de Siemens KWU et de Framatome est sous cet angle une démarche logique. Je constate toutefois avec inquiétude que malgré la fondation de Framatome ANP, la branche des constructeurs continue d'être exposée au danger de devoir affronter des pénuries graves de compétences dans des secteurs clés. Ceci concerne en particulier les secteurs de l'instrumentation du cœur, de la protection du réacteur, de l'actionnement des barres de commande, des internes de la cuve du réacteur et des analyses sur le refroidissement de secours. Je veux dire par là que le concept "perte de savoir-faire" est un argument fallacieux et qu'il ne faut pas généraliser: il s'agit de se donner la peine d'analyser exactement où et à quels endroits se produit une perte de savoir-faire pour pouvoir intervenir efficacement, et ce sont là des choses importantes dont nous devons nous préoccuper ici. Dans certains domaines spécialisés, le constructeur a déjà réduit les effectifs à la force critique de compétence. L'exécution des commandes n'est toutefois pas suffisante pour maintenir cette force minimale à long terme. Nous sommes donc actuellement en négociations avec l'industrie des constructeurs en vue de mettre en place une planification d'investissements à long terme qui permettra d'éviter, du fait d'un taux d'occupation insuffisant, une diminution des effectifs de spécialistes dans des disciplines critiques de savoir-faire. La préservation du savoir-faire est donc en grande partie une tâche qui relève aussi de nous-mêmes en tant que producteurs d'électricité. Pour préserver l'avenir, il faut également que les exploitants allemands continuent de s'engager aussi dans le développement de l'EPR et du BWR 1000. Nous ne pouvons pas dire que nous voulons maintenir l'option de l'énergie nucléaire, que nous voulons préserver le savoir-faire, et nous désengager en même temps de futurs projets. Mais soit dit en passant, c'est là une position et une discussion pas tout à fait simples aussi en Allemagne, parmi les exploitants. D'autres champs d'action portent sur la poursuite du développement de la réglementation nucléaire et sur la mise au point de normes de sûreté harmonisées sur le plan international pour de futures filières de réacteurs.
Ce n'est pas le tapage autour de l'énergie nucléaire, mais la préservation de l'acquis et des compétences, dans le calme et la sérénité, qui constituera la base de la renaissance possible, un jour, de l'énergie nucléaire. Le comportement de notre branche vis-à-vis de l'opinion publique revêt aussi une grande importance. Il dépend de nous de contribuer à encourager un climat favorable à l'énergie nucléaire dans la société - non pas par des campagnes de grande envergure ou des actions de marketing gigantesques, mais bien par des offres sérieuses d'information, par une ouverture d'esprit face à ceux qui critiquent l'énergie nucléaire et par un degré maximal de transparence. La façon dont, l'année dernière, le premier transport suisse d'assemblages combustibles de la centrale nucléaire de Gösgen à La Hague a été réalisé et communiqué aux médias et à l'opinion publique est exemplaire sous cet angle.

Mesdames et Messieurs,
je suis incapable de vous dire si, dans quelques années, nous parlerons de la construction imminente de réacteurs en Europe occidentale. Comme je l'ai déjà dit, l'avenir est ouvert. Mais je suis persuadé que le temps parle plutôt pour que contre l'énergie nucléaire.

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