Politique énergétique à l'issue des votes: des conditions générales plutôt qu'un encouragement des technologies

Le nouveau Parlement s'en tiendra probablement à la décision prise de sortie du nucléaire, mais la nouvelle législature est à l'ère de choix majeurs en matière de politique énergétique. La sphère politique devrait ainsi davantage se consacrer à l'organisation de conditions générales efficaces qu'au choix et à l'encouragement de technologies ciblées.

18 nov. 2011

Suite à l'accident de Fukushima-Daiichi, le Conseil fédéral et le Parlement s'étaient rapidement prononcés en faveur d'une sortie du nucléaire. Cette décision parait précipitée et peu fondée, tant sa signification et ses conséquences non seulement pour la politique énergétique suisse mais aussi pour l'ensemble de l'économie sont importantes. Les politiciens et les partis sont soupçonnés de s'être laissés guider moins par des arguments rationnels que par la perspective des élections à venir et le positionnement stratégique au sein du spectre des votants. On argumente en face que la décision tient compte du fait que la construction de nouvelles centrales nucléaires dans un avenir proche ne soulèverait probablement pas l'enthousiasme de la population appelée aux urnes.

Les décisions en matière de politique énergétique sont le fruit d'un certain opportunisme, et ne sont donc pas gravées dans le marbre. Le Conseil fédéral, le Parlement et le peuple peuvent à tout moment revenir dessus, tout comme il est possible de modifier des articles constitutionnels et de les adapter aux nouvelles connaissances. L'Allemagne a déjà fait l'expérience de décisions particulièrement opportunistes en matière de politique énergétique: alors que la question de sortie du nucléaire était réglée, le gouvernement de coalition noire-jaune s'est prononcé en 2010 en faveur d'une prolongation des durées de vie des centrales nucléaires allemandes de 12 ans en moyenne, voire même de 28 ans. Fukushima-Daiichi a donné lieu à un tournant instantané, puisqu'à la suite de l'accident, le même gouvernement a opté pour une sortie rapide du nucléaire, assortie de l'arrêt immédiat des installations les plus anciennes.

Soutien politique insuffisant pour la «réintroduction du nucléaire»

Il est possible, tout au moins théoriquement, que le nouveau Parlement revienne sur la décision de sortie du nucléaire. Une «réintroduction du nucléaire» rencontrerait probablement un franc succès essentiellement au sein de l'UDC et de certaines parties du PLR. Or, ce sont précisément ces partis qui sont sortis affaiblis du scrutin, peut être justement à cause de leur position en faveur du nucléaire. A l'inverse, le fait que les Verts, qui s'étaient positionnés comme le principal mouvement anti-nucléaire, ont perdu de nombreux sièges, ne sera pas profitable pour autant aux pro-nucléaires. Les nouveaux partis du centre, le Parti vert-libéral et le PBD, sont les véritables grands gagnants du vote. Durant la campagne, tous deux s'étaient très clairement rangés derrière le tournant énergétique annoncé par le Conseil fédéral, aux côtés des Verts, du PS et du PDC. Aucune volte-face n'est à attendre d'eux durant la nouvelle législature: à l'aube de leur «carrière politique», ces jeunes partis perdraient alors toute leur crédibilité aux yeux des électeurs. Le camp des opposants au nucléaire entre donc plutôt renforcé dans cette nouvelle période législative.

Parallèlement, l'intérêt de l'économie électrique pour un nouveau plan de construction de centrales nucléaires devrait être limité. D'une part, le soutien nécessaire au sein du Parlement et de la population sera insuffisant dans un avenir proche. Dans un environnement politique aussi instable, le risque que le projet n'avorte de nouveau, et les investissements que cela représente pour les producteurs d'électricité seraient (trop) importants. D'autre part, les développements actuels sur le marché européen de l'électricité ne sont pas particulièrement favorables à des investissements risqués dans le nucléaire en Suisse. Les surcapacités de production et les prix relativement bas du gaz ont récemment permis des prix de gros de l'électricité modérés. L'encouragement croissant du gaz non conventionnel et le risque d'un flottement à long terme de la croissance européenne ont permis un niveau de prix bas constant. La rentabilité de nouvelles centrales nucléaires est remise en question. Par ailleurs, le fait que l'électricité soit négociée en euros sur les places boursières rend à l'heure actuelle inintéressants les investissements importants dans le nucléaire en Suisse.

Soutien politique limité pour les énergies renouvelables onéreuses

A long terme, la Suisse sera en mesure de couvrir ses besoins énergétiques sans centrales nucléaires. Après tout, des pays voisins tels que l'Autriche et l'Italie y parviennent. Ces derniers sont cependant tributaires des centrales thermiques à énergies fossiles. La Suisse doit réfléchir à la manière dont elle veut remplacer la production en ruban issue des centrales nucléaires vieillissantes. Parallèlement à la décision de sortie du nucléaire, le Conseil fédéral a certes présenté une liste de mesures possibles, mais il n'a ni trié celles-ci par ordre de priorités ni évalué leur rapport coûts/efficacité. Le nouveau Parlement aura en charge de préciser ces mesures. La nouvelle législature connaîtra donc des étapes décisives pour la politique énergétique. Concernant la production d'électricité, ce sont avant tout l'encouragement des nouvelles énergies renouvelables et la construction de centrales à gaz qui seront débattus sur la scène politique.

Le développement des nouvelles énergies renouvelables est souvent perçu comme un élément clé de la mise en œuvre du tournant énergétique. La rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC) doit permettre de subventionner les technologies qui ne sont pas encore en concurrence sur le marché. D'un point de vue économique, cette forme d'encouragement des technologies est tout sauf avantageuse. Etant donné que les subventions couvrent les coûts de production, ce sont les technologies les moins efficaces, et les plus chères, qui bénéficieront le plus de la mesure. Afin de limiter les coûts engendrés par l'encouragement des technologies, la politique doit en premier lieu favoriser le développement de l'éolien, par le biais de l'attribution de quotas par exemple. Sur les places boursières, leurs coûts de production avoisinent en effet actuellement les prix de l'électricité. Cependant, l'espace restreint du territoire suisse impose certaines limites à cette stratégie d'encouragement déséquilibrée.

Une autre technologie présente un potentiel de développement bien plus important que l'éolien (ou autres technologies similaires telles que le petit hydraulique ou la biomasse): le photovoltaïque. Le montage des cellules solaires sur les toits et les terrasses est en effet relativement simple, sans compter l'acceptation massive que cette énergie rencontre auprès de la population. Les inconvénients sont principalement de natures technique et économique: en raison de la production variable et de son profil marqué de charge de pointe, le photovoltaïque n'est pas particulièrement adapté au remplacement des centrales d'approvisionnement en charge de base. De plus, il engendre actuellement des coûts excessivement importants, et nécessite un besoin colossal en subventions. Le rapport coûts/efficacité d'une RPC essentiellement basée sur le photovoltaïque serait donc médiocre. Un encouragement massif de cette technologie ne pourrait être justifié par des objectifs de sécurité énergétique, comme c'est le cas en Allemagne, mais plutôt par des motifs de pure politique industrielle. Or, la Suisse ne bénéficie pas de la base industrielle requise. Les cellules solaires sont des produits de masse de plus en plus souvent fabriqués en Asie. Le contexte d'incertitude conjoncturelle croissant en Europe devrait donc limiter l'acceptation politique d'un développement significatif de la RPC. Les nouveaux rapports de force au sein du Parlement suisse changent peu à ce sujet. Il paraît peu probable que les nouveaux partis du centre se positionnent en faveur d'une stratégie d'approvisionnement énergétique aussi coûteuse.

Incertitudes quant à une stratégie de centrales à gaz

Plutôt que de développer la RPC, le Parlement pourrait faciliter la construction de nouvelles centrales à gaz en assouplissant les règles de compensation des émissions de CO2. Les centrales à gaz offrent de nombreux avantages: elles peuvent être construites assez rapidement, présentent des émissions de CO2 réduites par rapport aux centrales à charbon et peuvent intervenir de manière flexible en charge de base ou en charge de pointe. Par ailleurs, dans le contexte politique, les centrales à gaz sont souvent perçues comme une technologie transitoire, et constitueraient une solution pragmatique susceptible d'être acceptée, avant tout par les partis du centre.

Cependant, cette stratégie comporte aussi des inconvénients: tout d'abord, les centrales à gaz augmentent les émissions de CO2 et remettent en question les objectifs climatiques. Ensuite, le fonctionnement économique en charge de base est incertain dans le contexte de marché actuel; et pour finir, cette stratégie ne mettrait pas un terme aux risques d'approvisionnement, la Suisse n'étant équipée d'aucun accumulateur de gaz stratégique. Sans compter que le gaz est principalement importé par le biais d'un seul gazoduc. Le fait que de nombreux pays européens optent de plus en plus pour les centrales à gaz dans le cadre de leur stratégie d'approvisionnement en électricité accroît le risque d'approvisionnement. La dépendance de l'Europe au gaz russe et à un nombre restreint de pipelines reste importante. Le risque de pénurie persiste et pourrait nuire sensiblement à la production d'électricité. La Suisse aurait besoin de conclure un accord sur l'énergie avec l'UE afin de ne pas être lésée en situation de crise. Reste à savoir si un tel accord est possible, et à quel moment. La Suisse doit, à chaque fois que cela est possible, trouver des compromis sur les questions institutionnelles des relations bilatérales, et pas seulement sur le thème de l'énergie. Dans ces conditions, une alliance de l'UDC, eurosceptique, et des partis écologistes-gauches, très attachés à des objectifs climatiques stricts, pourrait mettre à mal l'option des centrales à gaz.

Conditions générales plutôt qu'encouragement technologique

Ces explications montrent que la réalisation du tournant énergétique au cours de la nouvelle période législative constitue un défi majeur. Lorsque le moment sera venu de définir plus en détail la décision prise, trouver des compromis judicieux et qui recueillent la majorité ne sera certainement pas chose facile. Il est donc grand temps que les politiques cessent de décider eux-mêmes de l'utilisation de certaines technologies et de dicter le comportement des consommateurs et investisseurs. Une telle politique énergétique dirigiste, souvent accompagnée d'une politique industrielle coûteuse, ne saurait être ni dans l'intérêt de la sécurité d'approvisionnement ni dans celle des contribuables et des consommateurs.

Seule une politique énergétique en mesure de proposer des conditions générales stables et de stimuler efficacement les investissements et les innovations, ainsi que le commerce international, est opportune et nécessaire. Le législateur doit concentrer toute son attention sur la mise en place de règles de marché et de concurrence, la stabilité du système, la sécurité de fonctionnement des centrales et la mise en œuvre de la politique climatique. Plutôt que d'opter pour la sortie du nucléaire, il pourrait par exemple prendre des mesures de sécurité restrictives qui interdiraient le fonctionnement des centrales nucléaires actuelles mais n'excluraient pas la possibilité de centrales de nouvelle génération plus sûres. Mais cela restera du domaine de l'utopie tant que l'Etat ne s'en tiendra pas à son rôle de législateur et de régulateur, mais continuera d'intervenir également en tant qu'investisseur sur le marché. Les stratégies d'investissement et de centrales des fournisseurs publics, fondées sur des motivations politiques et garanties par l'Etat, ainsi que les discussions autour des prix corrects pratiqués dans le domaine de l'approvisionnement de base exclu du marché, illustrent parfaitement le problème de cumul des rôles du secteur public.

Urs Meister
Urs Meister, docteur en économie est chef de projet et membre du cadre chez Think Tank Avenir Suisse depuis avril 2007. Il est en particulier responsable des domaines de l'énergie, des infrastructures (réseau) et de la santé. Il est également chargé d'enseignement à l'Université de Zurich à la chaire pour la direction et la politique d'entreprises. Avant d'intégrer Avenir Suisse, Urs Meister était dirigeant de l'entreprise de consulting Arthur D. Little (Suisse) AG et consultant chez Arthur Andersen AG à Zurich, où il traitait essentiellement des projets relatifs au Public Management, à l'énergie et à la santé.

Source

Urs Meister, Avenir Suisse/C.B.

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