Rapport intermédiaire des centrales nucléaires suisses sur le concept de protection contre des attaques aériennes
Le 11 septembre 2001, des avions de ligne ont été utilisés pour la première fois dans l'histoire comme armes de destruction de bâtiments civils et de vies humaines. Les centrales nucléaires suisses et la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (DSN) ont saisi l'occasion de cette attaque terroriste pour procéder, par des études détaillées, à un réexamen du concept de la protection des centrales contre une telle menace.
Le potentiel de danger particulier que présentent les centrales nucléaires sont les matières radioactives qu'engendre la fission de noyaux d'uranium. Une destruction des structures et barrières de sécurité qui entourent le réacteur, ainsi que des systèmes de refroidissement du réacteur, pourrait entraîner un réchauffement des crayons combustibles, et donc des rejets de radioactivité, avec des conséquences graves pour l'homme et l'environnement. L'objectif de protection est d'empêcher de tels rejets.
La question posée aux centrales nucléaires était de savoir à quel point les mesures de sécurité existantes peuvent garantir le respect de l'objectif de protection même en cas d'attaque terroriste avec un avion de transport. Les recherches auxquelles elles ont procédé se fondent sur les données expérimentales dont on dispose pour évaluer les conséquences d'une chute d'avion, ainsi que sur des calculs sur modèle. Les centrales nucléaires tirent maintenant un premier bilan dans un rapport intermédiaire.
La DSN a pris position sur ce rapport intermédiaire lors de sa conférence de presse du 22 avril 2002: sa conclusion est que les centrales ont bien travaillé. Premièrement, on dispose maintenant de données, modèles et méthodes d'analyse qui correspondent à l'état de la technique, et deuxièmement, les premières analyses ont montré que les centrales nucléaires présentent un degré élevé de protection contre une chute d'avion. Leur résistance est plus élevée que ce que l'on supposait jusqu'à présent, souligne encore la DSN. Les travaux de la Suisse ont été communiqués mi-avril à l'OCDE et sont considérés comme très avancés par comparaison internationale.
Les résultats provisoires de ce rapport intermédiaire sont résumés brièvement ci-dessous. La publication du rapport final est attendue pour la fin de cette année.
Caractéristiques de la conception des centrales nucléaires suisses
La conception des centrales contre la chute d'avions militaires ou civils constitue une base importante pour apprécier le concept de protection contre une attaque terroriste aérienne. Les caractéristiques de cette conception sont les suivantes:
- Systèmes de sûreté disponibles en plusieurs exemplaires: en cas de défaillance d'un système, le prochain entre en action.
- Séparation spatiale de ces systèmes de sûreté: l'écrasement d'un avion ne peut pas les détruire tous en même temps.
- Les bâtiments réacteur des centrales nucléaires de Gösgen et de Leibstadt sont équipés de mesures de protection contre une chute d'avion qui relèvent du génie civil. Conformément à l'état de la technique encore largement répandu à notre époque, les bâtiments réacteur de Beznau et de Mühleberg ne sont pas spécialement conçus pour un tel événement, mais ils disposent d'enveloppes de confinement renforcées.
- Présence de systèmes de secours d'urgence en vue de l'évacuation de la chaleur résiduelle, systèmes protégés sous l'angle de la construction, en cas d'agression externe extrême, chute d'un avion sur l'aire de la centrale comprise. De tels systèmes n'existent que dans les centrales nucléaires suisses et allemandes. L'initiative de leur installation a été prise à la suite de la chute d'un Coronado près de Würenlingen en 1970 et d'une série d'accidents d'avions militaires en Allemagne.
- Une organisation de secours d'urgence dont l'état de préparation à l'intervention et la coordination avec les organismes de l'Etat font l'objet d'entraînements réguliers.
Attaque aérienne et chute d'avion
Dans leur étude, les centrales nucléaires ont attaché une importance particulière aux différences qui existent entre une chute d'avion accidentelle et une attaque ciblée par un avion commandé. En collaboration avec des pilotes expérimentés et par un essai sur simulateur réalisé auprès de Swissair, on a découvert que le bâtiment réacteur ne peut pas être atteint de manière ponctuelle et qu'en cas d'attaque, seules certaines combinaisons de l'angle de l'impact et de la vitesse de l'impact sont techniquement possibles. On a pu en déduire que les conséquences sur le bâtiment sont plutôt plus faibles que celles qui avaient été supposées pour une chute accidentelle.
Effets étudiés sur le bâtiment réacteur
Pour évaluer les effets sur le bâtiment réacteur d'une attaque aérienne, les phénomènes suivants ont été analysés par des modèles de calcul:
- Pénétration de réacteurs d'avion - les parties les plus perforatrices d'un avion - ou de débris
- Défaillance locale du bâtiment lors de l'écrasement de l'avion
- Stabilité statique du bâtiment lors de l'écrasement d'un gros porteur
- Vibrations dues au choc similaires à des secousses sismiques
- Conséquences d'un incendie de kérosène
Les conséquences dépendent des caractéristiques de l'avion. C'est ainsi que du fait de la section plus petite du fuselage, le crash d'un petit avion tel que l'Airbus 320 entraîne, à vitesse égale, un endommagement plus grave en surface au point d'impact, tandis qu'un avion plus gros tel que le Boeing 747 transporte davantage de kérosène et peut aussi provoquer des vibrations plus fortes. Le Boeing 777 est équipé enfin des réacteurs les plus lourds, ce qui est déterminant pour l'appréciation de la pénétration dans les bâtiments. C'est pourquoi pour les travaux de recherches, on a classé les avions et les réacteurs en diverses catégories parmi lesquelles on a sélectionné des types représentatifs pour les calculs des scénarios.
Premiers résultats des études
Pénétration de réacteurs d'avion ou de débris:
Pour la planification, sous l'angle de la chute d'avion, des centrales nucléaires suisses les plus récentes, on a eu recours aux procédés de dimen-sionnement de constructions nucléaires qui étaient utilisés dans les années 70. Une évaluation de ces procédés par des méthodes plus modernes se fondant en partie sur des essais à l'échelle 1:1 a montré que les anciens procédés étaient très pessimistes, dérivés qu'ils étaient de la construction de bunkers et d'essais de bombardements. Les recherches qui viennent d'être effectuées ont permis de montrer que selon les procédés actuels de dimensionnement, l'épaisseur de paroi de construction qui est nécessaire pour empêcher la pénétration d'un réacteur d'avion ne doit être que la moitié environ de celle que prévoyaient les procédés des années 70. Et dans de nombreux cas, une armature installée en plus n'a pas encore été prise en considération.
Pour donner des chiffres précis, on indiquera par exemple qu'avec une épaisseur de la paroi de protection de 0,6 m, un réacteur d'avion ou des débris en cours de pénétration dans la paroi sont freinés si fortement que leur vitesse de sortie à l'intérieur de la paroi est trop faible pour déclencher des dégâts notables. Les épaisseurs des parois des bâtiments réacteur des centrales nucléaires suisses sont en partie nettement supérieures à cette valeur: 1,2 m pour Leibstadt, 1,2 m à 1,6 m pour Gösgen, 0,9 m environ pour Beznau, et 0,6 m environ pour Mühleberg.
Défaillance locale du bâtiment lors de l'écrasement de l'avion:
Parallèlement à l'effet de projectile que peuvent exercer des parties de moteur, il s'agissait d'étudier aussi la question de savoir si l'énergie de l'impact de l'avion entraîne une défaillance locale du bâtiment réacteur. La résistance des bâtiments réacteur des centrales nucléaires suisses a été évaluée à l'aide de modèles de calcul pour des types représentatifs d'avions et cinq vitesses d'impact différentes. On a étudié aussi l'influence provoquée lorsque l'avion s'écrase sur le bâtiment de manière pas tout à fait verticale: la force de choc est alors nettement réduite, et selon toute vraisemblance, l'avion devrait glisser sur la surface du bâtiment.
Les premiers résultats permettent de conclure qu'une défaillance locale des bâtiments réacteur de Gösgen et de Leibstadt lors de la chute d'un avion peut être exclue. Des calculs détaillés sur modèle sont en cours pour Beznau et Mühleberg. Etant donné qu'au moment de l'impact, un gros porteur est très fortement freiné avant que la force de choc atteigne sa valeur maximale, il ne faut guère s'attendre à une pénétration dans le bâtiment de parties importantes de l'avion, même dans le cas d'une défaillance locale de ce bâtiment.
Stabilité statique du bâtiment en cas d'écrasement d'un gros porteur:
La masse du bâtiment réacteur (60'000- 150'000 tonnes) est bien plus élevée que celle par exemple d'un Boeing 747 complètement chargé (400 tonnes). Les calculs ont confirmé que l'écrasement d'un gros porteur ne présente pas de danger pour la stabilité statique du bâtiment réacteur.
Vibrations dues au choc similaires à des secousses sismiques:
Du fait des prescriptions en matière de sécurité contre les tremblements de terre, les bâtiments réacteurs et les composants mécaniques sont en principe conçus pour supporter des vibrations ou des oscillations forcées. Lors de l'impact d'un gros porteur sur un bâtiment, on peut assister à des vibrations aussi bien de fréquences plus basses que de fréquences plus élevées qu'en cas de séisme, les vibrations à haute fréquence étant ici déterminantes pour la charge. Des essais réalisés en Allemagne avaient montré que celles-ci ne mettent pas en danger l'intégrité de composants mécaniques.
Des calculs sur modèle ont permis de confirmer que même des vibrations qui se produisent lors de l'écrasement d'un Boeing 747 à grande vitesse ne signifient pas qu'il y a danger pour la sûreté des installations.
Conséquences d'un incendie de kérosène:
Comme l'attaque du World Trade Center l'a montré, l'écrasement d'un avion de transport sur un bâtiment peut entraîner la destruction des réservoirs sous les ailes avec embrasement immédiat. La structure portante métallique du World Trade Center s'est révélée sensible à la chaleur du kérosène en flammes et a fini par céder.
Le mode de construction des centrales nucléaires suisses se distingue fondamentalement de celui du World Trade Center: celles-ci sont équipées d'une enceinte massive de confinement et d'une structure en béton. Il est très invraisemblable qu'en cas d'écrasement d'un avion, du kérosène parvienne à pénétrer à l'intérieur du bâtiment. Du fait du fort ralentissement de l'avion, décrit ci-dessus, lors de l'impact, la pénétration du réservoir du fuselage que l'on supposait auparavant - il est d'ailleurs vide dans la plupart des vols - peut être exclue.
En ce qui concerne les réservoirs qui sont plus éloignés du point d'impact, on peut supposer qu'ils restent partiellement intacts, et que le kérosène ne s'enflamme pas et ne se consume pas immédiatement lors du choc. Le carburant qui s'échappe des réservoirs en fuite peut se répandre et provoquer un incendie en dehors du bâtiment. Ce scénario se distingue de scénarios antérieurs, étudiés à propos d'avions militaires, en ce sens que la quantité de kérosène en flammes est plus importante. La coque en béton qui entoure les installations nucléaires peut toutefois résister pendant plusieurs heures à un incendie de kérosène sans perte notable d'intégrité. L'organisation de secours d'urgence étant opérationnelle en moins d'une heure, il est possible de lutter contre les conséquences de l'incendie. Les systèmes de secours disponibles dans toutes les centrales nucléaires suisses, ou d'autres systèmes de sûreté séparés les uns des autres, garantissent pendant ce temps l'évacuation de la chaleur résiduelle et empêchent ainsi un suréchauffement des crayons combustibles, qui pourrait entraîner un relâchement de radioactivité.
Résumé
Les centrales nucléaires suisses font partie des biens industriels les mieux protégés dans le monde. La probabilité qu'une attaque terroriste aérienne déclenche un accident nucléaire est considérée comme faible par les nouvelles études présentées. Le risque sera quantifié de manière encore plus précise par d'autres analyses.
Source
M.S./C.P.