Stratégie énergétique 2050 – quel impact sur nous et sur notre climat?

Le système énergétique de la Suisse doit être remanié de fond en comble d'ici à 2050. D'où la présentation, par le Conseil fédéral, d'un premier train de mesures en avril 2012. L'organisation Femmes pour l'énergie (FFE) s'est entretenue avec le Bâlois Silvio Borner, professeur émérité d'économie, sur les retombées de la stratégie énergétique du gouvernement et du Parlement pour la collectivité et le climat.

11 juil. 2012

FFE: quelles sont les retombées de la stratégie énergétique du gouvernement et du Parlement pour la collectivité et notre niveau de vie?

Silvio Borner: les effets potentiels ne sont pas encore chiffrables; à l'exception d'une déclaration politique – à savoir celle de renoncer au remplacement des centrales nucléaires à l'avenir – nous n'avons en effet strictement rien décidé. On ne sait toujours pas comment évaluer l'abandon du nucléaire sous l'angle de la protection du climat (abandon des agents énergétiques fossiles), ni par quels instruments on parviendra à réduire la demande et à forcer l'offre des énergies dites alternatives. Aucune stratégie n'a été couchée sur papier ou, qui plus est, validée par les milieux politiques.

Quel sera l'impact de la stratégie énergétique sur le climat?
Deux choses sont claires. Primo, la demande d'électricité continuera à augmenter en Suisse, secundo, les nouvelles énergies alternatives n'arriveront jamais à compenser la fermeture des centrales nucléaires. Nous serons ainsi dans l'obligation de procéder à des importations directes de gaz ou à des importations indirectes d'électricité produite à partir du gaz, de la houille ou du pétrole. La tentative d'importer exclusivement des renouvelables risque bien d'échouer puisque, dans l'ensemble, les pays développeront eux-mêmes une demande accrue dans ce domaine. En outre, importer de l'électricité nucléaire ne réduira aucunement les risques, puisque nos centrales comptent d'ores et déjà parmi les plus sûres du monde.

La population est-elle prête à assumer les conséquences du tournant énergétique? Acceptera-t-elle une hausse des prix?
Compte tenu de l'augmentation de la demande d'électricité liée à la croissance démographique et économique, les prix seront forcément sujets à des majorations drastiques tant du côté de l'offre que de la demande; il en résultera une levée de boucliers de la part des branches dévoreuses d'énergie ou leur délocalisation à l'étranger. Le gros des coûts affectera en premier lieu les ménages privés. A relever aussi les interventions draconiennes au niveau de la consommation des appareils, voire carrément le rationnement de l'électricité. Les kWh ainsi économisés pourraient devenir extrêmement onéreux et porter directement atteinte à notre prospérité! Mesures dictatoriales et détérioration sensible de notre bien-être seront le prix à payer pour une société à 2000 watts.

Des pays riches comme la Suisse et l'Allemagne sont-ils les seuls à pouvoir s'offrir un tournant énergétique?
La Suisse et l'Allemagne sont les seuls pays à avoir du moins projeté un abandon du nucléaire. Les 29 autres Etats nucléaires souhaitent maintenir, voire développer cette technologie. L'implantation de centrales dans de nouveaux pays est par ailleurs à l'ordre du jour. En comparaison avec l'Allemagne, notre dépendance du nucléaire est deux fois plus élevée. Notre pays est par ailleurs dépourvu de charbon, et notre situation est de surcroît moins favorable en termes d'éolien. Les Allemands se heurtent d'ores et déjà à d'énormes problèmes, et l'on peut donc s'attendre que le tournant énergétique soit encore plus ardu en Suisse. Je reste par conséquent convaincu que l'option nucléaire reviendra tôt ou tard sur le tapis.

Quelle est l'énergie renouvelable qui, selon vous, recèle le plus gros potentiel?
C'est difficile à évaluer. La chose ne devrait pas être planifiée par l'Etat mais être confiée au marché et aux investisseurs, à partir de la recherche fondamentale faite par l'Etat. Reste à savoir si, au final, le nucléaire ne sera pas classé à son tour dans le domaine des renouvelables (la fusion au lieu de la fission). Il est évident que le développement de la force hydraulique a ses limites en Suisse et qu'en raison de notre configuration géographique et des grandes surfaces nécessaires, le photovoltaïque et l'éolien occuperont, dans le meilleur des cas, de simples créneaux du marché. S'y ajoute une différence d'un facteur 3 à 4 entre les potentiels physico-techniques et les projets réalisables sous l'angle politico-économique. Le nucléaire a précisément été instauré en réponse aux résistances écologistes face à un développement massif du potentiel hydraulique de nos montagnes. Que cette opposition se manifeste à nouveau aujourd'hui est selon moi parfaitement compréhensible et même méritoire.

Qu'en est-il de la sécurité d'approvisionnement en 2050?
La sécurité d'approvisionnement ne représente pas vraiment un problème majeur pour notre pays prospère aux dimensions relativement modestes: investissant dans de grandes centrales fossiles et nucléaires, d'autres Etats nous approvisionneront volontiers à prix fort. Toujours est-il que cela implique une intégration complète au marché libéralisé européen ainsi que des investissements considérables dans les réseaux d'interconnexion. Nous redeviendrons ainsi les cavaliers solitaires de la politique climatique, puisque le charbon, le pétrole et le gaz feront encore longtemps la pluie et le beau temps en Europe. Et si nous voulons décarboniser notre énergie, nous devrons choisir l'électricité pour le chauffage (pompes à chaleur) et les transports (voitures électriques). Sans nucléaire, les importations rendront peut-être la chose faisable dans un petit pays comme la Suisse mais sûrement pas à l'échelle mondiale. Il se fait que le changement climatique affecte le monde entier, et ce que nous faisons ici restera en fait négligeable.

Le professeur Silvio Borner

Silvio Borner est professeur émérité d'économie et dirige la WWZ Summer School for Law, Economics & Public Policy à l'Université de Bâle. C'est en collaboration avec d'autres auteurs qu'il a publié en mars 2012 le document «Volkswirtschaftliche Auswirkungen der Energiestrategie 2050 des Bundesrates» [Conséquences économiques de la stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral]. On y trouve un examen critique des bases décisionnelles du gouvernement, une analyse des résultats de l'ETH de Zurich ainsi qu'une évaluation globale de la politique énergétique de la Suisse.

Source

publié avec l'aimable autorisation de l'organisation FFE / P.V.

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