Point de vue: il est temps de dire au monde que nous sommes capables de gérer nos déchets radioactifs

Bien que de nombreuses personnes reconnaissent aujourd’hui les avantages de l’énergie nucléaire pour lutter contre les changements climatiques et accroître la sécurité de l’approvisionnement énergétique, le chemin sera encore long avant que celle-ci ne soit acceptée en tant que composante sûre et propre de notre mix énergétique. Laurie Swami, présidente et CEO de la Société de gestion des déchets nucléaires canadienne (SGDN), explique en quoi l’industrie nucléaire a un «problème avec ses déchets».

23 févr. 2023
Photo de Laurie Swami
Laurie Swami, présidente et CEO et la Société de gestion des déchets nucléaires canadienne (SGDN).
Source: SGDN

La crise climatique avait déjà accentué la nécessité de réduire le recours aux combustibles fossiles. La guerre en Ukraine a ensuite montré, notamment à l’Europe, l’urgence de trouver des énergies alternatives pour s’affranchir des importations de pétrole et de gaz russes. Un nombre croissant de pays – dont plusieurs avaient décidé de renoncer à la production d’électricité nucléaire – souscrivent aujourd'hui aux conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) selon lesquelles l'énergie nucléaire sera décisive pour atteindre l’objectif de zéro émission nette et pour réduire notre dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles.

Cessons de donner l’impression que l’industrie nucléaire a un «problème avec ses déchets»

Même au sein de la branche, le sujet du combustible usé est traité comme un secret honteux qui ne doit pas être ébruité sous peine de compromettre les projets d’investissements dans l’énergie nucléaire. Or la vérité est que les assemblages combustibles usés sont déjà stockés de manière sûre et responsable dans des dépôts intermédiaires dans le monde entier. Et des pays comme le Canada développent actuellement des dépôts en couches géologiques profondes pour stocker durablement le combustible usé, ouvrant ainsi la voie à un nouveau modèle responsable de gestion des déchets radioactifs, qui fera office de modèle pour la planète. L’industrie nucléaire doit désormais mettre sa timidité de côté et informer les populations sur ces avancées majeures.

D'après un rapport du GIEC de 2018, il ne sera possible de contenir l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C d’ici à 2050 qu’à la condition de multiplier par trois la production d’électricité nucléaire dans le monde, en la passant de 400 à 1160 gigawatts. Les auteurs du rapport estiment que pour atteindre cet objectif, il faudra construire davantage de réacteurs nucléaires au cours des 30 prochaines années. Or la quantité de combustible usé qui devra être stockée en toute sécurité sera augmentée proportionnellement.

Le stockage en couches géologiques profondes, une solution reconnue dans le monde entier
Quoique nous réserve l'avenir en matière d'investissements dans l'énergie nucléaire, aujourd'hui déjà, 400’000 tonnes d’assemblages combustibles usés doivent être stockées de manière sûre durant des millénaires. Il serait irresponsable de faire porter cette charge aux générations futures, d'autant plus que nous disposons d'une solution reconnue.

Il existe un consensus scientifique sur le fait que le stockage profond constitue la meilleure option connue pour stocker de manière sûre le combustible usé durant des centaines de milliers d'années. Et cette solution n’est pas seulement théorique:

  • Le dépôt profond finlandais d’Onkalo, sur la presqu’île d’Olkiluoto – considéré par le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Rafael Mariano Grossi comme un projet précurseur pour la durabilité de l'énergie nucléaire – est construit actuellement par l’organisation de gestion des déchets Posiva Oy. Les premiers déchets devraient être placés dans le dépôt au milieu des années 2020.
  • Début 2022, le gouvernement suédois a remis à l’organisation suédoise de gestion des déchets, SKB, le permis autorisant la construction d’une installation d’encapsulage et d’un dépôt profond destiné au combustible usé à Forsmark, dans la commune d’Östhammar. Une fois que toutes les autorisations auront été remises, la construction durera environ dix ans.
  • En Suisse, au mois de septembre, la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (Nagra) a proposé Nord des Lägern comme site d’implantation d’un dépôt profond destiné aux déchets faiblement et hautement radioactifs.
  • En France, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a déposé une demande de permis de construire pour un tel dépôt (Cigéo) en Meuse/Haute-Marne.
Atelier de travail
La SGDN travaille en collaboration avec les communes et les populations indigènes.
Source: SGDN

Les projets canadiens de gestion du combustible usé
Le Canada fait partie, lui aussi, des nations leaders dans le domaine de la gestion à long terme des déchets radioactifs. Aussi connu sous la dénomination de Gestion adaptative progressive (GAP), le plan canadien prévoit la gestion sûre et durable des assemblages combustibles usés. Il s’inscrit dans le cadre d’un dialogue avec les Canadiens et Canadiennes, mais aussi avec les peuples autochtones, et reflète les valeurs et les priorités importantes pour eux. Le programme sera mis en œuvre avec le consentement éclairé de collectivités hôtes dûment informées, dans une commune dans laquelle les communautés des Premières Nations et des Métis et les autres collectivités sont prêtes à collaborer.

En 2010, la SGDN a lancé une procédure en plusieurs étapes, dirigée par les communes et destinées à rechercher un site sur lequel les assemblages combustibles usés pourraient être stockés dans le sol de manière sûre.

Le respect des droits des populations indigènes constitue une composante essentielle des procédures au Canada. Ainsi, nous travaillons en collaboration étroite avec les communautés et gardiens du savoir autochtones afin de les impliquer dans notre travail. Nous organisons, par exemple, régulièrement des ateliers sur le savoir indigène et la science occidentale, lors desquels nous essayons de faire dialoguer ces formes de savoir sur des thèmes tels que la protection des eaux.

Nous avons travaillé avec 22 communes et communautés indigènes ayant manifesté leur intérêt à en apprendre davantage sur le projet et à déterminer leur potentiel en tant que site d’implantation. La SGDN a ensuite établi une liste de l’ensemble des sites possibles sur la base d’études techniques détaillées et du dialogue avec la population, avant de présélectionner deux sites: la Première nation ojibway de Wabigoon Lake près d’Ignace, dans le nord-ouest de l’Ontario, et la Nation Ojibway de Saugeen, à South Bruce, dans le sud de l’Ontario.

Le site d'implantation du futur dépôt profond canadien sera choisi en 2024
Aujourd’hui, nous sommes en bonne voie pour pouvoir sélectionner un site privilégié en 2024, avant de lancer la phase d’autorisation légale. Ces prochaines étapes seront exigeantes – et il est normal qu’elles le soient afin de donner aux Canadiens et Canadiennes ainsi qu’aux peuples autochtones la sécurité et la certitude dont ils ont besoin, et qu'ils méritent.

Représentation 3D du futur dépôt en couches géologiques profondes canadien
Représentation 3D du futur dépôt en couches géologiques profondes canadien destiné aux assemblages combustibles usés. Depuis les installations de surface (A), des accès conduisent à la partie centrale, en profondeur (B). Les déchets seront transportés jusqu’à l’espace de stockage (C) via ces accès. On peut voir aussi le dépôt destiné aux matériaux d’excavation et de déblai (D).
Source: SGDN

Au cours des 20 dernières années, la SGDN a parcouru un long chemin et a su démontrer, en travaillant avec ses pendantes internationales, que les dépôts en couches géologiques profondes constituaient un concept sûr et durable pour la gestion du combustible usé. Les gouvernements du monde entier misent sur l’énergie nucléaire dans le cadre de leurs stratégies pour un approvisionnement énergétique propre, et nous ne devons pas diminuer nos efforts mais impliquer la prochaine génération afin qu’elle poursuive notre action dans le domaine de la gestion du combustible usé.

Mettre en œuvre la solution disponible et ne pas se décharger de ses responsabilités
Comme l'a déclaré la ministre suédoise du Climat et de l’Environnement, Annika Strandhäll, lors de l’annonce de l'autorisation du dépôt profond suédois en janvier: «Il est irresponsable de laisser les déchets nucléaires dans les piscines de stockage, année après année, sans prendre de décision. Nous ne pouvons faire porter cette responsabilité à nos enfants et petits-enfants. Notre génération doit prendre ses responsabilités en matière de gestion des déchets».

Outre la nécessité de garantir notre approvisionnement énergétique, la guerre en Ukraine a renforcé notre responsabilité collective pour la gestion sûre du combustible usé dans des dépôts en couches géologiques profondes, loin de l’homme et de l’environnement, et quoiqu’il se passe à la surface. Nous ne pouvons pas prédire ce qu’il adviendra de l’humanité et de ses installations, et nous pouvons encore moins partir du principe qu’une paix durable régnera pendant les milliers d'années durant lesquels le combustible usé devra être stocké et tenu à l'écart.

Tous responsables
C’est pourquoi il est essentiel d'agir aujourd’hui. Et il est de notre devoir à tous, au sein de l’industrie nucléaire, de véhiculer ce message.

Que cela soit dans le cadre de conversations officielles avec les gouvernements, en rectifiant les informations fallacieuses diffusées dans les médias sociaux ou les médias traditionnels, ou encore lors de conversations en famille ou entre amis: chacun doit faire sa part du travail et informer le monde sur le fait que non, la gestion des déchets radioactifs n’est pas un problème. Il existe une solution.

Auteur

Laurie Swami, présidente et CEO de la SGDN

Source

Ce texte a été publié le 19 janvier 2023 sur le site des World Nuclear News (WNN), et a été traduit en français, et complété, avec l’aimable autorisation de son autrice.

Articles sur le même thème

Restez informé-e!

Abonnez-vous à notre newsletter

Vers l’abonnement à la newsletter

Profitez de nombreux avantages

Devenez membre du plus grand réseau nucléaire de Suisse!

Les avantages en tant que membre