Tragédie au Japon: facteurs de légitimation médiatiques

Les experts en communication examinent pour l'heure le désastre au Japon et la façon dont les événements ont été rapportés. Les analyses de l'écho donné par les médias et de l'intérêt manifesté par le public conduisent à un constat étonnant: ils ne s'expliqueraient pas uniquement par les discours de légitimation traditionnels.

22 août 2011

Les facteurs de légitimation médiatique servent d'instruments décisionnels pour amener la diffusion ou non d'un événement et, dans l'affirmative, déterminer l'importance qui lui sera dévolue. Parmi ces «valeurs médiatiques», on citera la portée et la force d'impact, la nouveauté, l'écart par rapport à la norme, le nombre de personnes concernées, la distance géographique, le caractère dramatique, la notabilité, etc. Rédacteurs, pigistes et rédacteurs en chef ne baissent jamais la garde et réévaluent la situation médiatique plusieurs fois par jour. D'une part, c'est une affaire d'intuition. D'autre part, très peu de décideurs sont assez courageux pour s'engager à contre-courant et se laissent ainsi guider par les médias à large diffusion.

La télévision, support médiatique à large diffusion

Plus que jamais et en dépit de l'avènement d'Internet, la télévision compte aujourd'hui parmi ces médias à large diffusion. L'espace réservé aux textes (parlés) étant très mesuré dans les programmes télévisés (alors que la retranscription du «Journal de 20 heures» occuperait à elle seule une pleine page de journal), les images et leurs diffuseurs acquièrent d'autant plus de poids. La télévision est non seulement un support multimédia mais aussi un média émotionnel. Elle nous fait vivre en direct dans notre salon des catastrophes comme celles du Japon. La brièveté des messages parlés favorise le «phénomène d'entonnoir», soit la tendance à l'extrême focalisation. A l'instar des tabloïdes, les chaînes publiques succombent elles aussi à la tentation de miser sur un seul événement. D'où la voracité d'information exponentielle dans le public et, partant, l'explosion de la consommation de médias. Or cette escalade dramatique provoque rapidement une sursaturation des faiseurs médiatiques et du public, l'intérêt se muant bientôt en parfaite lassitude.

Désenchantement parmi les faiseurs médiatiques également

Au final, le citoyen a souvent l'impression de n'avoir pas appris grand-chose. Il perd le fil et finit par admettre que les médias l'ont tout simplement «diverti». Et le désenchantement frappe aussi les rédactions. Interrogée sur Fukushima et sur l'intérêt, pour les thématiques environnementales, que le désastre aurait pu susciter, Verena Schmitt-Roschmann, journaliste à l'agence dapd de Berlin, répond ceci: «C'est plutôt l'inverse. La question du nucléaire et des énergies alternatives a supplanté tout le reste. Le thème de la protection de l'environnement n'est quasiment plus abordé.»

Tremplin pour des jeux de pouvoir

Roland Tichy, rédacteur en chef du magazine économique allemand «Wirtschaftswoche», l'exprime très clairement: «Je constate que le mode de transmission des nouvelles économiques est devenu différent. On se promène dans un théâtre illusionniste, où les affirmations passent pour des faits dès lors qu'elles sont écologiquement correctes.» Les nouvelles sur Fukushima ont été dictées moins par les faits que par les émotions, précise Tichy au «Wirtschaftsjournalist». Et d'ajouter: «Les questions écologiques demandent des discussions sérieuses. Dans le cas de Fukushima, il s'est agi tout d'abord d'une catastrophe naturelle. Mais l'accident a donné lieu à des jeux de pouvoir de politique interne. Les autres pays européens ont trouvé les réactions de l'Allemagne assez surprenantes.» Les fournitures aléatoires des énergies renouvelables étaient déjà un problème avant Fukushima et elles le restent à ce jour. L'opinion diffusée a souvent fait l'impasse sur les prix et les conditions générales. De même, la question de la faisabilité politique au niveau des lignes de transport des électricités renouvelables a été allégrement sous-estimée. Tichy: «Il ne reste, au bout du compte, que l'option des centrales à gaz et à charbon, alors même que leurs émissions nocives sont minimisées à l'extrême.»

Citoyens en quête de repères

Certains médias ont, bien sûr, réussi à placer les événements du Japon dans un juste éclairage. Et certains citoyens aiment, dans des crises de ce genre, se tourner vers ceux qui dispensent sans parti pris des informations claires et fouillées. Ils se tournent dès lors vers des médias crédibles. Ainsi, au lendemain du 11 mars 2011, le site Web de la «Neue Zürcher Zeitung» a été consulté deux fois plus que la semaine précédente, le pourcentage grimpant même à 30% pour le «Tages-Anzeiger» et «20min online». Le «Blick online» n'a, par contre, pas connu de hausse significative.

Les rédacteurs de la «NZZ» s'attachent à présenter un tableau nuancé. Paru début avril, le magazine «NZZ Folio» a été entièrement consacré au thème du nucléaire. Fait surprenant, la date de parution du sujet avait été fixée dès avant la catastrophe de Fukushima. «Persoenlich.com», le portail en ligne du secteur suisse de la communication, a interrogé à ce sujet Reto U. Schneider, le rédacteur adjoint du «NZZ Folio». La rédaction avait-elle préalablement défini sa position par rapport à l'énergie nucléaire ? «Non, dès le départ, nous avons voulu fournir aux lecteurs des données de base aussi fondées que possible qui leur permettraient de décider par eux-mêmes. La chose nous paraissait bien trop complexe pour des jugements tranchés.»

«Cela donne vraiment à réfléchir»

Dans quelle mesure l'attitude de la rédaction de la NZZ a-t-elle changé après la catastrophe au Japon? Voici la réponse de Schneider: «Je ne saurais parler au nom de la rédaction tout entière. Je continue à trouver la question difficile, peut-être parce que le travail sur ce dossier m'a donné un regard sur le monde. Il se peut que nos pays industrialisés de l'Ouest arrivent à se passer un jour, même avec difficulté, de l'énergie nucléaire. Mais il y a vraiment matière à réflexion lorsque l'on considère les besoins énergétiques de la Chine et que l'on pense à ces milliers de mineurs qui, chaque année, perdent la vie en plein jour dans les mines sans susciter le moindre intérêt de la part des médias. S'y ajoutent les conséquences désastreuses pour le climat.»

Culture de la peur dans le monde germanophone

Les facteurs de légitimation énoncés dans l'introduction pourraient nous amener à penser qu'en raison de la proximité géographique, la couverture médiatique sur Fukushima est beaucoup plus dense dans les pays asiatiques que dans les autres régions et que les Asiatiques s'y intéressent davantage. L'évaluation des recherches faites sur Google à travers le monde traduit, en effet, une telle corrélation, du moins en partie (voir graphique): la population des pays voisins comme la Chine, Taiwan et la Russie a effectivement témoigné plus d'intérêt pour les événements que les consommateurs de médias en Australie, en Afrique et dans les deux Amériques.

Il y a, bien sûr, des exceptions de taille à cette règle: mis à part la Grande-Bretagne et le Portugal, l'Europe se montre elle aussi très concernée. En dehors du Japon, c'est l'Allemagne qui détient la palme (100 points d'indice), suivie par l'Autriche (88 points), la Suisse (71 points), la Chine (67 points), la Russie (60 points), l'Italie (47 points), la France (43 points), l'Ukraine (41 points), Singapour (38 points) et Hongkong (37 points). Les scores très élevés dans les pays germanophones montrent que l'on a, sans doute, affaire à une trame culturelle spécifique, trame que l'on pourrait résumer par «culture de la peur». C'est d'autant plus plausible que des différences structurelles séparent l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche, celle-ci n'ayant en effet pas de centrales nucléaires.

Source

Hans Peter Arnold/PV

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