Planifier l’avenir de l’approvisionnement mondial en isotopes

Steven Van Dyck, Directeur Adjoint du réacteur de recherche BR2 au Centre d’Etude de l’Energie Nucléaire (SCK-CEN), parle à l’Agence internationale d’informations nucléaires NucNet de la crise mondiale des isotopes médicaux et des problèmes auxquels se heurte la production du molybdène 99 *.

9 déc. 2009

En ce qui concerne les problèmes mondiaux que rencontre la production de molybdène 99, quelles sont les incidences de ces problèmes sur le fonctionnement du BR2? La charge de travail du réacteur a-t-elle augmenté?

Actuellement, nous tournons à peu près comme d’habitude, mais cette situation aura des incidences non négligeables l’année prochaine. En 2010, le BR2 fonctionnera avec un cycle de réacteur supplémentaire entièrement consacré à la production de molybdène 99. Qui plus est, pour le deuxième cycle de réacteur, en avril 2010, nous augmenterons la capacité de production de 50%. A cette époque, la capacité sera égale à la capacité de traitement de deux producteurs européens de molybdène 99, l’Institut National des Radio-éléments (IRE) en Belgique et Covidien aux Pays-Bas.

Est-il juste de dire que la pénurie de molybdène 99 ne sera pas résolue en optimisant les programmes des réacteurs européens, mais qu’elle sera simplement atténuée?
En effet, c’est bien le cas. Le groupe de l’AIPES s’est réuni en septembre**, et il est apparu évident qu’on va encore connaître en Europe des périodes relativement courtes durant lesquelles l’approvisionnement fera défaut. Donc, à cette époque, ou bien le réacteur NRU (National Research Universal) au Canada devra avoir redémarré, ou bien le réacteur Safari de Pelindaba, en Afrique du Sud, pourra se charger d’une certaine partie de la production. Bien entendu, compte tenu de leur relatif éloignement par rapport à l’Europe, ces deux réacteurs sont moins attractifs en raison de la durée des transports et de la durée de vie limitée du produit, qui est de 66 heures.

Que peut-on faire d’autre pour atténuer cette pénurie?
L’an prochain, nous nous trouverons dans une situation plutôt inhabituelle, car deux des principaux réacteurs seront arrêtés pour des révisions planifiées et non planifiées. A long terme, il nous faut travailler à une politique nous permettant de maintenir une bonne collaboration entre les réacteurs engagés dans la production. Pour éviter des pénuries imprévues, il important que tous les réacteurs entretiennent leurs installations et les maintiennent en bon état, pour nous permettre d’éviter des interruptions de fonctionnement simultanées chez plusieurs producteurs de premier plan. Il nous faut veiller soigneusement à ne pas aboutir une fois de plus à une situation où nous nous retrouverions avec un seul gros producteur et un grand nombre de petits producteurs qui s’efforceraient de combler les lacunes du gros producteur. C’est une situation qui ne peut durer. Il faudra donc probablement trouver un nouvel équilibre, car mieux vaut toujours avoir cinq producteurs capables d’assumer 30% de la production qu’un producteur pouvant en assurer 80% et trois producteurs 20%. Dans une telle situation, en cas de défaillance du réacteur capable d’assurer 80% de la production, il nous est impossible de lui trouver un remplaçant.

Que pensez-vous de la proposition formulée par l’Autorité de Sûreté Nucléaire française (ANS), de constituer un «réseau d’échange d’informations» sur les radioisotopes entre les diverses autorités responsables de la sécurité au niveau national?
Je pense qu’en termes de politique de la maintenance et d’entretien du bon état de marche des réacteurs vieillissants, cela pourrait être une bonne chose. Ce que nous voyons actuellement, c’est que dans différents pays qui exploitent des réacteurs de recherche qui produisent du Molybdène 99, l’approche des problèmes est différente. Davantage de proactivité pourrait nous aider à éviter le type de situation dans lequel nous sommes maintenant, et dans lequel nous pourrions nous retrouver au cours des toutes prochaines années.

Pour ce faire, faudra-t-il investir davantage?
Cela dépend; en effet, les réacteurs actuels font déjà l’objet d’investissements, mais chacun d’eux vieillit, au bout de 40 à 50 années d’exploitation. Pour BR2, nous voyons le besoin de le remplacer dans le moyen terme. Certes, un programme de construction est en cours en France pour réaliser le réacteur Jules Horowitz, bien que sa finalité première ne soit pas la production de radioisotopes. Des plans sont à l’étude aux Pays-Bas pour le réacteur Pallas, qui serait principalement destiné à produire des isotopes. On pourrait ainsi remplacer le réacteur à haut flux de Petten, qu’il est prévu de faire fonctionner jusque vers 2015.

Quelles seront les incidences de la pénurie de radioisotopes sur les autres services d’irradiation de BR2?
Pour d’autres expériences, nous ajoutons un cycle supplémentaire à notre programme d’exploitation normal. L’exécution d’autres radiations peut présenter certaines difficultés, principalement en raison de la disponilité de systèmes en fin d’irradiation, tels que les cellules actives. Nous avons besoin de cellules actives pour que certains matériaux puissent être acceptés après irradiation, car l’année prochaine, du fait de ce cycle supplémentaire, les cycles seront plutôt courts. Cela peut vouloir dire que pour un cycle, il existe un certain nombre de produits que nous ne serons peut-être pas en mesure de produire. C’est ainsi que la pénurie aura des incidences sur d’autres services d’irradiation, mais pour le cycle supplémentaire que j’ai mentionné, nous avons décidé de faire passer en priorité la production de molybdène 99.

Quelle serait votre évaluation des problèmes qui frappent la chaîne des approvisionnements dans le contexte de cette crise?
Bien entendu, nous affrontons une crise des isotopes qui est due à l’interruption du fonctionnement d’un ou deux réacteurs, mais en fait, la situation est plus critique dans les installations de production qui extraient le molybdène 99 de l’uranium irradié fourni par les réacteurs. Le nombre d’usines qui peuvent effectuer ce travail est encore plus restreint que le nombre de réacteurs. En septembre dernier, nous avons connu une fermeture temporaire de l’IRE, mais celui-ci étant un acteur modeste sur le marché mondial, cette fermeture n’a pas tellement tiré à conséquences. Si la même chose devait se produire avec un des acteurs de premier plan, eh bien, nous serions plus mal lotis que nous ne le sommes à présent.

BR2 fonctionne à l’uranium hautement enrichi. Des pressions sont-elles exercées au niveau international dans le sens d’une modification de BR2 destinée à permettre à celui de fonctionner à l’uranium faiblement enrichi?
Oui! Notre uranium hautement enrichi est fourni par les Etats-Unis, et le Département américain de l’Energie nous presse vivement de convertir nos installations. Cependant, il n’existe pas de combustible à l’uranium faiblement enrichi (LEU) qui soit adapté aux conditions d’exploitation de notre réacteur. La Belgique en tant qu’Etat, et nous mêmes en tant qu’organisation, faisons tous nos efforts pour contribuer à la recherche et au développement pour ce type de combustible LEU, dans une version appropriée pour l’utilisation dans notre réacteur. En Europe, nous prenons également la direction d’un consortium qui effectue ce type d’essais de combustibles, selon un programme qui devrait prendre fin aux alentours de 2016, avec le début de la conversion de notre réacteur au combustible à base de LEU.

En ce qui concerne le réacteur Myrrha, des détails du projet ont été soumis au Ministère belge de l’Energie avec une demande de soutien financier. Quel est le stade d’avancement des discussions avec le gouvernement belge?
Pour le moment, nous n’avons pas encore de réponse très précise, bien qu’un message que j’ai récemment reçu indique qu’au moins moralement, les pouvoirs publics nous soutiennent de plus en plus. Je pense donc que nous asistons à une évolution dans le bon sens.

* Le molybdène 99 (Mo-99) sert à produire le technétium-99m (Tc-99m), qui est un radioisotope utilisé dans plus de 80% des procédures de diagnostic médical nucléaire dans le monde entier. Le Mo-99 s’obtient par irradiation de l’uranium hautement enrichi dans un réacteur à haut flux. Il existe cinq réacteurs de premier plan pour l’irradiation des cibles: NRU au Canada, Safari en Afrique du Sud, Osiris en France, HFR aux Pays-Bas et BR2 en Belgique; et quatre installations de traitement du molybdène 99.

** Basée à Bruxelles, l’AIPES, Association des Producteurs d’Imagerie et des Fournisseurs d’Equipements (Association of Imaging Producers and Equipment Suppliers), est également connue sous le nom d’Association Industrielle Européenne de médecine Nucléaire et de Soins de Santé Moléculaires (European Industrial Association for Nuclear Medicine and Molecular Healthcare).


Source

NucNet, 1[sup]er[/sup] décembre 2009, traduit de l'anglais

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