Passer du charbon au nucléaire

Pour protéger le climat, un certain nombre de pays veulent fermer leurs centrales au charbon et les remplacer par des centrales nucléaires qui seraient construites sur le même site afin de faire jouer les synergies. Des chercheurs de l’Université du Michigan ont évalué la faisabilité du remplacement de 245 centrales au charbon en service aux États-Unis par des réacteurs nucléaires avancés. Leur étude est une mine d’informations pour les décideurs et les entreprises d’approvisionnement en énergie.

5 mai 2025
Kohlekraftwerke
Selon l’Energy Information Administration (EIA) américaine, une agence fédérale qui fait autorité en matière de données énergétiques, les centrales au charbon comptent pour quelque 20% des émissions de CO₂ aux États-Unis.
Source: Sam Nash

Le Département américain de l’énergie (DOE) considère la conversion de centrales au charbon en centrales nucléaires («Coal-to-Nuclear») comme une option prometteuse pour créer des capacités de production bas carbone tout en assurant la stabilité économique et le maintien des emplois dans les communes qui, pour l’heure, dépendent encore du charbon. Tout comme le charbon, le nucléaire fournit un approvisionnement fiable en charge de base, mais sans les émissions de CO₂. Par conséquent, le DOE voit la conversion charbon-atome comme un moyen d’atteindre les objectifs climatiques tout en préservant les emplois et en réutilisant les infrastructures existantes.

Selon une étude du DOE remontant à 2022, des centaines de sites de centrale au charbon pourraient être convertis au nucléaire pour produire de l’électricité propre et dynamiser l’économie locale. Un rapport de septembre 2024 du même DOE évalue entre 128 et 174 GW les capacités nucléaires qui pourraient être construites sur les sites de centrales au charbon désaffectées.

L’étude – «Investigation of potential sites for coal-to-nuclear energy transitions in the United States» –, publiée en juin 2024 dans le «Journal Energy Reports», analyse systématiquement le potentiel de conversion charbon-atome existant aux États-Unis. Elle prend en compte des facteurs socio-économiques, sécuritaires et spécifiques à l’emplacement pour répertorier les sites qui se prêteraient à la construction de réacteurs nucléaires. Les 245 centrales au charbon passées en revue ont été subdivisées en deux classes de puissance: «moins de 1000 MWe» et «plus de 1000 MWe». Les deux installations qui se prêteraient le mieux à une conversion sont R. M. Schahfer pour la première catégorie et AES Petersburg pour la seconde. Elles se trouvent toutes deux dans l’Indiana.

Des avantages économiques et écologiques…

Selon l’étude, les avantages économiques et écologiques du passage du charbon à l’atome sont considérables.

Avantages économiques: La conversion au nucléaire des sites de centrales au charbon existants pourrait permettre des économies de coûts de 15 à 35% par rapport à la construction de centrales nucléaires sur de nouveaux sites, puisque les lignes de transport d’électricité, les bureaux et d’autres infrastructures pourraient être réutilisés. Les auteurs estiment que sur les grands sites, de telles conversions pourraient générer quelque 650 emplois et une plus-value économique d’environ 275 millions de dollars, ce qui signifie dans de nombreux cas des salaires environ 25% plus élevés que dans d’autres domaines de l’industrie énergétique.

Influence positive sur la stratégie climatique: les auteurs relèvent que l’énergie nucléaire constitue une alternative au charbon exempte d’émissions, tout en fournissant un approvisionnement stable en charge de base. Dans la perspective de la fermeture progressive des centrales au charbon attendue pour les 15 prochaines années aux États-Unis, le passage au nucléaire pourrait contribuer de manière significative à l’atteinte des objectifs climatiques sans compromettre la stabilité du réseau.

Influences régionales et planifications futures: L’étude souligne que le passage du charbon à l’atome est tributaire du soutien du gouvernement, des États fédéraux et des communes. Des facteurs tels que le marché du travail régional et le cadre politique peuvent influer fortement sur sa faisabilité. Reste qu’à long terme, cette conversion pourrait contribuer de manière significative à l’atteinte des objectifs de décarbonation et à la stabilité économique des régions concernées.

«L’étude propose une approche ‹top-down› pour évaluer le potentiel de conversion à l’atome de différents sites de centrale au charbon. Des études géologiques sur place, des études d’impact environnemental et l’intégration de la population restent indispensables à la prise de décisions définitives quant à la construction de réacteurs nucléaires», soulignent les auteurs.

…et des défis conséquents

Selon le DOE, au vu des défis que présente la conversion charbon-atome, seuls quelques sites pourraient réussir à se conformer aux exigences réglementaires, géographiques et techniques à remplir.

Étant donné qu’aucun site de centrale au charbon n’a encore été converti au nucléaire, la procédure administrative et la procédure d’approbation de la Nuclear Regulatory Commission (NRC) pourraient s’avérer longues, augmentant ainsi la charge financière pesant sur les entreprises d’approvisionnement et les communes. Pour remédier à cette situation, le Congrès a adopté en juillet 2024 la loi dite «Advance», qui exige de la NRC qu’elle réduise les émoluments liés à la procédure d’approbation et étoffe son personnel afin d’accélérer l’examen des nouveaux réacteurs nucléaires.

La reprise des infrastructures existantes constitue également un défi. Alors que les lignes de transport d’électricité et les systèmes de refroidissement peuvent en principe être réutilisés, d’autres composants pourraient ne pas être conformes aux normes nucléaires. Selon Jacopa Buongiorno, professeur de sciences et technologies nucléaires au Massachusetts Institute of Technology (MIT), les tours de refroidissement, pompes à eau, postes de couplage et routes d’accès pourraient être réutilisés, mais pas les composants internes du système, car la maintenance est moins stricte dans les centrales au charbon.

Le passage à l’atome offre au personnel des centrales au charbon la possibilité de se reconvertir en acquérant les compétences requises pour travailler dans une centrale nucléaire. Toutefois, l’effort à fournir est significatif. TerraPraxis – une ONG spécialisée dans l’innovation énergétique – souligne que si le métier d’électricien, par exemple, est similaire dans les deux secteurs, un quart environ des collaborateurs issus du charbon devront passer par une reconversion complète. En effet, «les emplois de cette catégorie exigent souvent des autorisations, des diplômes spécifiques ou un certain nombre d’années de formation», explique Jon-Michael Murray, directeur du programme Repower chez TerraPraxis.

 Réacteur intégral à sels fondus
En novembre 2022, Terrestrial Energy et TerraPraxis ont signé une déclaration d’intention relative à leur collaboration dans le cadre de l’initiative sur la durabilité «Repowering Coal». Celle-ci vise l’intégration de sources d’énergie durables dans l’infrastructure actuelle des centrales à charbon. L’entreprise canadienne Terrestrial Energy développe un réacteur intégral à sels fondus (Integral Molten Salt Reactor, IMSR) haute température d’une puissance thermique pouvant être comprise de 884 MW.
Source: TerraPower

Le financement des projets constitue un défi supplémentaire, estime le DOE. Aux États-Unis, l’«Inflation Reduction Act» offre certes des incitations financières substantielles, notamment des exonérations fiscales et des subventions, mais l’accès à ces aides requiert des connaissances spécifiques et une certaine coordination. L’initiative «Gateway for Accelerated Innovation in Nuclear (Gain)», un partenariat public-privé lancé par le DOE, vise à épauler les communes en leur fournissant un soutien technique et des prestations de recherche, mais bon nombre d’exécutifs locaux n’ont pas assez de ressources pour tirer pleinement parti de ces opportunités. Or, selon l’étude, l’utilisation efficace de ces incitations sera déterminante pour la réussite de la transition charbon-atome.

Conscient de ces défis, le DOE a publié en 2024 un guide destiné à aider les parties prenantes à surmonter les obstacles techniques, économiques et sociaux à cette transition.

Le passage du charbon à l’atome constitue une approche prometteuse, mais complexe, pour parvenir à un avenir énergétique durable. Il nécessite un soutien fort de la part des décideurs politiques, des stratégies innovantes de la part des fournisseurs d’énergie et l’acceptation de la population. Mais avec des efforts coordonnés, il pourrait devenir l’un des piliers de la décarbonation à l’échelle mondiale.

Ailleurs dans le monde

En dehors des États-Unis, bon nombre de pays étudient la possibilité de convertir leurs sites charbonniers au nucléaire.

La Chine est le pays qui consomme le plus de charbon et émet le plus de gaz à effet de serre au monde. Et elle veut atteindre la neutralité climatique d’ici à 2060 en misant fortement sur l’atome. Selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la Chine compte actuellement 57 tranches nucléaires en service et 28 en construction (en dehors des projets récemment approuvés). La transition charbon-atome pourrait lui permettre d’atteindre son objectif plus rapidement.

En Europe, c’est la Pologne qui est la plus avancée en la matière. Ce pays fortement dépendant du charbon prévoit de bâtir au moins deux grandes centrales nucléaires commerciales avec l’aide financière du gouvernent. Une d’entre elles à construire à Lubiatowo-Kopalino et l’autre sur un des quatre sites de Bełchatów, Konin, Kozienice ou Połaniec. Bełchatów est le plus grand complexe charbonnier du pays, mais il existe également des centrales à charbon qui doivent être démantelées sur les autres sites envisagés pour la deuxième centrale nucléaire de Pologne.

La Slovaquie et la République tchèque examinent elles aussi les possibilités de conversion charbon-atome existant sur leur territoire afin d’atteindre les objectifs climatiques de l’UE.

Auteur

M.A./D.B. d’après l’étude «Investigation of potential sites for coal-to-nuclear energy transitions in the United States». In: Energy Reports, Volume 11, June 2024, Pages 5383–5399 [DOI: 10.1016/j.egyr.2024.05.020] et NucNet, 23 octobre 2024

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