Stratégie énergétique 2050: aperçu du projet de consultation

Le projet de loi concernant le premier paquet de mesures de la «Stratégie énergétique 2050» laisse augurer toute l’ampleur de la tâche titanesque qui nous attend et de son issue incertaine, et pas uniquement par son volume. Le texte prévoit ainsi une révision totale de la loi sur l’énergie, et avec elle des modifications de neuf autres lois. Les prévisions concernant la production d'électricité en 2050 sont contestées de toutes parts, et les charges bureaucratiques et financières supplémentaires liées à la sortie du nucléaire sont inestimables. La liberté individuelle et les caisses des ménages privés ne seront pas les seules à subir les conséquences de ce bouleversement, le paysage et la sécurité d’approvisionnement seront également mis à rude épreuve.

19 nov. 2012
Fin septembre 2012, le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a mis en consultation le premier paquet de mesures de la stratégie énergétique 2050.
Fin septembre 2012, le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a mis en consultation le premier paquet de mesures de la stratégie énergétique 2050.
Source: kentoh

Fin septembre 2012, le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), dirigé par la conseillère fédérale Doris Leuthard, mettait en consultation le premier paquet de mesures de la stratégie énergétique 2050. Le volume du texte à lui seul montre l’entreprise fort ambitieuse que représente la sortie du nucléaire. En plus de la révision totale de la loi sur l'énergie qui ne comptera non plus 30 mais 74 articles, neuf autres lois seront concernées à des degrés différents. Le projet de loi comprend au total 36 pages, et le rapport explicatif associé 138. Les rapports partiels et études joints ne sont certes pas tous aussi longs que le document de presque 1000 pages intitulé «Stratégie énergétique 2050» de Prognos. Mieux vaut donc avoir du temps devant soit pour pouvoir lire l’intégralité de cette documentation. Nous nous limitons ici à un aperçu d’ensemble du texte de loi, en mettant l’accent sur certains aspects choisis.

Interdiction d’accorder des autorisations générales

Le projet prévoit la modification de quatre articles de la loi sur l’énergie nucléaire. L’article 12, intitulé «Obligation d’autorisation, interdiction d'accorder une autorisation générale pour les centrales nucléaires», est déterminant ici. Il sera complété par un quatrième nouveau paragraphe: «L'octroi d'autorisations générales pour la construction de centrales nucléaires est interdit.». La phrase «Aucune autorisation générale n'est accordée en vue de modifier des centrales nucléaires existantes» (art. 106 par. 1bis) a elle aussi été rajoutée. En outre, la loi sur l’énergie nucléaire fixera également une interdiction illimitée concernant le retraitement des assemblages combustibles usés et leur exportation en vue de leur retraitement. De plus, le nouvel article 74a prescrit que le Conseil fédéral fasse «régulièrement rapport à l’Assemblée fédérale sur le développement de la technologie nucléaire». Ces modifications de la loi sur l’énergie nucléaire sont pour ainsi dire à la base de la stratégie énergétique 2050.

Les prescriptions pour 2050, à dix gigawattheures près

En dépit de cette interdiction, la loi sur l’énergie nucléaire vise toujours «à contribuer à un approvisionnement énergétique suffisant, diversifié, sûr, économique et respectueux de l’environnement» (art. 1 par.1). Le second article de la nouvelle loi fixe, à dix gigawattheures près, les objectifs de production de l’électricité issue d’énergies renouvelables aux horizons 2035 et 2050. La «production indigène moyenne d’électricité issue d’énergies renouvelables, force hydraulique non comprise», se situera en 2035 au moins à 11’940 GWh et à au moins 24’220 GWh en 2050. A titre comparatif: en 2011, les énergies renouvelables ont permis de générer environ 1600 GWh, dont les deux tiers provenaient de l’incinération de matières premières renouvelables dans les usines d’incinération des ordures ménagères. Pour pouvoir atteindre les objectifs fixés pour 2050, la production d’électricité actuelle issue du photovoltaïque devra être multipliée par 75, de l’éolien par 60 et de la biomasse par 5. De même, 4000 GWh devront être générés par des centrales géothermiques du type de celles qui n’ont pas pu être construites à Bâle suite à un séisme induit. La force hydraulique devra quant à elle produire au moins 37’400 GWh en 2035 et au moins 38’600 GWh en 2050. Or, en 2011, les centrales hydrauliques suisses ont délivré 33'795 GWh. Ces potentiels concernant la force hydraulique et les énergies renouvelables, qui doivent être définis dans la loi, sont fortement contestés parmi les spécialistes.

L’article 3 de la nouvelle loi sur l’énergie doit permettre aux «installations de couplage chaleur-force (installations CCF) alimentées totalement ou partiellement aux énergies fossiles» d’atteindre une puissance électrique installée d’au moins 1000 MW en 2025. Ces objectifs de développement ambitieux et en aucun cas sûrs qu’il «convient de viser», pour reprendre les termes du projet de loi, sont suivis dans l’article 4 d’«objectifs de consommation» mettant en évidence pour la première fois les conséquences qu’aura la stratégie énergétique pour les citoyens et citoyennes suisses.

Art. 4 Objectifs de consommation
1 Une réduction de la consommation énergétique annuelle moyenne par personne est visée par rapport au niveau de l'an 2000; elle est:
a. de 35% d’ici à 2035;
b. de 50% d’ici à 2050.
2 Une stabilisation de la consommation électrique annuelle est visée à partir de 2020.

33 articles sur la restructuration du système d’approvisionnement électrique

Les deux articles qui suivent règlementent la «collaboration avec les cantons, les milieux économiques et d’autres organisations» ainsi que les principes tels que «Les coûts d’utilisation de l’énergie doivent être imputés autant que possible aux consommateurs qui les causent.» (art. 6 par. 1c) ou encore «Avant de construire ou de modifier une centrale thermique à combustibles fossiles, il faut examiner si cela est nécessaire et si la demande ne peut pas être couverte au moyen d’énergies renouvelables. Il convient d’utiliser judicieusement les rejets de chaleur d’une telle centrale. Les dispositions de la loi du 23 décembre 2011 sur le CO2 demeurent réservées.» (art. 6 par. 3). Les spécialistes doutent qu’une sortie du nucléaire soit réalisable sans faire appel aux centrales à gaz. Le paragraphe suivant devrait donc donner lieu à discussions: «Les mesures ordonnées doivent être économiquement supportables et réalisables du point de vue de la technique et de l’exploitation.» (art. 6 par. 4).

Après ce premier chapitre intitulé «Objet, objectifs et principes», les quatre suivants, composés de 33 articles au total, sont consacrés au passage visé aux énergies renouvelables pour garantir l’approvisionnement énergétique, à l’aménagement du territoire requis, aux contingents de développement, aux subventions et autres rétributions ainsi qu’à leur financement. Outre les limites indiquées clairement dans le projet concernant la protection de la nature et du paysage, ces mesures induiraient très probablement une charge bureaucratique colossale et dans tous les cas des frais supplémentaires considérables à la charge des consommateurs et contribuables. Et nous n’aurions parcouru là que la moitié du chemin. La seconde modification, déjà annoncée, de la loi sur l’énergie s’accompagnera encore de frais et d’une charge bureaucratique supplémentaires, et surtout de restrictions pour la population suisse.

Obligation d’économie

Le sixième chapitre du projet de loi s’intitule «Utilisation économe et rationnelle de l’énergie». Dans la version actuelle de la loi, il s’agit du chapitre 3, composé des articles 8 et 9. Dans la nouvelle version, cette partie comprend les articles 41 à 46. L’article 41 (anciennement art. 8) autorise le Conseil fédéral à édicter des dispositions sur la consommation d’énergie des «installations, véhicules et appareils fabriqués en série, y compris la consommation en mode veille pour les appareils électriques». Le quatrième paragraphe de cet article indique que: «Le Conseil fédéral peut déclarer applicables à la consommation propre les exigences relatives à la mise sur le marché des installations, véhicules et appareils fabriqués en série». Et cela, il devra le faire bon gré mal gré s’il souhaite réellement diviser par deux la consommation énergétique par habitant. L’article 42 (anciennement art. 9), qui traite de l’utilisation économe de l’énergie en ce qui concerne les bâtiments, commence dans sa nouvelle version par la phrase: «L’utilisation économe et rationnelle de l’énergie et le recours aux énergies renouvelables revêtent en règle générale un intérêt national» et oblige les cantons à créer «dans leur législation les conditions-cadre propices à cet égard». Pour ce faire, ils doivent édicter des dispositions concernant «la part maximale d’énergies non renouvelables destinée au chauffage et à l’eau chaude», «l’installation de chauffages électriques fixes à résistances et le remplacement de telles installations» ou encore la «définition d’objectifs convenus avec les grands consommateurs». Un certificat énergétique des bâtiments ainsi que des exceptions à la norme pour l’isolation thermique ou les installations «visant une meilleure utilisation des énergies renouvelables indigènes» doivent également contribuer à atteindre les objectifs légaux d’économie drastiques.

Les fournisseurs d’électricité devront vendre moins

La section trois du chapitre 6, intitulée «Objectifs d’efficacité concernant la consommation électrique», oblige les fournisseurs d’électricité à vendre moins d’électricité à l’avenir. Pour ce faire, ceux-ci devront soit apprendre à leur client à moins consommer, soit mettre en place des taxes compensatoires. Ces «gains d’efficacité doivent être atteints grâce à des mesures standardisées ou à des mesures non standardisées. Les mesures rentables, qui seraient de toute façon réalisées, ne sont pas prises en compte.» (art. 44 par. 1). Pour attester les mesures d’efficacité, le projet prévoit également l’établissement de certificats négociables. Des objectifs (art. 45) et sanctions en cas de non-respect de ces prescriptions (art. 46) sont également prévus.

Le chapitre sept, intitulé «Mesures d’encouragement», oblige l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et les cantons à dispenser «information et conseils au public et aux autorités sur la manière de garantir un approvisionnement énergétique économique et écologique, sur les possibilités d’utiliser l’énergie de manière économe et rationnelle et sur le recours aux énergies renouvelables» et à encourager la formation et le perfectionnement «des personnes chargées de tâches découlant de la présente loi» ainsi que la recherche, le développement et la démonstration. Le paragraphe suivant autorise la Confédération à soutenir financièrement ces mesures d’encouragement soit par le biais de contributions globales annuelles en faveur des cantons, soit par des aides financières à des projets individuels, devant «généralement être remboursées en totalité ou en partie» si «un gain est réalisé dans le cadre d’un projet».

«Big Brother is watching you»?

Le chapitre suivant, portant sur les «conventions internationales», comprend un seul article, l’article 54: «Le Conseil fédéral peut passer des conventions internationales qui entrent dans le champ d’application de la présente loi et qui ne sont pas soumises au référendum.». Le chapitre neuf «Exécution» comprend dix articles qui règlementent les domaines d’intervention du Conseil fédéral, de la Confédération, du DETEC, de l’OFEN et des cantons. Dans les faits, rien de vraiment de nouveau, si ce n’est la charge supplémentaire qui incombe par nature aux différents organes en raison de la plus grande étendue de la nouvelle loi. Les articles 60 (anciennement art. 21) et 61 (anciennement art. 22) de la loi actuelle ont également été repris.

Art. 60 Obligation de renseigner
1 Quiconque fabrique, importe, commercialise ou utilise des installations, des véhicules ou des appareils consommant de l’énergie est tenu de donner aux autorités fédérales les renseignements qu’elles requièrent pour préparer et réaliser les mesures ainsi que pour en analyser l’efficacité.
2 Les personnes concernées fournissent les documents nécessaires aux autorités et leur garantissent l’accès à leurs installations pendant les heures de travail normales.

Art. 61 Traitement de données personnelles
1 L’OFEN peut, pour assurer l’exécution des tâches qui lui sont dévolues par la loi, traiter des données sensibles et d’autres données personnelles.
2 Il peut conserver ces données sur un support électronique.
3 Le Conseil fédéral définit quelles données personnelles peuvent être traitées et il fixe la durée de leur conservation.

Compte tenu du fait que, dans la nouvelle loi, le Conseil fédéral souhaite fixer la consommation d’énergie des individus et réduire celle-ci de manière drastique, ces deux articles de même que leur interprétation et leur application pourraient revêtir une forme totalement différente. Etant donné que l’obligation de renseigner ne se limite pas aux gros consommateurs ou exploitations industrielles, nous pourrions craindre, en tant que particulier, de devoir à l’avenir rendre des comptes aux autorités pour le moindre aspirateur acheté. Le seul nouvel article de ce chapitre, l’article 62: «production et publication de données», va dans ce sens. Ainsi, le Conseil fédéral «peut obliger les entreprises de la branche énergétique à publier des données ou à les remettre aux autorités fédérales compétentes aux fins de transparence et d’information des consommateurs finaux.»

Amende pouvant aller jusqu’à 100’000 francs

Le chapitre 10 «Compétences, procédure et voies de droit» dans sa version révisée est, à l’image du volume du projet, environ deux fois plus long que l’actuel. Il en est de même pour l’article 70 du chapitre 11 «Disposition pénale», actuellement l’article 28 du chapitre 7.

Art. 70
1 Sera puni d’une amende de 100’000 francs au plus quiconque aura intentionnellement:
a. enfreint les dispositions relatives aux installations, véhicules et appareils fabriqués en série (art. 41);
b. enfreint les dispositions relatives au marquage de l’électricité (art. 10);
c. refusé de donner les informations demandées par l’autorité ou fourni des renseignements erronés ou incomplets (art. 60);
d. fourni des renseignements erronés ou incomplets dans le cadre du système de rétribution de l’injection (art. 18), de la rétribution unique pour les petites installations photovoltaïques (art. 28) ou du système de rétribution du CCF (art. 31);
e. fourni des renseignements erronés ou incomplets dans le cadre de la perception du supplément (art. 36) ou de son remboursement (art. 38);
f. fourni des renseignements erronés ou incomplets dans le cadre des objectifs individuels visés à l’art. 43;
g. enfreint une disposition d’exécution dont la violation est déclarée punissable ou aura contrevenu à une décision à lui signifiée sous la menace de la peine prévue dans le présent article.
2 Si l’auteur agit par négligence, il sera puni d’une amende maximale de 40’000 francs.
3 Les infractions commises contre la présente loi sont poursuivies et jugées conformément à la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif. L’autorité compétente est l’OFEN.
4 Si l’amende prévisible ne dépasse pas 20’000 francs et qu’il apparaît que l’enquête portant sur des personnes punissables en vertu de l’art. 6 DPA implique des mesures d’instruction hors de proportion avec la peine encourue, l’autorité peut renoncer à poursuivre ces personnes et condamner l’entreprise (art. 7 DPA) au paiement de l’amende.

Dans la version actuelle de la loi, l’amende maximale s’élève à 40’000 francs (10’000 en cas de négligence) et la liste des faits punissables est moitié moins longue.

Une loi si volumineuse s’accompagne obligatoirement de dispositions transitoires. Celles-ci sont définies dans les neufs paragraphes qui composent l’article 71, et qui en font l’article le plus long de tout le document de projet. Et même s’il ne s’agit là que d’un pur formalisme juridique et si la mention est présente dans toutes les lois fédérales, le dernier article redonne un peu d’espoir: «La présente loi est sujette au référendum facultatif.»

Uniquement la moitié du chemin parcourue

Le projet de stratégie énergétique prévoit en plus des modifications de la loi sur l’énergie nucléaire, mentionnées au début de cet article, également une révision globale de la loi sur le CO2. Concernant la loi sur le Tribunal fédéral, elle considère comme irrecevables les recours contre «les décisions en matière de droit de l’électricité concernant l’approbation de plans des installations à courant fort et des installations à courant faible». Les lois suivantes sont également concernées:

  • la loi sur les forces hydrauliques;
  • la loi sur les installations électriques;
  • la loi sur l’approvisionnement en électricité;
  • la loi sur la circulation routière;
  • la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct;
  • la loi du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes.

La conseillère fédérale Doris Leuthard et l’OFEN ont déjà admis à plusieurs reprises que ce premier paquet de mesures ne permettrait d’atteindre que la moitié des objectifs du tournant énergétique. Pour le reste, ils misent sur la «réforme fiscale écologique» qui vise à passer d’ici 2020 d’instruments d’encouragement à des instruments d’incitation.

Si le Conseil fédéral s’en tenait à la politique énergétique éprouvée qui inclut l’énergie nucléaire, ce travail titanesque ne serait pas nécessaire. Nous n’aurions alors pas besoin de nous chamailler sur le nombre de gigawattheures qui devra être produit dans 40 ans et avec quelle forme d’énergie, ni sur la question de savoir si la Suisse doit construire des centrales à gaz, ou encore sur la manière dont notre système fiscal doit être réformé.

Source

M.Re./C.B.

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