L'énergie nucléaire et l'Europe

30 août 1999

Conférence présentée par M. Wolf-J. Schmidt-Küster, secrétaire général du Forum atomique européen (Foratom), Bruxelles, à l'assemblée générale de l'ASPEA du 31 août 1999 à Berne


Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous remercier sincèrement de m'avoir invité à venir vous parler aujourd'hui de la situation et des perspectives de l'énergie nucléaire en Europe. C'est un grand honneur et un grand plaisir pour moi que de me trouver ici pour la deuxième fois après 24 ans. En 1976, c'est en tant que représentant du ministère allemand de la recherche et de la technologie, ministère responsable du développement des technologies nucléaires, que je vous avais parlé du concept de l'"Entsorgung", le concept de la gestion des déchets nucléaires. Je suis toujours fermement convaincu que le concept que nous avions développé en son temps, concept qui prévoyait une infrastructure intégrée pour la manipulation, le transport, le traitement et le stockage des assemblages combustibles usés, stockage définitif des déchets radioactifs compris, était une très bonne idée. C'était probablement la meilleure solution, aussi bien du point de vue économique qu'écologique. Mais comme vous le savez tous, bien que nous ayons développé d'excellentes solutions techniques, les débats politiques et le manque de décisions politiques du gouvernement fédéral allemand comme des gouvernements des Länder ont fait que jusqu'à présent, aucune solution pratique n'a été mise en oeuvre. La décision de principe de la présente coalition rouge/verte d'arrêter l'énergie nucléaire en Allemagne a ralenti encore les progrès réalisés dans ce domaine, bien que nous sachions tous que même en cas d'arrêt définitif de toutes les centrales nucléaires, il est vital de trouver des solutions à l'"Entsorgung".

1. Introduction

Je voudrais aujourd'hui vous présenter la situation telle quelle est actuellement plus de 40 ans après la signature à Rome, en 1957, du traité instituant la Communauté Européenne de l'Energie Atomique (EURATOM). Dans ce traité, la Communauté européenne reconnaissait le rôle que pouvait jouer l'énergie nucléaire pour son développement économique et technologique. J'examinerai ensuite les progrès de l'industrie nucléaire européenne et ses perspectives de croissance à la lumière des changements récents de certaines politiques nationales et des développements sur le marché de l'électricité.
Les six membres fondateurs de la Communauté européenne décidèrent d'encourager le développement de cette nouvelle source d'énergie, de créer un centre de recherche commun dans ce domaine, et d'assurer que tous les utilisateurs aient accès de manière équitable à l'uranium, la matière première, ce qui fut garanti par l'Agence d'approvisionnement EURATOM. On rappellera ici que la crise du pétrole qui s'est produite moins de 20 ans après et a gravement touché l'Europe devait démontrer la sagesse de ces décisions.
Comme vous le savez, huit des quinze pays membres de l'Union européenne exploitent actuellement des centrales nucléaires. Plus de 140 réacteurs installés en Europe constituent aujourd'hui le plus grand réseau mondial de production d'électricité nucléaire. Le paysage européen n'en est pas moins plein de contrastes: parmi les sept autres membres de l'Union européenne, on trouve en effet des pays dont les besoins sont moins adaptés à cette source d'énergie, et également des pays qui y sont clairement hostiles, comme l'Autriche et le Danemark par exemple. Des développements récents dans l'approvisionnement en énergie ont également changé ce paysage. La nouvelle image de l'approvisionnement se compose de progrès technologiques et d'une diversification des sources d'énergie, une diversification qui se caractérise en particulier par le progression du gaz comme source d'énergie primaire abondante et compétitive.
La signature du Protocole de Kyoto en décembre 1997, ainsi que l'attention internationale portée à la nécessité de limiter les changements climatiques en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, ont introduit un nouveau paramètre dans le modèle de développement de la politique énergétique conduite en Europe et dans le reste du monde. Il faut par ailleurs repenser les perspectives de croissance de l'énergie nucléaire du fait de la libéralisation et de l'ouverture des marchés de l'électricité, marchés qui sont soumis actuellement à des changements radicaux.
Dans son Livre blanc intitulé "Une politique énergétique pour l'Union européenne", la Commission européenne a fixé trois objectifs essentiels dans le domaine de l'énergie:

  • la compétitivité globale,
  • la sécurité de l'approvisionnement,
  • la protection de l'environnement.

Bien que les Etats membres gardent la responsabilité de leurs décisions énergétiques respectives, l'intégration croissante de l'Union européenne a entraîné une solidarité grandissante en ce qui concerne ces décisions, énergie nucléaire comprise. Ceci présente de réels avantages pour remplir les trois objectifs cités et ne laisse pas les instances politiques européennes indifférentes. Néanmoins, il ne fait pas de doute qu'à l'heure actuelle, les sources d'énergie renouvelables sont moins controversées et paraissent plus populaires aussi bien auprès du public qu'au sein des institutions politiques.
Depuis la signature du Traité EURATOM, cinq "Programmes indicatifs nucléaires de la Communauté" ("Indicative Nuclear Programmes for the Community") ont été publiés par la Commission. Le dernier, qui date de 1997, résume dans ses conclusions un certain nombre de principes essentiels en vue de garantir le maintien de la contribution du nucléaire à l'approvisionnement énergétique de l'Europe. Les principes suivants ont été proposés:

  • Il relève de la compétence de chaque Etat membre de décider de développer ou non l'énergie nucléaire à des fins pacifiques.
  • La décision prise par chaque Etat doit être respectée.
  • Les Etats membres qui ont choisi d'utiliser l'énergie nucléaire sont invités à garantir un niveau de sûreté élevé, le respect des exigences de non-prolifération conformément aux accords correspondants en vigueur, ainsi qu'une protection élevée de la santé publique.
  • Les Etats membres sont responsables de l'établissement de normes de sûreté et de l'autorisation d'installations nucléaires, et les exploitants nationaux de ces installations sont responsables de la sûreté de leur fonctionnement. Les deux parties sont conjointement responsables de la sûreté nucléaire vis-à-vis de tous les citoyens européens.

La diversité des opinions entre les Etats membres a entraîné bien sûr de longues avant d'aboutir finalement à résultat commun. C'est ainsi que le cinquième Programme-cadre de recherche et de développement technologique adopté en décembre 1998 pour la période de 1999 à 2002 accorde 1,26 milliard d'euros à l'énergie nucléaire, soit 8,4% du budget total de la recherche. Une large partie de ce budget (792 millions d'euros) est affectée à la fusion.
L'Union européenne développe aussi un programme d'amélioration de la sûreté en Europe centrale et orientale ainsi que dans la Communauté des Etats Indépendants (CEI), ceci en collaboration avec les Etats membres, avec l'industrie et avec la communauté internationale. Cette campagne, qui coûtera 700 millions d'euros sur une période de sept ans, constitue un pas extrêmement important en direction des pays d'Europe de l'Est, particulièrement de ceux qui veulent devenir membres de l'Union européenne. Toujours dans le domaine de la sûreté, il y a lieu de mentionner la création récente de WENRA, la "Western European Nuclear Regulatory Association". L'objectif de cette nouvelle organisation est de développer au sein de l'Union européenne une approche basée sur des critères de sûreté communs et de parvenir à une harmonisation des pratiques et des normes.
Une autre caractéristique importante de l'"Europe nucléaire" est le rôle institutionnel joué par EURATOM en tant que partenaire de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour les garanties des matières nucléaires et la prévention de la prolifération des armes atomiques.

2. Les développements en Europe

Avant d'examiner les développements récents dans les principaux pays nucléaires de l'Union européenne, je voudrais faire quelques remarques sur les changements toujours en cours sur le marché européen de l'électricité. Après plus de dix ans de négociations, l'ouverture du marché européen de l'électricité à la concurrence est devenue réalité le 19 février 1999. En fait, l'introduction des nouveaux principes se heurte à de nombreux obstacles et elle se fera progressivement, tenant compte en cela des grandes différences qui existent entre les systèmes électriques nationaux.
La directive de l'Union européenne que les Etats membres de l'UE doivent transposer dans leur législation nationale fixe un cadre minimum pour la libéralisation du marché: alors qu'elle doit s'appliquer au départ à 25% environ du marché, elle devrait en atteindre 34% en février 2003.
La directive stipule que pour être un "client éligible", la consommation de ce client doit s'élever à 40 GWh/an au minimum. Ce seuil devrait être réduit à 9 GWh/an d'ici à 2003. La prochaine étape sera fixée en 2006. Il est exigé par ailleurs que la production d'électricité soit séparée de son transport. Ceci signifie que des adaptations techniques devront être effectuées sur le réseau de transport pour assurer le fonctionnement du système.
Les Etats se réservent une liberté considérable d'application de cette directive. Ceci concerne la désignation des clients autorisés à choisir eux-mêmes leur fournisseur européen d'électricité, de même que l'organisation et la réglementation de la concurrence entre les producteurs.
De plus, les Etats n'appliquent pas la directive au même rythme: c'est ainsi que le Royaume-Uni et les pays scandinaves sont très en avance sur le calendrier, tandis que la Belgique, l'Irlande et la Grèce ont demandé un délai supplémentaire. Les autres pays feront face aux échéances selon leur propre cadence, ainsi la France, par exemple, qui est très en retard en ce qui concerne la concrétisation de la loi. Comme vous le savez, les pays associés à l'Union européenne dans le cadre de la zone de libre-échange, c'est-à-dire la Norvège et la Suisse, participent également à la libéralisation du marché.
Dans les pays où la concurrence est déjà effective, ou sur le point de l'être, les premiers résultats sont positifs pour ce qui est de la réduction des prix de l'électricité fournie aux clients industriels. Indépendamment de ces arrangements relatifs à la déréglementation, un processus simultané de privatisation partielle ou totale des compagnies d'électricité est en train de prendre place dans certains pays où l'économie électrique était entièrement ou partiellement détenue par l'Etat.
Si l'on examine aujourd'hui la situation concrète de l'énergie nucléaire dans l'Union européenne, plusieurs faits marquants peuvent être observés:

  1. D'abord, le fonctionnement exceptionnel des centrales nucléaires, qui fournissent aujourd'hui 35% de l'électricité de l'Union européenne avec une fiabilité et une compétitivité remarquables, tout en n'émettant pas de gaz à effet de serre. Une classification mondiale des trois dernières années (1996, 1997 et 1998) montre par exemple que sept centrales nucléaires européennes se trouvent parmi les dix meilleures du monde en matière de facteur de charge.
  2. Le fonctionnement des centrales nucléaires s'est constamment amélioré au cours de ces vingt dernières années. Tel est en particulier le cas de la disponibilité.
  3. Des mesures de rééquipement ont permis d'augmenter nettement la puissance de nombreuses centrales nucléaires.
  4. L'irradiation du personnel a nettement baissé.
  5. Or malgré ces excellentes performances, certains groupes politiques fournissent des efforts constants pour remettre en question l'utilisation de l'énergie nucléaire et visent son abandon.

L'Allemagne est naturellement le pays où cette situation paradoxale est la plus évidente. Les 19 réacteurs allemands en service fournissent plus d'un tiers de l'électricité du pays sur un marché dont la déréglementation progresse rapidement et sera bientôt achevée. Les centrales nucléaires sont compétitives, ce que souligne le fait que l'année dernière, la part de l'énergie nucléaire a augmenté alors que la consommation totale d'électricité a baissé. Chaque fois que cela a été possible, les centres d'exploitation et de gestion ont demandé de l'électricité d'origine nucléaire parce qu'elle présentait un avantage économique. Et les centrales nucléaires allemandes comptent depuis des années parmi les meilleures du monde pour ce qui est de la disponibilité et de la production d'électricité.
Le nouveau gouvernement allemand, une coalition "rouge-verte" de sociaux-démocrates et de "Grünen", a quand même décidé d'introduire l'abandon de l'énergie nucléaire. Il est évident que la politique des deux partis est antinucléaire, mais ce sont les Grünen qui essaient le plus violemment de mettre un terme au nucléaire. Il faut rappeler à ce sujet que la base existentielle des Grünen est leur position antinucléaire. Comme on l'a vu à plusieurs reprises au niveau des Länder, ils sont tout à fait capables de faire des compromis dans de nombreux domaines. Mais en politique nucléaire, faire machine arrière menacerait leur existence. Sous la pression des Grünen, la convention de coalition a donc repris pour l'essentiel les points suivants pour ce qui est de l'énergie nucléaire:

  1. La loi atomique sera modifiée, sa fonction de promotion du nucléaire étant supprimée.
  2. Il sera mis fin au retraitement des combustibles usés, qui seront transférés directement dans un dépôt définitif.
  3. Les transports d'assemblages combustibles seront évités. Ces assemblages combustibles seront entreposés sur les sites des centrales.
  4. Les activités relatives à l'aménagement de dépôts définitifs seront concentrées sur un même site; les travaux d'exploration de Gorleben sera stoppée, de même que la procédure d'autorisation pour Konrad.
  5. Le montant de la responsabilité civile des exploitants passera de 500 millions à 5 milliards de DM par centrale nucléaire.

Malgré ces décisions, le Chancelier fédéral Schröder avait indiqué clairement dès le départ qu'il entendait organiser l'abandon du nucléaire de telle manière qu'aucune indemnité ne doive être versée aux exploitants des centrales nucléaires, le processus de sortie du nucléaire devant se dérouler dans un consensus avec ces exploitants. Cette politique est donc suivie de manière conséquente par le ministre de l'économie, M. Müller, et après de premières négociations, il s'est dessiné une voie de solution qui prévoyait de limiter la durée de vie des centrales à 35 ans, les compagnies d'électricité se fondant ici sur 35 ans d'exploitation à pleine puissance. Le ministre de l'environnement Jürgen Trittin, du parti des Grünen, a estimé par contre que la durée de vie des centrales devait être limitée à 25 ans au maximum, avec comme conséquence la fermeture de six centrales nucléaires pendant cette législature encore.
Les Grünen, le SPD et les compagnies d'électricité ne sont pas parvenus jusqu'à présent à trouver un compromis. Le gouvernement a constitué un comité du secrétariat d'Etat qui doit présenter une proposition commune d'ici septembre. Ce comité, qui est dirigé par le ministère de l'environnement, regroupe les domaines de l'économie, de l'intérieur et de la justice. Or après plusieurs réunions, aucun accord n'a été trouvé jusqu'à ce jour, le ministre de l'environnement se heurtant régulièrement, avec ses propositions, à l'opposition de ses collègues des trois autres domaines.
Il existe parallèlement un autre point de litige, celui de la reprise des transports d'assemblages combustibles usés. Certaines centrales doivent reprendre de manière urgente ces transports, les capacités d'entreposage dans les installations étant épuisées. L'Office fédéral de la radioprotection à Salzgitter, office compétent en la matière et dont le président est aussi entre temps un politicien des Grünen, rappelle certes régulièrement sa déclaration de vouloir examiner la situation "selon le droit et la loi", mais il est bien clair qu'en fixant des priorités internes correspondantes, le traitement des autorisations nécessaires est consciemment retardé.
L'économie énergétique allemande défend sans ambiguïté le point de vue selon lequel une politique énergétique raisonnable implique l'utilisation de toutes les sources d'énergie disponibles et qu'en particulier, les objectifs ambitieux en matière de réduction des gaz à effet de serre ne pourront pas être atteints sans l'énergie nucléaire. Pour souligner cette conviction et maintenir ouverte l'option de l'énergie nucléaire aussi à long terme, l'industrie allemande (fournisseurs et exploitants) est décidée à poursuivre avec détermination le projet du réacteur européen à eau sous pression EPR, conjointement avec la France.

La Suède est l'autre pays européen où une coalition d'intérêts purement politiques menace l'énergie nucléaire. Douze réacteurs en excellent état produisent actuellement environ la moitié de l'électricité du pays dans d'excellentes conditions, le reste étant fourni par des centrales hydrauliques. Le marché suédois de l'électricité a été entièrement libéralisé en 1996. La Suède exploite déjà à l'heure actuelle un marché commun avec la Norvège, et elle constituera à partir de l'an 2000 un marché nordique unique avec la Finlande.

En 1980, après un référendum national, le Parlement suédois décidait d'arrêter définitivement les centrales nucléaires en 2010. En 1991, cette décision fut ensuite soumise à toute une série de conditions concernant les centrales électriques de remplacement, le maintien des performances économiques et l'interdiction d'une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Aucune solution ne fut trouvée mais en 1997, la coalition gouvernementale, qui comprend des écologistes, a voté une loi ordonnant la fermeture de Barsebäck 1 en 1998 et celle de Barsebäck 2 en 2001, éliminant en même temps la date de 2010 pour l'arrêt de toutes les centrales nucléaires suédoises. Près de vingt ans après le référendum de 1980, l'industrie nucléaire suédoise reste toujours active, toutes les centrales nucléaires sont en service, non seulement à la satisfaction de leurs propriétaires mais aussi de celle de l'opinion publique. Selon un sondage réalisé en juin de cette année, 82% des personnes interrogées souhaitent que les 12 réacteurs actuels restent en service. 16% seulement soutiennent la décision du gouvernement d'arrêter prématurément les centrales nucléaires. Une personne sur quatre parmi les 82% mentionnés ci-dessus s'est déclarée par ailleurs favorable au développement de l'énergie nucléaire et à la construction de nouvelles tranches pour remplacer celles qui seront arrêtées à la fin de leur durée de vie.

Selon ce même sondage, l'arrêt des centrales nucléaires n'est pas considéré par la population suédoise comme une question prioritaire pour l'environnement. A la question posée sur les objectifs environnementaux que le parlement devraient fixer, 74% des sondés ont répondu que la priorité devrait être accordée à la réduction des gaz à effet de serre, et 14% ont indiqué la protection des rivières non aménagées. 8% seulement ont cité l'arrêt du nucléaire comme l'objectif principal. D'après une analyse des résultats des sondages depuis 1997, l'attitude du public vis-à-vis de l'énergie nucléaire est restée assez stable, avec seulement de très faibles variations. Le résultat global des sondages indique 60% de personnes favorables à la poursuite de l'utilisation des réacteurs existants, 20% à la construction de nouvelles centrales pour remplacer celles parvenues en fin de vie, 20% soutenant par contre la position du gouvernement. Les analyses des résultats ont montré qu'il n'y avait pas de lien entre l'attitude vis-à-vis du nucléaire et l'allégeance de la personne interrogée à tel ou tel parti politique. Les personnes favorables au nucléaire dépassent nettement celles qui y sont opposées parmi les supporters de chaque parti.

Un changement d'attitude semble être intervenu entre temps parmi les jeunes Suédois. Dans le passé, ils étaient plus sceptiques que les personnes plus âgées mais selon les derniers chiffres, il semble que 76% de la jeune génération suédoise soit favorable à la poursuite de l'utilisation du nucléaire.

Après la décision du gouvernement d'arrêter Barsebäck, des négociations ont été entamées entre le gouvernement et l'exploitante en vue de dédommager Sydkraft, la propriétaire de la centrale nucléaire. Sydkraft a fait appel auprès de la Cour administrative suprême au motif que la décision du gouvernement violait la Constitution suédoise ainsi que les principes fondamentaux de l'Union européenne. La Cour a jugé le 16 juin 1999 que la décision du gouvernement était valable en droit. Selon un communiqué de la Cour, les aspects juridiques ont été examinés dans le détail, et la conclusion à laquelle elle a abouti est qu'il n'y avait pas de raison de déclarer non valable la décision du gouvernement. La Cour a également spécifié que la tranche 1 des deux tranches de la centrale devrait être autorisée à continuer de fonctionner jusqu'à fin novembre 1999. Le projet initial du gouvernement était de fermer Barsebäck 1 en juillet 1998 et la tranche 2 en juillet 2001. Mais le projet du gouvernement doit affronter un nouvel obstacle juridique de la part de Sydkraft, la propriétaire de la centrale. L'entreprise a présenté un recours à la Commission européenne fin juin. Ce recours met l'accent sur le fait que la Cour suprême suédoise a négligé de requérir à la Cour de justice des Communautés européennes un jugement préalable sur l'affaire. Dans de telles circonstances, la Commission peut demander un jugement provisoire à cette Cour de justice européenne. Sydkraft estime que selon le Traité de Rome, la cour nationale qui est la plus haute cour d'appel doit demander un jugement préalable à la Cour de justice européenne si le jugement final n'est pas dû de manière évidente à l'absence de précédent juridique. D'autres mesures possibles sont en cours d'examen par Sydkraft, mais celle-ci se déclare aussi prête à reprendre des négociations avec le gouvernement en vue d'une convention volontaire. Les entretiens sur la question des compensations qui se déroulaient entre Sydkraft, le gouvernement et Vattenfall ont été suspendus par le gouvernement à la fin de l'année dernière jusqu'à la décision de la Cour suprême suédoise. La Commission européenne est en train d'examiner les aspects de la décision du gouvernement relatifs à la concurrence commerciale, conformément à une demande antérieure faite par Sydkraft en février 1998. Sydkraft est une société privée, tandis que Vattenfall, qui exploite les quatre tranches de la centrale nucléaire de Ringhals, est détenue par l'Etat.

La Finlande, le voisin de la Suède, produit 27% de son électricité dans quatre centrales nucléaires et étudie la possibilité d'en construire une cinquième. Les promoteurs de ce projet, qui bénéficie d'un soutien politique relativement large, considèrent en fait que seule une centrale nucléaire est aujourd'hui capable de satisfaire l'augmentation croissante de la demande tout en répondant aux obligations contractées par la Finlande dans le Protocole de Kyoto.

En Grande-Bretagne, la libéralisation du marché de l'électricité est passée graduellement dans les faits au cours d'une période de presque dix ans. Pratiquement achevée aujourd'hui, elle s'est accompagnée de la privatisation progressive du secteur de la production d'électricité. A l'heure actuelle, seuls les anciens réacteurs Magnox sont encore exploités par une société appartenant à l'Etat, la BNFL. Les réacteurs avancés refroidis au gaz du type britannique AGR et le réacteur de Sizewell B sont détenus par British Energy, société privatisée en 1996 qui a énormément amélioré ses résultats en dépit de la concurrence très dure d'autres sources d'énergie. L'électricité d'origine nucléaire couvre 30% des besoins actuels (ce chiffre était de 20% en 1989) et l'ensemble de l'industrie nucléaire britannique (ingénierie, équipements, combustible nucléaire) fait preuve d'un dynamisme considérable. Pour ce qui est de l'avenir, la Commission du commerce et de l'industrie de la Chambre des Communes a publié en 1998 la recommandation suivante:

"Nous recommandons qu'afin de pouvoir planifier à long terme, on admette formellement aujourd'hui que de nouvelles centrales nucléaires pourraient devenir nécessaires dans les deux prochaines décennies."

Dans sa réponse, le gouvernement ne s'est pas engagé formellement jusqu'à présent, mais on suppose que Toni Blair s'en tiendra à son engagement de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 20% d'ici à 2010. Une commission spéciale de la Chambre des Lords a publié récemment un rapport qui souscrit au projet d'un stockage définitif des déchets radioactifs dans des formations géologiques profondes et invite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires.

En Espagne, neuf réacteurs fournissent 30% de l'électricité du pays, et l'industrie nucléaire espagnole est active dans la fabrication d'équipements et de combustible. La loi sur l'électricité de 1997 fixe les dispositions de la déréglementation qui devrait s'achever en 2007, après une période d'adaptations progressives de dix ans. Un fonds spécial a été créé pour gérer les coûts des investissements non amortissables. L'Espagne se conforme aux mesures fixées par l'Union européenne en vue de l'ouverture du marché de l'électricité. Il n'existe actuellement aucun projet de construction d'un nouveau réacteur nucléaire, mais les exploitants prévoient d'élever la capacité des centrales existantes et de prolonger leur durée de vie à 40 ou même à 60 ans. Telle est aussi la position de Mme Tocino, ministre de l'environnement, qui considère cette démarche comme un élément de la stratégie de l'Espagne en matière de lutte contre les changements climatiques, conformément aux obligations contractées dans le Protocole de Kyoto. Les combustibles usés issus des réacteurs à eau légère ne sont pas retraités, mais entreposés près des réacteurs. Une installation centrale d'entreposage est projetée.

En Belgique, les centrales nucléaires fournissent actuellement presque 60% de l'électricité produite dans ce pays. Deux de ces centrales sont chargées avec du combustible à oxydes mixtes Mox produit dans le pays même.

Comme développements récents dans le secteur nucléaire belge, il y a lieu de citer deux points, à savoir d'une part un débat parlementaire et l'issue des élections récentes, d'autre part la constitution en février d'une commission spéciale, la commission Ampère. Cette commission se compose de dix-huit experts issus d'organisations universitaires et scientifiques. Sa tâche est de faire des évaluations et d'émettre des recommandations sur les moyens qui devraient être utilisés pour produire de l'électricité dans l'avenir. Les conclusions de cette commission devraient être publiées dans le courant de 2000.

Les élections récentes ont changé la composition du gouvernement. Le pays est maintenant dirigé par une coalition de libéraux, de socialistes et de Verts, ces derniers adoptant majoritairement une position antinucléaire. A l'heure actuelle, les décisions en attente sont les suivantes: d'une part, arrêt de toutes les centrales nucléaires après 40 ans de service, la première mise hors service devant intervenir en 2014. D'autre part, un moratoire sur le retraitement des combustibles usés devrait être décrété. Ces décisions sont de nature purement politique et doivent encore être approuvées par le Parlement. Mais elles remettent en question le rôle et l'efficacité de la Commission Amère et ne tiennent compte ni de facteurs techniques, ni de facteurs économiques. Le débat parlementaire de 1993 a été suivi en 1998 d'une décision gouvernementale d'examiner diverses options pour la fin du cycle du combustible, et de ne pas se limiter ici à la seule solution du retraitement. Un moratoire sur le retraitement a maintenant été imposé, mais l'utilisation de Mox a été autorisée. Une décision finale du gouvernement est toujours attendue, car on attend les résultats de l'étude globale. Le Parlement n'a pas encore débattu du sujet. Il est probable que ce débat, qui devait à l'origine traiter de la question des options relatives à la fin du cycle du combustible, sera étendu à un sujet plus vaste qui est celui de l'avenir de l'énergie nucléaire en Belgique.

Je ne dirai rien de la Suisse, car vous connaissez tous la situation bien mieux que moi.

La France est le pays de l'Union européenne qui a la plus grande part d'électricité d'origine nucléaire: plus de 75%. Cette situation résulte de la décision prise il y a 25 ans d'assurer l'indépendance du pays dans le domaine de l'approvisionnement en électricité. Aujourd'hui, grâce à la standardisation de la construction des réacteurs et à un cycle du combustible fermé, le nucléaire français fournit de l'électricité fiable et compétitive.

Les développements politiques, économiques et commerciaux qui ont touché le secteur nucléaire dans les autres pays de l'Union européenne ont naturellement aussi un impact sur la France, où ils ont entraîné toute une série d'ajustements divers. Ceci concerne la directive européenne sur l'ouverture du marché, dont la transposition dans la loi en est en France à un état d'avancement minimum. La situation initiale se caractérise dans ce pays par un quasi-monopole d'EDF en tant qu'unique producteur d'électricité appartenant à l'Etat. Ceci se reflète aussi dans la tendance de la politique énergétique menée par l'actuel gouvernement qui est venu au pouvoir en 1997 et contient une composante "verte". Lors d'un débat sur la politique énergétique au Parlement français, le 21 janvier 1999, les lignes directrices suivantes de politique énergétique ont été approuvées:

  • la politique énergétique doit être équilibrée en ce qui concerne les sources d'énergie utilisées et correspondre aux besoins de développement de la société;
  • la politique énergétique créera un nouvel espace pour les énergies renouvelables et actualisera la question des économiques d'énergie;
  • elle devra pouvoir se justifier également
  • sur le long terme, aussi bien sur le plan économique qu'environnemental;
  • elle assurera aussi le respect de la transparence, les décisions étant régulièrement réexaminées et soumises au Parlement.

Dans ce contexte général, le besoin d'une composante nucléaire forte et compétitive a été confirmé. C'est dans cette perspective qu'a été développé le projet franco-allemand d'un réacteur européen à eau sous pression, l'EPR. Ce réacteur est destiné à remplacer les centrales nucléaires actuelles lorsqu'elles auront atteint la fin de leur durée de vie. EDF espère recevoir prochainement la confirmation du gouvernement concernant la construction d'un premier prototype. Les expériences recueillies avec une telle installation lui serviraient de base pour la décision qu'elle devra prendre plus tard sur le renouvellement de son parc de production d'électricité. La politique du retraitement et du recyclage est maintenue: quatre autres tranches vont être chargées avec du combustible Mox, ce qui portera à 20 le nombre total de tranches affectées à ce programme lancé en France en 1981. L'application de la loi sur la gestion des radioactifs de haute activité et à vie longue, adoptée en 1991, a fait de nouveaux progrès: le principe de deux laboratoires souterrains d'études sur le stockage en formations géologiques profondes a été approuvé par le gouvernement fin décembre. Par ailleurs, le programme d'exploitation du réacteur à neutrons rapides Phénix a été prolongé jusqu'en 2004, ce qui permettra de continuer les recherches sur la transmutation des radionucléides à vie longue, en dépit de l'arrêt définitif de Superphénix.
En août, le gouvernement français a autorisé le lancement de la construction du premier laboratoire souterrain français destiné à la recherche sur le stockage géologique de déchets radioactifs. L'autorisation, publiée sous la forme d'un décret du Premier ministre Lionel Jospin, permet à l'Andra, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, de construire et de gérer ce laboratoire qui sera aménagé dans une formation d'argile à Bure dans la Meuse, dans le nord-est de la France. Cette autorisation est valable jusqu'à la fin de 2006, année où, d'après le calendrier actuel, le Parlement devra décider de la marche à suivre ultérieure: soit les déchets de haute activité à vie longue seront stockés définitivement dans des formations géologiques profondes, après conditionnement et entreposage en surface, soit ils seront transformés après séparation par transmutation. Le gouvernement a fixé l'année dernière le concept de la "récupérabilité". Selon un calendrier provisoire, la recherche pourra véritablement commencer à Bure dès 2001. En plus du laboratoire dans de l'argile, un autre sera aménagé dans des formations granitiques. Le site de ce second laboratoire n'a pas encore été choisi, mais une décision devrait être prise cette année encore.

3. Résumé

Il est clair que les années à venir n'enregistreront pas une augmentation suffisante de la demande en électricité en Europe pour justifier de nouveaux investissements importants pour l'approvisionnement en charge de base. La forte concurrence du gaz et les défis politiques dans certains pays indiquent bien plutôt que le besoin de construire de nouvelles centrales nucléaires sera très faible.
L'industrie nucléaire européenne n'en est pas moins en train de s'organiser pour maintenir son pouvoir d'innovation, pour développer ses capacités d'exportations et pour renouveler le parc nucléaire européen à moyen terme. Tout ceci constitue un défi majeur, et c'est pourquoi l'industrie soutient aussi bien la poursuite des programmes de R &D que le développement du projet pilote EPR.
L'une des conditions préalables à la reprise de l'énergie nucléaire après 2000 reste le changement de sa perception par le public et par les milieux politiques. L'industrie nucléaire a commencé à mieux s'organiser et a lancé un programme de communication dont l'objectif est d'attirer l'attention du public sur les possibilités et les avantages spécifiques de l'énergie nucléaire pour couvrir les besoins énergétiques mondiaux, en particulier pour produire de l'électricité en charge de base compétitive et respectueuse de l'environnement.
L'industrie nucléaire est persuadée que pour garantir l'approvisionnement en électricité d'une population mondiale en augmentation constante et assurer un niveau de vie acceptable, les points suivants revêtent une importance essentielle:

  • il faut utiliser toutes les sources d'énergie disponibles,
  • la diversité des ressources et des technologies est la meilleure garantie du futur développement économique et social de notre société,
  • l'énergie nucléaire n'est pas la seule solution à notre problème, mais elle fait partie de la solution.

Je suis personnellement convaincu que l'énergie nucléaire continuera à jouer un rôle important dans le 21e siècle et j'espère que la vaste expérience et les capacités édifiées en Europe dans ce domaine seront exploitées pour notre propre bénéfice, et pour celui de nos partenaires dans le monde entier.

Source

Dr. Wolf-J. Schmidt-Küster

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