«Tournant énergétique: contre une démarche en cavalier seul!»

Que ce soit en Suisse ou à l’étranger, la mise en œuvre de la Stratégie énergétique 2050 se heurte dans la pratique à la réalité économique. Urs Meister, chef de projet et membre de la direction d’Avenir Suisse, explique dans le cadre d’une interview accordée au Forum nucléaire suisse les défis du contexte de marché et du contexte international auxquels la Suisse sera confrontée si la Stratégie énergétique 2050 est mise en œuvre, et nous livre sa vision de l’avenir de l’énergie nucléaire.

27 juin 2013

Monsieur Meister, pour commencer permettez-moi un bref retour en arrière: Dans un article invité paru dans le Bulletin du Forum nucléaire suisse de novembre 2011, vous aviez supposé que les élections qui – à l’époque – allaient avoir lieu un peu plus tard, avaient influencé la décision de sortir du nucléaire. Nous sommes désormais au beau milieu de la période législative actuelle et le Conseil fédéral soumettra bientôt au Parlement son message concernant la Stratégie énergétique 2050. Quelle est selon vous la position du Parlement actuel concernant ce paquet de mesures?
Je doute que le Parlement soutiendrait l’éventail de mesures très complet du Conseil fédéral dans sa forme actuelle. Celui-ci contient non seulement trop de mesures mais également des mesures qui ne sont pas en adéquation les unes avec les autres. Ce qui fait le plus défaut, c’est avant tout une stratégie qui prenne en compte le marché et le contexte international comme il se doit. Le Conseil fédéral procèdera probablement encore à quelques adaptations avant de soumettre son message au Parlement.

Dans les milieux politiques, à la fois l’encouragement des énergies renouvelables et la construction de centrales à gaz sont fortement critiqués et les (nouveaux) partis du centre ne soutiendront pas ces formes d’approvisionnement énergétique coûteuses (RPC, développement de l’éolien et du solaire, évolution correspondante des réserves des centrales). Que se passera-t-il pour le tournant énergétique si les alternatives proposées par le Conseil fédéral essuient d’emblée le refus du Parlement?
Sur le principe, il n’est pas judicieux que ce soit la politique qui décide des technologies qui doivent être utilisées pour garantir l’approvisionnement énergétique. Cela devrait être la tâche du marché. Il serait plus pertinent que le Parlement fixe le plus rapidement possible des conditions générales dans l’optique d’une plus grande ouverture du marché et d’une intégration dans l’Europe. En outre, sur un plan économique, la Suisse n’a aucun intérêt à jouer le rôle de précurseur en mettant en œuvre le tournant énergétique. Au contraire: les coûts seront moins élevés si elle prend le temps nécessaire. Une plus grande ouverture d’esprit pour de nouvelles technologies plus attractives, telles que les énergies renouvelables mais aussi fossiles et nucléaires, sera nécessaire. Cela permettra également de procéder aux adaptations requises en termes d’infrastructures de réseau dans le cadre des renouvellements généraux. La situation actuelle du marché de l’électricité en Europe permet une telle stratégie du «hâte-toi lentement».

Aujourd’hui déjà, la Suisse est importatrice nette d’électricité. La Stratégie énergétique 2050 pourrait déboucher sur une augmentation des importations. Or nous ne pouvons influencer l’endroit d’où provient cette électricité ni la manière dont elle est produite. Est-ce que cela ne fait pas du tournant énergétique suisse un exercice alibi?
Sur le fond, nous ne pouvons en effet pas encore influencer ces paramètres. La légalité physique fait que l’électricité disponible à une prise électrique en Suisse n’est pas uniquement produite en Suisse, même si les électriciens garantissent, voire même certifient, le contraire. Les flux de courant ne s’arrêtent pas aux frontières des pays. Notre réseau électrique étant très étroitement connecté au réseau européen, nous consommant fatalement le mix électrique européen. Or celui-ci se compose essentiellement d’énergie fossile, mais aussi d’énergie nucléaire et de plus en plus d’énergies renouvelables telles que les énergies hydraulique, éolienne ou photovoltaïque. Dans le secteur de l’électricité, il est particulièrement inutile de formuler des objectifs de réduction de CO2 stricts ou des objectifs grandiloquents en matière de développement des énergies renouvelables à l’échelle nationale.

Concernant les émissions de CO2, la Suisse n’a que peu de poids à l’échelle mondiale. A quoi servent nos efforts si le reste du monde n’y met pas du sien?
Il est évident que la Suisse ne peut pas mener une politique climatique pertinente en cavalier seul. A problème mondial, solution mondiale. La Suisse doit donc d’une manière ou d’une autre faire concorder sa politique climatique et énergétique avec les développements atteints au niveau mondial. Et l’influence de la politique climatique et énergétique européenne sera décisive précisément pour le secteur de l’électricité, pour lequel les liens avec les pays voisins sont étroits. A partir de 2014, l’Europe se penchera sur les objectifs stratégiques à long terme pour la période après 2020. La question de savoir dans quelle mesure la politique énergétique européenne continuera d’être marquée par des objectifs climatiques se pose donc fondamentalement. Il s’agira notamment de décider quel poids doit être accordé au marché des certificats d’émissions de CO2 et à l’encouragement des énergies renouvelables. Cela aura également des répercussions sur la rentabilité du parc nucléaire suisse et par là sur la définition d’une politique énergétique et climatique nationale.

Selon vous, quand l’opinion de la population concernant la construction de nouvelles centrales nucléaires pourrait-elle changer? Si les réacteurs de dernière génération actuellement en cours de construction font leurs preuves aussi bien en termes de sécurité que de rentabilité, cela pourrait-il changer les choses?
Le secteur du nucléaire connait des évolutions techniques intéressantes. Je pense ici aux nouveaux systèmes de réacteurs de quatrième génération et aux installations modulaires plus petites. Ces systèmes pourraient être exploités de manière plus sûre que ceux de troisième génération actuellement en service. En outre, leur efficacité permettrait de réduire la quantité de déchets radioactifs. Si dans les années à venir ces réacteurs sont réellement commercialisés et mis en service dans les pays occidentaux, il est possible que l’acceptation devienne plus importante en Suisse également. La politique et la population en Suisse ne sont globalement pas opposées aux nouvelles technologies. Il est cependant difficile de prévoir maintenant quand ces systèmes seront disponibles et à quel point ils seront compétitifs dans un marché libéralisé. Par ailleurs, l’éventail de systèmes techniques possibles de cette génération est très large. Il est de fait d’autant plus important que les conditions générales autorisent une ouverture technologique qui soit la plus grande possible.

Quelles conditions permettraient une «réintroduction du nucléaire» au sein du Parlement? Est-ce que les retours des milieux économiques pourraient inciter à une remise en question?
Comme je l’ai déjà indiqué, lorsque de nouvelles installations plus sûres et plus efficaces seront disponibles et deviendront concurrentielles sur le marché, l’acceptation au sein de la population et des milieux politiques augmentera. Actuellement, le marché européen de l’électricité n’incite pas à investir dans la construction de nouvelles installations de génération trois. Les risques d’exploitation économique d’un tel investissement seraient trop importants, les installations seraient à peine rentables. Dans un tel contexte, des subventions explicites telles que celles mises en place en Grande-Bretagne seraient nécessaires. Mais cela ne serait pas judicieux sur un plan économique, et ne recueillerait certainement pas l’unanimité politique.

Vous avez qualifié de «limité» l’intérêt du secteur électrique pour les nouvelles constructions de centrales nucléaires, notamment à cause des risques liés aux investissements en raison des évolutions sur le marché européen de l’électricité. Qu’est-ce qui devrait changer pour que la branche modifie son opinion à ce sujet?
Pour que le fait d’investir dans de nouvelles centrales nucléaires soit attractif, il est nécessaire d’attendre que les prix de gros de l’électricité augmentent à moyen et à long terme. Cela pourrait par exemple être la conséquence d’une augmentation des prix du charbon et du gaz au niveau mondial. Or une telle évolution est relativement improbable dans un avenir prévisible au vu des développements très dynamiques des ressources non conventionnelles. Une sorte de changement de paradigme dans la politique climatique européenne engendrerait également une augmentation des prix sur le marché de l’électricité. Celui-ci permettrait d’une part de définir des objectifs de réduction de CO2 très stricts pour la période après 2020. D’autre part ces objectifs devraient être poursuivis davantage grâce à la taxation des émissions de CO2 que par le subventionnement des énergies renouvelables. Cela aboutirait à un rôle plus important du marché des certificats d’émissions de CO2 dans la politique climatique.

Les nouvelles technologies se heurtent elles aussi à un manque, voire une absence, d’enthousiasme. La géothermie par exemple fait souvent face au scepticisme, la fracturation est quant à elle presque catégoriquement exclue avant même que des projets concrets ne soient établis. Les options restantes ne sont pas nombreuses. Quel serait pour vous le mix électrique optimal économiquement parlant pour la Suisse?
Il semblerait que la tendance soit à une aversion au risque croissante au sein de la société. L’acceptation vis-à-vis de la construction de nouvelles infrastructures décline elle aussi, et pas seulement pour les grandes centrales, également pour les réseaux de transport. Cela pourrait être d’une part une sorte d’effet de bien-être. Et d’autre part, la densité de population de plus en plus élevée et les réserves nationales de plus en plus limitées et chères jouent elles aussi un rôle dans un pays de la dimension de la Suisse. Le problème dit du Nimby – Not In My Back Yard – a une importance capitale dans ce contexte. A long terme, l’acceptation politique et sociétale représentera indéniablement un critère de site de plus en plus important pour l’évolution ultérieure de la production d’électricité, et pas seulement pour les installations conventionnelles: également pour les énergies renouvelables. Cela influencera de manière croissante l’importance et la structure du commerce de l’énergie. Enfin, le tournant énergétique ne revêt pas la même forme dans tous les pays. Dans ce contexte, il n’est ni judicieux ni même possible de définir d’en haut un «mix électrique optimal économiquement parlant». La composition de la production d’électricité ainsi que des importations et exportations devrait avant tout être définie en fonction des marchés et des prix.

Qu’est-ce qui est le mieux pour la Suisse: un approvisionnement énergétique le plus «national» possible et par là autarcique, ou bien un marché complètement ouvert et des échanges commerciaux avec les pays voisins?
De principe, le commerce international est lié à l’augmentation de la prospérité. Cela vaut également pour l’électricité. Au final, les coûts de la production dépendent souvent de facteurs spécifiques au site. Concernant les énergies renouvelables, les coûts moyens de ces technologies sont fonction de la disponibilité en eau, du vent et de l’ensoleillement. Pour les énergies fossiles, ce sont le rattachement au réseau de gaz, les prix du gaz dans la région ou encore la distance avec les gisements de charbon (ou avec les ports dans le cas de lignite) qui sont déterminants. Les différences de coûts mais aussi la disponibilité fluctuante des technologies en fonction de la saison rendent ces échanges commerciaux non seulement judicieux sur un plan économique mais également importants pour la sécurité d’approvisionnement. Si l’approvisionnement électrique suisse était coupé des pays étrangers et fonctionnait sous forme de système autarcique, il serait moins sûr et beaucoup plus cher. Des capacités de réserve colossales seraient nécessaires pour compenser les fluctuations de l’énergie hydraulique. A l’inverse, les grandes centrales à accumulation ont été construites avant tout à destination du marché international, et non pour garantir l’approvisionnement national. Pour des raisons économiques, elles sont destinées aux échanges transfrontaliers. Ainsi, l’autarcie n’est intéressante ni pour les consommateurs ni pour les producteurs d’électricité.

Un approvisionnement électrique indépendant de l’étranger sur un marché ouvert est-il seulement possible?
Non. La Suisse était d’ailleurs dépendante de l’étranger avant l’ouverture partielle du marché au commerce extérieur. Si à cause de travaux de maintenance, les grandes centrales étaient arrêtées sur une période prolongée, ou que la production d’énergie hydraulique était particulièrement basse en raison des conditions atmosphériques ou de la saison, le pays devrait faire appel aux importations. En politique, l’indépendance est souvent confondue avec une balance du commerce extérieure équilibrée sur toute l’année. Il s’agit en réalité d’une référence arbitraire qui en dit peu sur la sécurité d’approvisionnement réelle.

Dans votre dernière étude concernant le courant vert et les marchés de capacités , vous mettez en garde contre un tournant énergétique en cavalier seul. Pour vous, quelles seraient les conséquences les plus graves pour la Suisse, si seules la Suisse et l’Allemagne mettaient en œuvre les projets actuels?
D’un point de vue général, la Suisse ne peut définir une stratégie d’approvisionnement énergétique judicieuse sans prendre en compte les évolutions sur le marché international. En ce qui concerne l’encouragement des énergies renouvelables, il ne faut en aucun cas copier les stratégies des voisins. Si le développement de la rétribution à prix coûtant du courant injecté profitait essentiellement au photovoltaïque, nous produirions essentiellement du courant vert, dans la mesure où les autres pays suivraient la même voie. La production nationale plus importante rencontrerait les exportations massives des voisins et les prix seraient tirés vers le bas. Le courant ainsi encouragé n’aurait aucune valeur. Dans le cas des marchés de capacités, c’est-à-dire des mécanismes qui régulent la mise à disposition de capacités de production conventionnelles, une coordination étroite avec les pays voisins sera nécessaire. Dans un petit pays comme la Suisse, qui est étroitement liée au commerce international, l’introduction unilatérale d’un tel mécanisme ne serait pas efficace et aurait en outre un coût élevé pour le consommateur. A l’inverse, en cas d’introduction des marchés de capacités dans les pays voisins, il sera difficile pour la Suisse de rester hors du jeu. Cela rendrait les investissements dans les centrales conventionnelles sur le territoire national encore moins intéressants et pourrait mettre en péril la stabilité de l’approvisionnement.

Dans votre étude, vous écrivez: «La production croissante d’électricité issue de l’éolien et du photovoltaïque évince de plus en plus souvent les centrales conventionnelles du marché», «conventionnelles» désignant également les centrales nucléaires. Les courants éolien et photovoltaïque, dont la production est fluctuante, peut-il réellement évincer les centrales nucléaires pour la fourniture de l’énergie en ruban?
En Allemagne, il arrive déjà de plus en plus souvent que les énergies renouvelables couvrent pendant un bref moment quasiment la totalité de la consommation. Le fait que les installations conventionnelles soient évincées du marché n’est pas seulement la suite logique de la priorité légale d’accès au réseau pour les énergies renouvelables, mais tient avant tout du fait que les technologies telles que l’éolien et le photovoltaïque induisent des coûts marginaux nuls. Dans ce contexte, il est de plus en plus difficile de revendre l’énergie en ruban traditionnelle. En outre, l’attractivité économique des installations possédant des coûts fixes élevés a tendance à décroître, notamment en ce qui concerne l’énergie nucléaire et l’hydraulique. Pour des raisons économiques, elles sont en effet souvent dépendantes d’un taux d’utilisation élevé. Les technologies conventionnelles induisant des coûts d’investissement bas mais une part relativement importante de coûts variables sont plutôt rentables sur un marché possédant une part élevée d’énergie fluctuante, et d’autant plus si à court terme des prix de pénurie élevés apparaissent sur le marché.

Si les centrales hydrauliques suisses sont elles aussi menacées et que les centrales à gaz ne sont pas construites pour des raisons politiques ou économiques, d’où proviendra notre charge de base?
Il est vraisemblable que la Suisse couvrira une plus grande partie de sa charge de base grâce à une augmentation des importations. Cette évolution n’a rien de surprenant en soit, puisque les investissements des entreprises du réseau d’interconnexion suisses dans des centrales françaises s’inscrivait précisément dans une stratégie d’importation. A l’inverse, le développement déjà commencé des centrales de pompage-turbinage en Suisse engendrera une augmentation du commerce de l’électricité de la charge de pointe. Cela signifie que le marché international jouera dans tous les cas un rôle plus important en Suisse, à la fois pour des raisons économiques et pour des raisons techniques d’approvisionnement. La question de savoir si le marché peut encore être divisé de manière aussi tranchée entre charge de base et charge de pointe se posera à long terme. Les fluctuations des prix à court terme et la flexibilité de la production et de la consommation joueront un rôle croissant. Cela engendrera une redéfinition des produits sur les bourses de l’électricité.

Concernant les mécanismes liés aux capacités dans le domaine de l’électricité, les producteurs reçoivent de l’argent en contrepartie duquel ils doivent rendre disponibles des capacités de production contrôlables, autrement dit en contrepartie de rien ou de pas grand-chose, si ce n’est de garantir l’approvisionnement en électricité. D’où provient l’argent versé?
Cela n’est pas si simple. Un marché de capacités structuré de manière adaptée conduit dans le fond à une offre du marché similaire à un marché «energy-only». Cependant, les rendements des centrales proviennent de deux segments de marché différents. L’introduction des mécanismes liés aux capacités génère une possibilité de rendement supplémentaire et accroit la sécurité d’investissement des installations conventionnelles. Mais elle réduit également les possibilités de rendement sur le marché conventionnel de l’énergie, sur lequel le courant est négocié en mégawatt-heures. Les consommateurs bénéficient donc d’une plus grande stabilité d’approvisionnement et d’une limitation des amplitudes de prix sur le marché, particulièrement importantes et intervenant à court terme (prix de pénurie), mais ils paient en contrepartie le financement du mécanisme via l’augmentation des tarifs du réseau et de l’énergie. Il s’agit là de la théorie. Dans la pratique, les mécanismes de capacités ont souvent été utilisés de manière incomplète et sélective, et ont donné lieu à l’apparition de distorsions supplémentaires dans les incitations aux investissements et à la production. De plus, ils ont tendance à réduire les incitations à investir dans des installations d’accumulation et dans la flexibilité de la consommation. Leur introduction ne va donc pas sans s’accompagner d’inconvénients.

Les mécanismes de capacités ont déjà été mis en place en Italie, et leur introduction est envisagée en Allemagne, en France et dans d’autres pays de l’UE. Quelles en seront les conséquences pour la Suisse? Devons-nous suivre le mouvement?
Il n’y a aucune besoin d’intervention immédiat en Suisse. Aussi bien en Suisse qu’en Europe, les capacités actuelles des centrales sont suffisantes. Dans ce contexte, des mécanismes de capacités structurés de manière judicieuse n’auront de toute façon guère d’impacts. Tant que les capacités conventionnelles seront suffisantes, la simple mise à disposition de capacités par les centrales n’engendra pas de prix. Cela pourrait changer à moyen ou long terme, notamment si d’autres centrales nucléaires ou installations d’énergie fossiles anciennes sont déconnectées du réseau et si la conjoncture s’améliore en Europe. La nécessité et par là l’impact des mécanismes de capacités pourraient augmenter à partir de 2020. La Suisse serait elle aussi alors concernée. En effet, la mise en place de tels mécanismes associée à l’encouragement des énergies renouvelables permettrait de réduire en moyenne les prix de gros de l’énergie en Europe. Si la Suisse reste en retrait, elle risque à long terme de mettre en péril sa stabilité d’approvisionnement. Et comme la Suisse a l’habitude d’«importer» le niveau des prix de gros des pays voisins, les investissements dans de nouvelles centrales conventionnelles en Suisse deviendraient relativement inintéressants.

Les marchés de capacités mis en place dans les pays voisins ne pourraient-ils pas constituer une source de revenus pour les centrales conventionnelles en Suisse, par exemple si nos centrales nucléaires vendaient de la puissance de réserve ou de réglage à l’Allemagne? Quels seraient les avantages et les inconvénients d’une telle stratégie?
Les marchés de capacités ne doivent pas être confondus avec le marché de la puissance de réserve ou de réglage. Ils ne servent pas à garantir une stabilité à court terme mais à inciter à l’investissement à long terme. Sur le principe, il est possible que les marchés de capacités soient structurés de manière transfrontalière dans une certaine mesure. La liquidité élevée d’un marché international stimule également la concurrence sur le marché de capacités. Il est actuellement impossible de dire aujourd’hui si une participation des exploitants des centrales nucléaires suisses aux mécanismes de capacités étrangers nécessitera un accord bilatéral sur l’énergie. Si les exploitants de centrales de pompage-turbinage en Suisse ajustaient essentiellement leur disponibilité en fonction des besoins des pays voisins du fait de leur participation aux marchés de capacités de ces derniers, cela pourrait mettre en péril la stabilité d’approvisionnement en Suisse.

En matière d’approvisionnement énergétique, vous demandez plus de marché et moins de régulation. Est-ce que là aussi une démarche en cavalier seul de la part de la Suisse ne serait pas risquée? Que se passerait-il si la politique suisse restait en retrait et s’en remettait entièrement au marché, alors que ce ne serait pas le cas à l’étranger?
Sans aucune régulation, le marché de l’électricité ne s’en sortirait pas à l’avenir également. La question est davantage de savoir quelle régulation est nécessaire et dans quels domaines. Le marché de l’électricité suisse est par exemple caractérisé aujourd’hui par une ouverture incomplète du marché avec une régulation des prix distordue dans l’approvisionnement de base, une régulation du réseau inefficace et basée sur les coûts, un encouragement relativement modéré mais inefficace des énergies renouvelables, ainsi qu’une surreprésentation des acteurs publics. Le fait d’adapter davantage les conditions générales aux forces du marché dans un pays de la taille de la Suisse et autant intégré dans le commerce de l’électricité international est important. La régulation des prix ou l’influence de la structure du parc nucléaire sont particulièrement inefficaces dans ce contexte. La régulation des prix est par exemple souvent une base des stratégies d’arbitrage des distributeurs, producteurs ou consommateurs. L’exemple de la Californie illustre parfaitement les dangers associés.

La lecture de vos publications laisse penser que vous n’êtes pas un adepte des pronostics à long terme. Nous aimerions malgré tout, pour finir, vous poser une question concernant le futur: est-ce qu’un jour, il sera à nouveau possible de construire de nouvelles centrales nucléaires en Suisse?
De mon point de vue, c’est précisément dans le domaine énergétique que le recours aux pronostics est le plus limité en raison des incertitudes de plus en plus importantes concernant les évolutions technologiques et le cadre régulatoire des modèles de marché ou de la politique climatique. Les débats autour des «limites de la croissance» et de la pénurie des ressources dans les 1970 l’illustrent parfaitement. A l’évidence, l’influence du progrès technique au vu des possibilités d’encouragement avait été sous-estimée. A l’heure actuelle, le secteur mondial de l’énergie est considérablement influencé par les évolutions dans le domaine des ressources non conventionnelles; or il était difficile d’anticiper cette évolution. De nouvelles technologies, intéressantes sur les plans technique et économique, pourraient prendre pied dans l’énergie nucléaire, j’ai déjà abordé ici les petits systèmes modulaires ou encore les centrales de quatrième génération. Je ne peux donc exclure qu’un jour de nouvelles centrales nucléaires seront construites en Suisse. Les décisions politiques ne sont pas faites pour être éternelles, d’autant moins en matière de politique énergétique.

Urs Meister

Urs Meister, docteur en économie est chef de projet et membre du cadre auprès du Think Tank Avenir Suisse depuis avril 2007. Il est en particulier responsable des domaines de l’énergie, des infrastructures (réseau) et de la santé. Il est également chargé d’enseignement à l’Université de Zurich à la chaire pour la direction et la politique d’entreprises. Avant d’intégrer Avenir Suisse, Urs Meister était dirigeant de l’entreprise de consulting Arthur D. Little (Suisse) AG et consultant chez Arthur Andersen AG à Zurich, où il traitait essentiellement des projets relatifs au Public Management, à l’énergie et à la santé.

Source

L'interview a été menée par Matthias Rey (C.B.)

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